Michelet, Péguy : la crise de l humanité - article ; n°1 ; vol.49, pg 341-354
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Michelet, Péguy : la crise de l'humanité - article ; n°1 ; vol.49, pg 341-354

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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1997 - Volume 49 - Numéro 1 - Pages 341-354
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1997
Nombre de lectures 27
Langue Français

Extrait

Jean-François Durand
Michelet, Péguy : la crise de l'humanité
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1997, N°49. pp. 341-354.
Citer ce document / Cite this document :
Durand Jean-François. Michelet, Péguy : la crise de l'humanité. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1997, N°49. pp. 341-354.
doi : 10.3406/caief.1997.1291
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1997_num_49_1_1291PEGUY : MICHELET,
LA CRISE DE L'HUMANITÉ
Communication de M. Jean-François DURAND
(Université de Montpellier III)
au XLVIIP Congrès de l'Association, le 18 juillet 1996
L'œuvre entière de Péguy est marquée par un intense
sentiment d'inquiétude, lié à la conscience de la précarité
de toutes choses, tant des existences individuelles que des
cultures et des traditions historiques. Dans les belles
pages qu'il a consacrées à l'auteur d'Eve, G. Poulet a par
faitement vu que cette inquiétude péguyenne est en partie
liée à l'expérience du temps et de la durée, qui culmine
dans la découverte de la séparation et de la solitude. La
succession rapide des événements, leur imprévisibilité
donnent souvent une impression de « bousculade » (1)
sans que jamais l'homme puisse s'arrêter, se reposer dans
un instant immobile. Mais les civilisations elles-mêmes
sont saisies dans ce flux inlassable du temps, et c'est ce
qui fait leur grandeur et leur misère à la fois. Aucune
halte n'est possible, et, à tout instant (dans la hâte et le
péril de l'histoire vivante), des choix se font, où ne se font
pas, des bifurcations se présentent, qui peuvent secrèt
ement engager l'avenir de la culture.
Dans l'œuvre péguyenne, les grands textes de la crise,
qui font porter un doute radical sur l'avenir de l'humani-
(1) Georges Poulet, La Pensée indéterminée, III, De Bergson à nos purs, Paris,
P.U.F., 1990, p. 12. JEAN-FRANÇOIS DURAND 342
té, ont été précédés, dès les articles de la Revue Blanche
(1893-1899), par de multiples notations inquiètes qui pres
sentent, sous l'apparence heureuse de la civilisation
moderne, le sourd travail de la barbarie. L'affaire Dreyfus,
au-delà de sa dimension événementielle, fut l'un de ces
signes des temps, car elle révèle une discordance qui tient
au langage lui-même, et à son usage frauduleux. Il y a en
effet une propension des modernes à user d'une rhéto
rique optimiste, celle du progrès, de l'avenir de la science
et des lumières, pour mieux masquer les angoissantes
failles du réel. L'histoire recèle une virtualité violente, qui
affleure brutalement, en temps de crise. L'affaire Dreyfus
fut une guerre civile, qui a soudain déchiré la draperie
rhétorique :
C'est en effet le caractère propre des guerres civiles
modernes qu'elles se continuent pendant de longs mois,
pendant de longues années sous des apparences à peu près
civilisées. Tout cela n'est que paroles, écrits, discours et
articles, démarches politiques et cérémonies plus ou moins
correctement officielles, jusqu'au jour où les excitations
depuis longtemps continuées atteignent enfin leur plein
effet. Mais alors tout se rompt. La vieille barbarie se vautre
toute par le monde vraiment civilisé, la cruauté se lâche
toute, et la répression versaillaise n'est pas moins féroce que
l'expédition coloniale (1, 240) (2).
Dans l'un des premiers articles des Cahiers de la Quinzai
ne (5 février 1900), Péguy esquisse ce qui sera l'une des
analyses les plus fulgurantes des Situations, de L'Argent et
de L'Argent suite, et il s'appuie sur une longue citation de
Jaurès (le premier Jaurès, comme il tiendra à le préciser)
qui mettait lui aussi l'accent sur la « contradiction essent
ielle » (I, 384) du monde contemporain, l'absolu divorce
des mots et des choses, qui menace gravement l'intégrité
(2) La Revue Blanche, 15-9-1899. Les citations de Péguy renvoient aux édi
tions suivantes Œuvres en prose completes, édition Robert Burac, Bibli
othèque de la Pléiade, tome I (1987), tome II (1988) et tome III (1992). LA CRISE DE L'HUMANITÉ 343
du langage : « Aujourd'hui, il n'y a pas une seule grande
parole qui ait son sens vrai, plein et loyal : fraternité — et
le combat est partout ; égalité — et toutes les disproport
ions vont s'amplifiant ; liberté — et les faibles sont livrés
à tous les jeux de la force » (1, 387).
La société féodale avait au moins le mérite de ne pas
creuser un tel divorce « entre les idées et les mots » (ibid.).
Dans son évocation de l'ancienne France, dans L'Argent,
Péguy se souviendra de cette vision jaurésienne d'une
féodalité cohérente, ennemie de l'« équivoque » et de
l'« hypocrisie sociale » (ibid.). Au regard de ce monde
d'un seul tenant, la société moderne est « audacieusement
ironique », dans un sens que Jaurès léguera à Péguy. L'iro
nie, en effet, est la marque d'un langage conscient du
désaccord, et de la vanité des formes rhétoriques. En ce
sens, l'ironie est le style même de la modernité, à la diffé
rence des écritures probes, classiques, soucieuses d'une
adéquation rigoureuse avec la réalité complexe et inquiét
ante. L'ironie d'un langage qui ne cesse de jouer avec lui-
même dans un jeu de miroirs infini est peut-être le symp
tôme le plus inaperçu de la crise d'une culture placée sous
le signe de l'équivoque (3) et du faux-semblant. On com
prend alors la passion péguyenne de l'exactitude qui ne
cesse de soupçonner l'usage mensonger : critique de la
rhétorique, et plus particulièrement de la rhétorique
« romantique » des modernes...
Or, cette rhétorique est au cœur de l'expérience linguis
tique des modernes, surtout quand ils veulent dissimuler
l'inquiétude et l'exorciser. Péguy rompra avec Jaurès
quand celui-ci, à son tour (et dès les articles de l'Action
socialiste), se vêtira des draperies officielles, laïcisera la
vieille Providence sous les traits d'un socialisme rendu
fatal par l'évolution des lois économiques.
La lecture péguyenne de Pascal, qui a souvent été souli
gnée, tient pour l'essentiel au même sentiment d'une réa-
(3) Les réminiscences pascahennes sont évidentes, tant chez Jaurès que
chez Péguy. 344 JEAN-FRANÇOIS DURAND
lité « d'inquiétude et d'inconnaissable » (II, 264), d'une
création « bancale et sournoise » (ibid.), qui toujours tient
en échec les rhétoriques optimistes. Dans son fameux
cahier De la grippe (20-02-1900), Péguy confie bonheur
de lire Pascal « parce que j'ai gardé pour ce chrétien une
admiration singulière inquiète » (I, 404). Pascal apparaît
déjà comme un allié substantiel dans la critique des pen
sées confortables — que Jaurès illustrera de plus en plus
— pour qui l'histoire ne peut déboucher que sur une sorte
de parousie. L'ensemble des trois cahiers De la grippe dres
se une machine de guerre contre Renan et tous les
« savants religieux » (I, 432) qui réintroduisent, au cœur
du monde contemporain, d'antiques croyances eschatolo-
giques. Quand la rhétorique moderne ne parvient plus à
jeter son manteau de métaphores sur le réel, celui-ci appar
aît dans sa précarité tragique et dans sa finitude. Le réel
est malade, ou plutôt contient en lui des plaques de mala
die et de corruption. Pour la première fois, Péguy envisa
ge une mort possible de l'humanité, un scénario tout
autre que celui, soupçonné grâce à Pascal et, comme nous
le verrons, à Michelet, des eschatologies romantiques :
« C'est une angoisse épouvantable que de prévoir et de
voir la mort collective [...]. Et comme l'humanité n'a pas
des réserves indéfinies, c'est une étrange angoisse que de
penser à la mort de l'humanité » (I, 420-421). Dans ces
textes puissants, Péguy assigne déjà à la pensée une tâche
dangereuse : celle de dissiper les « enchantements faux »

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