Esotérisme, religion et histoire dans l’œuvre de Palma Cayet - article ; n°3 ; vol.198, pg 285-308

Myriam Yardeni

Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1981 - Volume 198 - Numéro 3 - Pages 285-308
L'auteur analyse le phénomène extrêmement fréquent des conversions et des reconversions d'intellectuels du seizième et du début du dix-septième siècle par une approche individuelle : le cas Palma Cayet. Cayet est poussé à sa première conversion, du catholicisme au protestantisme, par une faim de savoir et d'érudition, ainsi que par les « snobismes » de son temps. Sa reconversion au catholicisme a pour cause, avec l'opportunisme, son refus du sacerdoce universel, qui mène à une anarchie du savoir et au doute. Cayet cherche à canaliser le savoir à l'aide des principes sûrs de la Tradition. Les grandes disputes théologiques l'aident à cristalliser « sa » religion, où on peut encore retrouver beaucoup de réminiscences protestantes. Réconforté par le rempart de la Tradition, Cayet essaie de multiplier les voies qui mènent au savoir par un ésotérisme assez édulcoré. Bien plus, vers la fin de sa vie, il transpose de plus en plus cet ésotérisme dans le domaine de l'histoire. C'est ainsi que sa conception de l'histoire et sa façon de l'écrire constituent un curieux mélange d'éléments magiques et d'une approche moderne, voire journalistique, des faits contemporains. Les conversions de Cayet sont la quête d'une religion d'un croyant, au seuil du passage de l'esprit d'érudition à l'esprit scientifique.
24 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_DE_L-HISTOIRE_DES_RELIGIONS0
• Publié le: 01 janvier 1981
• Nombre de lectures: 18
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Myriam Yardeni
Esotérisme, religion et histoire dans l’œuvre de Palma Cayet
In: Revue de l'histoire des religions, tome 198 n°3, 1981. pp. 285-308.
Résumé
L'auteur analyse le phénomène extrêmement fréquent des conversions et des reconversions d'intellectuels du seizième et du
début du dix-septième siècle par une approche individuelle : le cas Palma Cayet. Cayet est poussé à sa première conversion, du
catholicisme au protestantisme, par une faim de savoir et d'érudition, ainsi que par les « snobismes » de son temps. Sa
reconversion au catholicisme a pour cause, avec l'opportunisme, son refus du sacerdoce universel, qui mène à une anarchie du
savoir et au doute. Cayet cherche à canaliser le savoir à l'aide des principes sûrs de la Tradition. Les grandes disputes
théologiques l'aident à cristalliser « sa » religion, où on peut encore retrouver beaucoup de réminiscences protestantes.
Réconforté par le rempart de la Tradition, Cayet essaie de multiplier les voies qui mènent au savoir par un ésotérisme assez
édulcoré. Bien plus, vers la fin de sa vie, il transpose de plus en plus cet ésotérisme dans le domaine de l'histoire. C'est ainsi que
sa conception de l'histoire et sa façon de l'écrire constituent un curieux mélange d'éléments magiques et d'une approche
moderne, voire journalistique, des faits contemporains. Les conversions de Cayet sont la quête d'une religion d'un croyant, au
seuil du passage de l'esprit d'érudition à l'esprit scientifique.
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Yardeni Myriam. Esotérisme, religion et histoire dans l’œuvre de Palma Cayet. In: Revue de l'histoire des religions, tome 198
n°3, 1981. pp. 285-308.
doi : 10.3406/rhr.1981.4842
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1981_num_198_3_4842RELIGION ET HISTOIRE ESOTÉRISME,
DANS L'ŒUVRE DE PALMA CAYET*
L'auteur analyse le phénomène extrêmement fréquent des
conversions et des reconversions d'intellectuels du seizième et du
début du dix-septième siècle par une approche individuelle :
le cas Palma Cayet. Cayet est poussé à sa première conversion,
du catholicisme au protestantisme, par une faim de savoir et
d'érudition, ainsi que par les « snobismes » de son temps. Sa
reconversion au catholicisme a pour cause, avec l'opportunisme,
son refus du sacerdoce universel, qui mène à une anarchie du
savoir et au doute. Cayet cherche à canaliser le savoir à l'aide
des principes sûrs de la Tradition. Les grandes disputes théo
logiques l'aident à cristalliser « sa » religion, où on peut encore
retrouver beaucoup de réminiscences protestantes. Réconforté
par le rempart de la Tradition, Cayet essaie de multiplier les
voies qui mènent au savoir par un ésotérisme assez édulcoré.
Bien plus, vers la fin de sa vie, il transpose de plus en plus cet
ésotérisme dans le domaine de l'histoire. C'est ainsi que sa
conception de l'histoire et sa façon de l'écrire constituent un
curieux mélange d'éléments magiques et d'une approche mo
derne, voire journalistique, des faits contemporains. Les conver
sions de Cayei sont la quête d'une religion d'un croyant, au
seuil du passage de l'esprit d'érudition à l'esprit scientifique.
* P. Bayle insiste sur l'orthographe Gayet (cf. Dictionnaire historique et
critique, art. Cayet, note N, éd. 1730, t. III, p. 3) tandis que le pasteur J. Pan
nier sur celle de Cayer (cf. Les Eglises réformées de Paris sous Henri IV, Paris,
1911, réimpression Genève, 1977, p. 52, n. 2). Nous suivons l'orthographe adoptée
par le Catalogue de la Bibliothèque nationale de Paris, Cayet. Son nom exact
est Pierre Cayet, sieur de Palma, et il reçoit le nom de Victor lorsqu'il abjure le
protestantisme en novembre 1595.
Revue de l'Histoire des Religions, cxcvin-3/1981 286 Myriam Yardeni
Pour l'approche individuelle d'un phénomène « sériel »
Le xvie siècle est non seulement le siècle des réformes, de
l'Eglise et de la doctrine, mais aussi le de la quête d'une
religion et d'une vérité individuelles. Ce qui explique, du moins
en partie, pourquoi ce siècle a connu tant de conversions,
d'abjurations, de retours à la « vraie » religion, de reconver
sions et ainsi de suite. Au xvie siècle, on change souvent sa
religion. Certes, ce phénomène ne s'étend pas aux masses,
celles-ci ne traversant, pour la plupart, qu'un seul grand
bouleversement qui est, lui aussi, du moins en partie, l'ex
pression de cette quête individuelle de Dieu1. Par contre, les
intellectuels, les « professionnels » de la religion, prêtres,
prédicateurs, pasteurs, religieux et théologiens qui parcou
rent plus d'une fois, et dans les deux sens, les chemins de la
vraie religion, de «leur » religion, sont innombrables. La France,
à cause de ses guerres de et aussi à cause de la conver
sion spectaculaire de son roi, fournit un terrain de choix pour
l'étude de ce phénomène, même au-delà de la fin du siècle2.
Certes, il serait d'une naïveté flagrante de ne pas prendre
en considération le facteur d'opportunisme, surtout dans les
conversions de la fin du siècle et plus particulièrement celles
qui suivent le « saut périlleux » du roi. Et pourtant, il nous
semble que cette explication est trop facile et qu'elle passe
sous silence les angoisses accumulées, ainsi que la quête
désespérée d'une définition non seulement de la foi, mais
aussi de la religion, dans un cadre plus large et plus sécurisant.
Même le croyant le plus individualiste a moins peur lorsqu'il
se retrouve avec d'autres.
1. Les classiques de notre siècle qui ont posé les principaux jalons de la
recherche de cet « individualisme » religieux : J. Huizinga, Le déclin du Moyen
Age, Paris, 1932 (traduit du néerlandais) ; L. Febvre, Une question mal posée :
Les origines de la réforme française et le problème des causes de la réforme,
Revue historique, CLXI (1929), repris dans Au cœur religieux du XVIe siècle,
Paris, 1957, pp. 3-70 ; A. Tenenti, La vie et la mort à travers l'art du XVe 1952 et plus récemment, J. Delumeau, La peur en Occident, Paris, 1978.
2. « Ces va-et-vient d'une Eglise à l'autre, et même d'un ministère à l'autre,
n'étaient pas très rares alors » (J. Pannier, op. cit., p. 516). Pannier lui-même
mentionne plusieurs exemples (ibid., pp. 504-571). Palma Cayet 287
L'opportunisme nous fournit une explication trop « typo
logique », trop « sérielle » pour être entièrement vraie et
convaincante3. C'est une explication qui néglige totalement
le climat intellectuel et spirituel dans lequel se joue ce long
ballet de conversions et de reconversions. Elle retombe, sous
l'effet paralysant du « cas » Henri IV, dans l'erreur d'une
approche purement matérielle du fait religieux. Afin de
conjurer l'attrait suscité par une explication simple et appa
remment logique, qui place toutes les conversions sous l'op
probre de l'opportunisme, il faudrait reprendre patiemment
les dizaines et peut-être même les centaines de cas de convers
ions et de reconversions d'intellectuels. Ainsi serait-il aisé
de retrouver et de reconstituer le climat de foi, d'angoisse et
de quête de vérité à tout prix et par tous les moyens, y
compris la magie, la cabbale, l'astrologie ou l'alchimie* qui
servait de toile de fond à ce phénomène si répandu de chan
gement de religion. Le cas de Palma Cayet n'est qu'un cas
parmi beaucoup d'autres.
Les conversions de Palma Cayet
La poignée de biographes de Cayet nous apprend qu'il
est né en 1525 d'une famille catholique à Montrichard, en
Touraine5, et qu'il poursuit ses études à Paris grâce à la
3. L'anthropologie religieuse, l'étude de l'homme religieux n'exclut pas,
évidemment, l'étude de ce qu'il y a de « collectif » dans le phénomène et dans
les structures religieux. Cf. A. Dupront, Anthropologie religieuse, in J. Le
Goff et P. Nora (éd.), Faire de Vhistoire, Paris, 1974, t. II, pp. 105-136. Sur la
difficulté du parallèle « individuel et collectif » dans le fait religieux au xvie siècle,
à un autre niveau et dans le cadre d'un autre thématique, cf. B