Les savants les plus demandés. Expertise, compétences et multipositionnalité. Le cas des géographes dans la politique d'aménagement du territoire - article ; n°36 ; vol.9, pg 163-180

Gilles Massardier

Description

Politix - Année 1996 - Volume 9 - Numéro 36 - Pages 163-180
The scientists most «wished». Expertise, competences and social multi-position. The example of geographers In regional planing policy.
Gilles Massardier [163-180].
This article is about social production of applied scientist discourse on regional planing in France during the 80's. A group of geographers imposes its expertise, developping a strategy to interest other groups in its production. It's shown that scientists expertise manœuvre between knowledge and power because it cornes from three social processes : construction of geographers group's frontiers, construction of its professional identity, and construction of a multi-positional system in political, civil service and consultancy fields. We can use the notion of paradigmatic relationships to call relations between geographers and the french regional planing administration Delegation a l'Amenagement du territoire et a l'action regionale (DATAR) insofar as they entitle them to exchange knowledge (social representation of territory, concepts) and practices (seminars, publishing). In fact, those relations break down the scheme of expert advice to government decision making because of the self-sufficiency of this system of scientist discourse's production which put those actors out of touch the regional planing administration's operationality.
Les savants les plus «demandés». Expertise, compétences et multipositionnalité. Le cas des géographes dans la politique d'aménagement du territoire.
Gilles Massardier [163-180].
Cet article traite de la production de discours savants appliqués sur le territoire et son aménagement en France dans les années 1980 par un groupe de géographes qui a réussi à imposer son expertise grâce à des stratégies d'intéressement à son savoir. Il est alors montré que l'expertise savante évolue entre savoir et pouvoir dans la mesure où elle prend racine à la croisée de trois processus sociaux : celui de la définition des frontières du groupe social des savants et de leur identité professionnelle, et celui de la multipositionnalité, c'est-à-dire l'occupation de positions sociales dans les espaces politique, administratif et sur le marché du conseil. Les relations entre ces géographes et la Délégation à l'Aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) sont paradigmatiques dans la mesure où elles permettent à des savants et des agents de l'administration centrale d'échanger des savoirs (représentations du territoire, concepts) et des pratiques (colloques, publications). Ces relations, plus qu'elles ne rapprochent l'expertise des préoccupations opérationnelles de la DATAR, produisent un système de production de discours savant relativement autonome qui met en cause le schéma de «l'aide à la décision».
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: POLITIX
• Publié le: 01 janvier 1996
• Nombre de lectures: 32
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Gilles Massardier
Les savants les plus "demandés". Expertise, compétences et
multipositionnalité. Le cas des géographes dans la politique
d'aménagement du territoire
In: Politix. Vol. 9, N°36. Quatrième trimestre 1996. pp. 163-180.
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Massardier Gilles. Les savants les plus "demandés". Expertise, compétences et multipositionnalité. Le cas des géographes
dans la politique d'aménagement du territoire. In: Politix. Vol. 9, N°36. Quatrième trimestre 1996. pp. 163-180.
doi : 10.3406/polix.1996.1984
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_1996_num_9_36_1984Abstract
The scientists most «wished». Expertise, competences and social multi-position. The example of
geographers In regional planing policy.
Gilles Massardier [163-180].
This article is about social production of applied scientist discourse on regional planing in France during
the 80's. A group of geographers imposes its expertise, developping a strategy to interest other groups
in its production. It's shown that scientists expertise manœuvre between knowledge and power because
it cornes from three social processes : construction of geographers group's frontiers, construction of its
professional identity, and construction of a multi-positional system in political, civil service and
consultancy fields. We can use the notion of paradigmatic relationships to call relations between
geographers and the french regional planing administration Delegation a l'Amenagement du territoire et
a l'action regionale (DATAR) insofar as they entitle them to exchange knowledge (social representation
of territory, concepts) and practices (seminars, publishing). In fact, those relations break down the
scheme of expert advice to government decision making because of the self-sufficiency of this system
of scientist discourse's production which put those actors out of touch the regional planing
administration's operationality.
Résumé
Les savants les plus «demandés». Expertise, compétences et multipositionnalité. Le cas des
géographes dans la politique d'aménagement du territoire.
Gilles Massardier [163-180].
Cet article traite de la production de discours savants appliqués sur le territoire et son aménagement en
France dans les années 1980 par un groupe de géographes qui a réussi à imposer son expertise grâce
à des stratégies d'intéressement à son savoir. Il est alors montré que l'expertise savante évolue entre
savoir et pouvoir dans la mesure où elle prend racine à la croisée de trois processus sociaux : celui de
la définition des frontières du groupe social des savants et de leur identité professionnelle, et celui de la
multipositionnalité, c'est-à-dire l'occupation de positions sociales dans les espaces politique,
administratif et sur le marché du conseil. Les relations entre ces géographes et la Délégation à
l'Aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) sont paradigmatiques dans la mesure où
elles permettent à des savants et des agents de l'administration centrale d'échanger des savoirs
(représentations du territoire, concepts) et des pratiques (colloques, publications). Ces relations, plus
qu'elles ne rapprochent l'expertise des préoccupations opérationnelles de la DATAR, produisent un
système de production de discours savant relativement autonome qui met en cause le schéma de
«l'aide à la décision».savants les plus «demandés» Les
Expertise, compétences
et multipositionnalité
Le cas des géographes
dans la politique d'aménagement du territoire1
Gilles Massardier
Laboratoire d'économie et de sociologie du travail
Université de la Méditerranée
IL EST CERTAIN que notre capacité d'analyse des territoires complexes
nous prédispose à intervenir sur des problèmes d'aménagement et de
développement des espaces, urbains ou ruraux, pour lesquels il existe
une demande sociale de plus en plus forte»2. Cette autolégitimation
d'un directeur de Centre de recherches en géographie peut laisser croire à la
magie d'une correspondance quasi naturelle entre un savoir «prédisposé» et
les besoins de connaissance des «décideurs» publiques.
Or, bien loin de ce schéma fonctionnaliste, les savants «les plus autorisés»3 à
parler doivent leur crédit à un système de reconnaissance de leur savoir qui
dépasse les frontières de l'espace social des savants. L'idée d'une rencontre
entre ces connaissances «prédisposées» et cette «demande sociale» n'est
qu'une rationalisation a posteriori, car en amont un double travail social
d'imposition a rendu ce savoir «indispensable»4. D'une part, les savants
étudiés dans cet article, les «nouveaux géographes» des années 1970-1990, ont
montré une grande capacité à imposer leur savoir comme le plus «demandé»
dans leur propre discipline. D'autre part, de façon concomitante, ce groupe de
doctes a dépassé les frontières de son espace social d'origine en investissant le
marché du conseil, des positions administratives, voire politiques. Au résultat,
un groupe de savants, à la fin des années 1980, est en situation d'oligopole
pour l'accès aux ressources financières destinées aux études par la délégation à
1. Cet article est fondé sur une recherche ayant donné lieu à un ouvrage : Massardier (G.), L'État
savant. Expertise et aménagement du territoire, Paris, L'Harmattan, 1996. Outre le cas des
géographes exposé ici, celui des urbanistes y fait l'objet d'un historique de l'expertise dans
l'aménagement du territoire depuis le début du siècle dont le processus d'imposition de leur
savoir savant se rapproche très fortement de celui des géographes ; à la différence que les
urbanistes ont fini par imposer leurs compétences dans l'espace administratif grâce à la création
d'un corps des urbanistes de l'État dans l'immédiat après-guerre.
2. Théry (H.), «La géographie gagne du terrain-, Le journal du CNRS, 38, 1993, p. 16.
3. Selon l'expression de G. Montsarrat, haut fonctionnaire au ministère de l'Intérieur, farouche
allié des urbanistes dans les années 1920-1940 et membre du Comité de direction de la revue
Urbanisme («L'urbanisme pratique», Urbanisme, 1, 1932, p. 27).
4. Pour une analyse plus large, voir Callon (M.), «Éléments pour une sociologie de la traduction,
la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc«,
L'année sociologique, 36, 1986.
Politix, n°36, pages 163 à 180 163 Massardier Gilles
l'Aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR)1, ainsi que pour
la production des cadres du pensable en matière d'aménagement du territoire.
Cette issue est d'autant plus saisissante qu'elle prend source dans un groupe
qui doit ses conquérantes autorité et compétence (à la fois sociale,
relationnelle et intellectuelle) à son hérésie initiale parmi les géographes.
L'exemple de la «nouvelle géographie» est ici l'occasion de définir le statut de
l'expertise savante. Cette dernière évolue entre savoir et pouvoir dans la
mesure où elle prend racine à la croisée de trois processus sociaux : celui la
définition des frontières d'un groupe social, celui de la définition d'une
identité professionnelle et celui de la multipositionnalité. L'ambiguïté de
l'expertise savante réside dans la double logique de l'autonomisation de
compétences professionnelles et de l'interdépendances avec d'autres espaces
sociaux. Ainsi pense-t-on que l'expert savant le plus demandé se définit moins
par la «transgression des limites de son savoir» en quittant, durant la situation
d'expertise, le registre savant du doute et de la contrainte méthodologique2,
que par la pratique du métier de savant dans une logique temporelle de
complicité3 relativement ancienne avec les «demandeurs».
Dans ce cadre, l'exemple des relations entre la DATAR et les «nouveaux
géographes» montre que la dichotomie wébérienne entre les «vocations-
savante et administrative peut laisser place à une «complicité» fondée sur un
système producteur autonome de savoir sur la société, déconnecté du