Stendhal, la justice et les juges - article ; n°1 ; vol.44, pg 141-176
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1992 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 141-176
36 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 54
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Michel Crouzet
Stendhal, la justice et les juges
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44. pp. 141-176.
Citer ce document / Cite this document :
Crouzet Michel. Stendhal, la justice et les juges. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1992, N°44.
pp. 141-176.
doi : 10.3406/caief.1992.1784
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1992_num_44_1_1784LA JUSTICE ET LES JUGES STENDHAL,
Communication de M. Michel CROUZET
(Sorbonně)
au XLIIIe Congrès de V Association, le 24 juillet 1991
« Les trois juges entrèrent. Trois échappés des galères, se
dit Fabrice, en voyant ces physionomies basses, et non
pas trois juges ; ils avaient de longues robes noires » (p.
355) (1). Etrange entrée dans le cachot du prisonnier,
étrange renversement : le juge est visiblement le vrai cr
iminel; sa longue robe de charlatan , de «médecin de
Molière », est associée à une indignité, une infamie, une
ignominie si perceptibles que le juge-galérien, figure in
quiétante, est aussi une figure grotesque. Chez Stendhal
il en est toujours de même; son œuvre présente peu de
juges, et comme des silhouettes anonymes, va
gues, mais farcesques et traitées avec férocité. On peut
s'interroger sur cette identification du juge chez Stendhal
à tout ce qui est F« odieux»: «littéraire», «canaille»,
vendus », lâcheté et bassesse ; se demander si la catégorie
du juridique ne lui a pas échappé. Tout le problème de
la justice est qu'elle ne soit pas un rouage du pouvoir et
se distingue de l'administration pure et simple ; chez Sten-
(1) Les références aux romans de Stendhal indiquées dans le cours de l'article
renvoient à Romans et nouvelles, Pléiade, t. I et II, et, pour Le Rouge et le
Noir, à l'édition P-G. Castex, Paris, Garnier, 1973. 142 MICHEL CROUZET
dhal la justice peut-elle être juste, être un domaine auto
nome, autre chose que le simple exercice à peine camouflé
de la force ? Le jeu de massacre auquel son œuvre s'est
livrée dans le monde judiciaire prouverait que, pour lui,
la justice est en soi injuste. Un unique juge juste dans
toute l'œuvre de Stendhal ne sauve pas l'honneur de
tous les autres : c'est ce conseiller De Capitani qui apparaît
fugitivement dans les propos du prince de Parme, qui lui
reproche « d'avoir péroré en faveur de cette opinion rid
icule» que Fabrice méritait tout au plus deux ans de
forteresse. Il n'équilibre pas la série des juges-fonctionn
aires, des juges prévaricateurs, des juges vendus et ven
deurs de la justice. Et pourtant la justice, a écrit Stendhal,
est le premier devoir (2) des princes ; quelle justice sera
digne de la justice ? Le juge qui truque les balances n'est-
il pas le cas exemplaire de la conscience truquée que
désigne le terme à l'emploi si vaste d'hypocrisie ?
•k
* *
En 1804, tandis qu'il réfléchissait à l'infériorité du théâ
tre classique relativement à «la force de notre histoire»
(3), à son parti pris poétique d'idéaliser et d'affaiblir
Г« âpre vérité » du pouvoir et de la politique, Stendhal en
donnait cet exemple : « où est la pièce où nous voyons un
Mazarin dire : donnez-moi deux lignes de l'écriture d'un
homme et je me charge de le faire condamner comme
coupable de trahison par témoin ? » Etre romantique, est-
ce alors dévoiler, sous les apparences rassurantes et opti
mistes de la justice, la férocité de l'oppression. Chose
remarquable, le thème de la justice d'Ancien Régime, de
(2) Voyages en Italie, Pléiade, p. 1034.
(3) Journal littéraire, Cercle du Bibliophile, t. II, p. 66. LA JUSTICE ET LES JUGES 1 43 STENDHAL,
son arbitraire, de son favoritisme inversé, de sa tyrannie,
parcourt avec tant d'insistance le roman, le drame, le
mélodrame romantiques que Ton a l'impression d'une
profonde inquiétude devant le fait de la justice, que ni la
Révolution ni les institutions judiciaires nouvelles et «l
ibérales» n'ont réussi à calmer. Le jury, Henri-François
Imbert l'a montré (4), est suspect, sous la Restauration,
à tout le monde : au pouvoir qui voit Yopinion transfor
mer tous les procès en procès politiques, à l'opposition
qui voit l'administration manipuler les jurés ou les choisir
elle-même. Exemplaire à cet égard le procès de Julien:
par trois fois l'abbé de Frilair répond du verdict (p. 448,
457, 459-60) et se fait fort de contrôler le jury tiré au sort
(5) ; par trois fois il ne cache rien de ses moyens d'influer
sur les décisions des jurés. Mais ce qui emporte la condamn
ation, c'est un autre truquage en sens contraire : la rival
ité Julien-Valenod, l'appel de Julien à l'intérêt social des
jurés, sa transformation délibérée d'un procès pour crime
passionnel en procès politique. De part et d'autre, la
justice est confisquée et détournée. Valenod condamne
Julien « en son âme et conscience » (p. 464).
Mais c'est tout le roman qui étale cette perversion des
juges et de la justice. Depuis l'expérience décisive pour
Julien, du juge de paix « si honnête homme » qui capitule
devant la peur « de perdre sa place » et met la justice au
service de « la Congrégation » (p. 23). M. de Rénal a en
son pouvoir une confiance absolue : s'il tue sa femme et
Julien, « quoi qu'il arrive, notre congrégation et mes amis
(4) Les Métamorphoses de la liberté, Paris, Corti, 1967, p. 565-70.
(5) Voir aussi: p. 139, sur le «directoire» occulte de Valenod composé des
plus nuls de tous les métiers, et comprenant «les deux plus ignares» des
hommes de loi ; p. 334, la ruine et la condamnation de Falcoz voulues par la
congrégation ; p. 463-64, le mot sur l'avocat général « qui aspirait aux faveurs
de l'aristocratie », opposé au « pauvre président des assises, tout juge qu'il est
depuis nombre d'années », condamnant malgré lui Julien. Voir encore, contre
la justice, l'épigraphe du chap. 39 de la IIe partie. 1 44 MICHEL CROUZET
du jury me sauveront» (p. 120). Le philosophe Saint-
Giraud retrouve dans ses malheurs à la campagne «le
juge de paix honnête homme qui craint pour sa place et
me donne toujours tort» (p. 221). Le procès du Marquis
de la Mole et de l'abbé de Frilair, en qui se résume tout
le combat de deux factions, la féodale et la cléricale, est
plutôt tranché en faveur de la seconde (6) ; le marquis a
le droit pour lui, le Garde des Sceaux pour lui, le pouvoir
pour lui,mais il a à distribuer aux juges moins de déco
rations que son adversaire (p. 192-193). Et quel juge
n'est pas faible, n'est pas peureux ou ambitieux? «Or s'il
est permis de le dire : quel est le juge qui n'a pas un fils
ou du moins un cousin à pousser dans le monde?» Le
procès qui n'est qu'un conflit d'influence aboutit à une
transaction au reste favorable à Julien (p. 429). Le type
toujours évoqué des juges «si formalistes, si acharnés
après le pauvre accusé, qui feraient pendre le meilleur
citoyen pour accrocher la croix» (p. 429), ne parvient
jamais à être autre chose qu'une silhouette que Stendhal
transforme volontiers en caricature : « un juge parut dans
sa prison » (p. 434), avait-il écrit, alors que Julien est au
cachot à Verrières; une correction prévue ajoute: «sa
mine était emphatique. Julien savait qu'il sollicitait une
recette de tabac pour un de ses neveux. Un énorme large
ruban blanc soutenait le Lys. La vue de cet être vil dimi
nua le courage de Julien et lui fit mal ». A Besançon, au
juge vendu succède le juge vaniteux et méchant : parce
que Julien ne se défend pas, le magistrat se sent « piqué »
dans son amour-propre professionnel et veut transférer
son accusé « dans un affreux cachot » (p. 442).
Après ces esquisses accablantes, le thème va se pour-
(6) Sur la transaction finale, voir p. 415, 417, 429, 440, 655. Cf, p. 457, ce
mot de M. de Rénal: «nul doute que ce polisson de Valenod et de M. de
Frilair n'obtiennent facilement du procureur général et des juges tout ce qui
pourra m'être désagréabl

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