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La formalisation du rôle d'assistant parlementaire (1953-1995 ...

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La formalisation du rôle d’assistant parlementaire (1953-1995)
Monsieur Éric PHÉLIPPEAU
Université Paris-X Nanterre– Groupe d’analyse politique
En France, les assistants parlementaires restent un personnel largement méconnu en dehors de rares
évocations de leur rôle dans des mémoires et travaux consacrés plus généralement au Parlement. Malgré
l’importance de leurs tâches dans les assemblées comme en circonscription, on est encore tenté de reprendre
à leur sujet le constat formulé par Jean-Claude Masclet il y a près de 25 ans : ils font figure de clandestins
1
.
Ce rôle – c’est-à-dire des activités, des savoir-faire, des pratiques, mais également des représentations et des
perceptions – avait commencé à exister bien avant l’officialisation du titre et de la fonction d’assistant. Sous
la Troisième République, il se développe dans le sillage de grands notables qui se font élire et qui s’entourent
pour rationaliser leur agir parlementaire. Ces derniers font appel à un premier cercle : celui de l’épouse ou du
noyau familial élargi qui prête de manière bénévole et plus ou moins ponctuelle son concours. Les maris
siégeant à Paris, il n’est pas rare que leurs conjointes restent en circonscription. Elles reçoivent les
nécessiteux et font face aux demandes d’intervention, se donnent en représentation et servent la cause de
leurs époux au sein d’oeuvres de bienfaisance ou en rendant visite aux femmes d’autres notables, se muant
ainsi en habiles agents électoraux
2
.
Des élus commencent aussi à recruter des secrétaires qu’ils paient sur leur fortune personnelle afin de veiller
à l’entretien de leur clientèle électorale ou de rédiger leur courrier et tenir leurs journaux locaux. Les groupes
parlementaires qui voient le jour engagent des collaborateurs pour réunir de la documentation sur diverses
questions, ou produire des argumentaires standardisés de débat ou de campagne. L’administration
préfectorale, très politique à l’époque et sujette à de périodiques mouvements d’épuration, offre de nombreux
candidats qualifiés à ces débouchés.
Parallèlement, les assemblées se transforment avec l’ébauche d’une spécialisation du travail parlementaire en
liaison avec l’apparition de positions, d’organes et de procédures plus différenciés (groupes et commissions
permanentes par exemple) qui appellent le recrutement d’un personnel lui-même de plus en plus spécialisé,
ce personnel d’institution apportant aussi son concours aux élus
3
.
Ces expériences politiques partagées et répétées ont fini par former un stock de connaissances peu à peu
sédimentées au sein de rôles. Et ce sont ces rôles qui ont abouti à une forme de reconnaissance par les
Bureaux des assemblées parlementaires : à compter de 1953, les appellations de « secrétaires
dactylographiques » ou de « collaborateurs de bon niveau » sont officialisées, avant d’être remplacées en
1975-76 par les termes « d’assistants parlementaires ». L’émergence des assistants parlementaires s’inscrit
ainsi dans un processus de formalisation très étroitement lié à une « multiplicité [de] discours tenus et [de]
conduites adoptées par un grand nombre d’agents dispersés, engagés simultanément dans plusieurs sites
d’interaction et dont les activités font surgir les différents aspects d’une identité institutionnelle irréductible
au seul discours officiel »
4
. La consolidation de ce rôle fait écho à des processus de codification qui ont
participé à ce lent travail de mise en forme.
En la matière, la focale peut se concentrer sur la période qui court de 1953, date de l’adoption par les
assemblées d’une indemnité de secrétariat, à 1975-76, moment où les parlementaires se voient pour la
première fois offrir la possibilité de recruter un collaborateur qualifié sur contrat de droit privé. Revenir sur
cette période au cours de laquelle s’affermissent ces fonctions présente un intérêt très précis. S’engager de la
sorte dans une réflexion sur la redéfinition de ces entourages politiques permet de prolonger l’analyse d’un
processus plus large de division du travail politique lui-même très étroitement lié à une dynamique de
professionnalisation politique amorcée depuis déjà près d’un siècle.
UNE LENTE ET SUBREPTICE INVENTION
La reconnaissance officielle de ce personnel est une invention récente
5
. Il s’agit même d’une création
subreptice et lente. Lente, parce que la formalisation de ce rôle s’est étalée sur une bonne vingtaine d’années.
Deux dispositions réglementaires importantes en encadrent l’histoire : la création en juin 1953, par le Conseil
de la République, d’une aide dactylographique (étendue en novembre de la même année aux membres de
l’Assemblée nationale), et la décision de novembre 1975 du Bureau de l’Assemblée permettant aux députés
d’engager un assistant parlementaire sous contrat de droit privé (mesure reprise par les sénateurs le 1er
janvier 1976).
L’aide dactylographique instituée en 1953 brièvement supprimée en 1958, est rétablie puis modifiée, en
octobre 1968 et en mai 1970. Ces deux dispositions n’appellent évidemment pas le recrutement de
collaborateurs identiques : dans le premier cas, le parlementaire engage des auxiliaires destinés à des tâches
de secrétariat, dans le second, il recrute un « collaborateur de bon niveau, pour l’aider dans son travail
politique et législatif »
6
. On aurait pourtant tort d’opposer radicalement ces deux profils, ne serait-ce parce
que les assistants de bon niveau exécutent souvent des activités très terre-à-terre.
Ces deux rôles sont en fait complémentaires : la création de l’indemnité dactylographique, puis des assistants
parlementaires, sont même indissociables et illustrent la poursuite d’un processus de division du travail
politique sur lequel on reviendra dans la troisième partie. Subreptice, ensuite, parce que ces innovations ont
été introduites en catimini.
Cette discrétion fait écho à de « bonnes raisons historiques ». Sous les Seconde et Troisième Républiques, la
question des moyens de travail du Parlement était essentiellement confondue avec celle de l’indemnité
parlementaire, dont le niveau devait permettre de couvrir l’ensemble des frais induits par l’exercice du
mandat. Or, en la matière, même si savants
7
et politiques s’accordent sur l’importance du lien qui unit le
versement d’une indemnité aux élus à la démocratisation du recrutement du personnel politique, force est de
constater que les parlementaires se montrent peu éloquents sur leur indemnité et plus généralement sur leurs
moyens d’action.
Chaque fois que ces problèmes matériels surgissent, ils font immédiatement le jeu de violentes critiques. À
tel point que sous la Troisième République, les députés ont longtemps hésité avant d’augmenter leur
indemnité. Ils sont d’ailleurs parvenus à soustraire le plus possible au débat public cette question en
imaginant en 1938 une solution plus discrète pour procéder à son élévation de manière automatique, via son
indexation sur le traitement des hauts fonctionnaires du Conseil d’Etat
8
.
Afin d’éviter de redonner trop de prise à ces attaques, la reconnaissance officielle de ces nouveaux
collaborateurs à compter de 1953 a donc été initiée très discrètement, par ces étroits cénacles que constituent
les Bureaux des deux Assemblées. Ce qui n’est pas sans poser problème à la recherche. Au Sénat, les
services rédigent un compte rendu intégral des débats du Bureau qui exclut la communication au public
d’extraits de procès-verbaux.
Le secret qui caractérise ce mode de fonctionnement est présenté comme la meilleure garantie en faveur de la
pleine et entière liberté de parole des sénateurs. À l’Assemblée, si ces extraits existent et sont communiqués,
le problème est d’une autre nature. Il tient dans le cas présent tout simplement à leur laconisme. Il suffit de
prendre connaissance de l’extrait du procès-verbal de la réunion du Bureau du 13 novembre 1975 à l’origine
de la création des assistants parlementaires dont le contenu tient en ces quelques lignes pour s’en convaincre :
« Conditions d’exercice du mandat parlementaire : sur le rapport de M. Bayou et après intervention de M. le
Président, de MM. Godon, Labbé, Defferre, Begault, Bignon, Schloesing, Anthonioz, Forens, Rickert et
Rieubon, le Bureau décide de permettre à chaque député, si possible dès janvier 1976, le recrutement d’un
collaborateur dont les émoluments seront pris en charge par le budget de l’Assemblée nationale ».
Ces initiatives ne sont guère parvenues à enrayer les critiques antiparlementaires habituelles
9
. « La
clandestinité des affaires publiques fai[t] apparaître ses contradictions internes en produisant des réactions
opposées », observait déjà Simmel en son temps
10
. Il suffit de se pencher sur la réforme de 1953 pour en
avoir une parfaite illustration. Celle-ci débute avec l’introduction en juin 1953 de l’indemnité de secrétariat
par le Bureau du Conseil de la République.
Le 9 juillet, c’est au tour de celui de l’Assemblée de l’adopter, avant que n’éclate en octobre la fronde d’une
vingtaine de députés porteurs de propositions de résolutions visant à contrer ce projet. Le Bureau de
l’Assemblée confirme malgré tout cette nouvelle disposition en novembre, peu avant la discussion et le vote
du budget qui entérine définitivement cette mesure par l’Assemblée les 10 et 11 décembre de la même année.
Cette allocation de secrétariat est dès le départ discrètement décidée par le Bureau du Conseil de la
République, puis adoptée par celui de l’Assemblée, malgré des oppositions exprimées en son sein : Mme
Estachy et M. Denis, « sans contester l’utilité de l’indemnité de secrétariat, insistent en effet sur
l’inopportunité de la date à laquelle elle a été établie » ; tandis que MM. Peytel et Mercier en contestent eux
le principe même, le dernier estimant par ailleurs cette nouvelle disposition parfaitement « illégale »
11
. À
défaut d’être entendus du Bureau, les adversaires se mobilisent sur un autre terrain. L’indemnité spéciale
mensuelle de 25000 francs décidée sans aucun vote de l’Assemblée et dont les membres apprennent
l’avènement par voie de presse aboutit à une augmentation de 188,1 millions de francs des dépenses de
l’Assemblée nationale et de l’Assemblée de l’Union française.
Or, cette mesure que certains opposants s’ingénient à présenter comme une augmentation déguisée de
l’indemnité parlementaire, intervient dans le contexte des décrets-lois Laniel-Reynaud qui visent à faire des
économies et dans une ambiance très tendue, marquée par de très fortes grèves.
La nouvelle disposition commence donc par susciter des remous dans la presse et l’opinion. Des députés sont
pris à parti sur cette indemnité qu’ils s’accordent alors que le climat social est à l’austérité. Certains
parlementaires, liés au PCF, aux groupes paysans et attachés au RPF, auxquels se mêlent quelques élus MRP,
alimentent et reprennent ces critiques. M. Durbet et Mme de Lipkowski proposent ainsi une résolution «
tendant à la renonciation volontaire pour les membres de l’Assemblée Nationale à l’allocation de 25.000 fr.
pour frais de secrétariat ».
Parallèlement, M. de Léotard et plusieurs de ses collègues déposent une résolution tendant à différer son
règlement. MM. Brusset et Bignon invitent pour leur part le Bureau à obtenir sa suppression. Jean Pébellier et
plusieurs de ses collègues plaident en faveur de l’annulation de cette décision du Bureau. De La Trémouilhe
appelle les parlementaires à reverser cette indemnité tout en plaidant en faveur de la création « d’un service
de documentation, de recherches et d’information parlementaires ».
Jacques Bardoux demande la suspension de cette prime de secrétariat. Buron et Bouxom offrent de réserver
son versement « aux députés dont les ressources sont essentiellement constituées par l’indemnité
parlementaire » et engagent « à créer ultérieurement un véritable secrétariat parlementaire, ainsi qu’un
service de documentation ». Deixonne et Baurens militent de leur côté pour l’ouverture d’une « enquête sur
le train de vie des parlementaires, et particulièrement des députés qui se sont déclarés prêts à renoncer à
l’indemnité de secrétariat ». Au terme de cette effervescence, un débat a lieu les 10 et 11 décembre. Pour la
circonstance, MM. Guitton et Bessac présentent un amendement tendant à réduire de 188 millions le crédit
du chapitre « indemnité de secrétariat », la mesure ayant pour conséquence de supprimer tout simplement
ladite indemnité.
André Dufour, très virulent, assimile lui cette indemnité de secrétariat à une « augmentation déguisée de
l’indemnité parlementaire » tout en rappelant « l’indignation » suscitée par cette mesure auprès de maints
travailleurs alors que vient d’être repoussée « la revendication du salaire minimum garanti à 133 francs de
l’heure » et que persistent des « salaires de famine ». À l’issue de ces débats n’ayant drainé dans l’hémicycle
qu’une trentaine de parlementaires, le projet de résolution des dépenses de l’Assemblé est finalement adopté
au grand jour : l’amendement de Antoine Guitton visant à supprimer le crédit « frais de secrétariat » ayant été
suivi seulement par 119 votants contre 419.
Pourquoi avoir attendu 1953 pour officialiser pour la première fois ce rôle constitutif de l’entourage
parlementaire ? Pourquoi tant de bruit et de prudence autour de cette disposition ? En quoi cette prime de
secrétariat était-elle de nature à attiser autant la colère dans l’arène parlementaire ? En fait, il se pourrait bien
que toutes ces passions se soient cristallisées autour d’un symbole. Ce que l’on voit poindre en effet derrière
cette première mesure – et d’autres qui suivront – c’est toute une série de transformations qui touchent en
profondeur la fonction parlementaire elle-même.
UNE RESSOURCE INDIVIDUELLE ET PRIVEE
Derrière le chapelet des dispositions qui aboutissent à la reconnaissance officielle de ce rôle d’assistant, une
première évolution importante s’opère sur le mode de la transmutation d’une ressource collective en une
ressource individuelle. Dès les années 1930 en effet, il existe un secrétariat collectif à l’Assemblée : une
douzaine de dactylographes est susceptible d’être employée par environ 600 députés. Parallèlement, les
groupes parlementaires ont mis en place des équipes de collaborateurs au service de leurs membres. Sous la
Quatrième République, avant la réforme de 1953, des parlementaires modestes se sont par ailleurs entendus
pour « sociétiser »
12
ce personnel en partageant à plusieurs les coûts de secrétariats collectifs.
Les obligations incombant aux élus paraissent devenues plus lourdes. « Nous siégeons en permanence,
s’exclame ainsi l’élu SFIO Maurice Deixonne. On nous sollicite pour des conférences, des interviews, des
visites. Voici un chiffre officiel : 6 millions de plis sont expédiés annuellement par l’Assemblée nationale.
Cela représente 10.000 lettres par député, soit une moyenne de 30 lettres par jour. Dans ces conditions, si
vous n’avez pas un secrétariat quelque peu étoffé, comment voulez-vous faire face matériellement à cette
pluralité d’obligations contradictoires ? Je vais vous dire comment j’ai personnellement résolu le problème.
Nous avons fondé à quatre une espèce de petite coopérative et nous avons un secrétaire commun, soit un
quart de secrétaire par député. […] Je suis un coopérateur fervent et, en ce sens, cela me fait plaisir. Mais je
ne serais pas en peine de donner du travail à un licencié en droit, qui me ferait les quelques petites recherches
dont j’aurais besoin en matière législative, et à une sténodactylo à qui je pourrais, à toute heure du jour, dicter
mon courrier.
Mais je ne le puis pas, et cela me gêne »
13
. Fin 1967, une concertation est encore impulsée autour du
Président de l’Assemblée en liaison avec ceux des différents groupes en vue de mettre sur pieds un secrétariat
collectif à la disposition des députés. Mais cette initiative échoue. L’orientation retenue combine une aide
dactylographique pour plusieurs députés adossée à un recrutement d’administrateurs afin d’étoffer le service
d’information de l’Assemblée.
À cette date encore, la solution du recrutement d’assistants n’est toujours pas retenue « pour prévenir le
risque d’une politisation d’une partie du personnel de l’Assemblée »
14
. Deux décisions importantes signalent
la réorientation du recrutement des secrétaires des parlementaires sur une base plus individuelle. Le 23
octobre 1968, le Bureau décide la prise en charge par le budget de l’Assemblée d’une contribution aux frais
de secrétariat des députés sur la base du recrutement d’un secrétaire pour cinq députés. Moins de deux ans
plus tard, le 20 mai 1970, cette décision est modifiée sur la base d’un secrétaire pour un député.
Le 1 janvier 1980, la pénurie fait presque place à l’opulence, l’indemnité de secrétariat se voyant majorée de
1.000 francs pour permettre à tout député de recruter deux secrétaires : l’un à Paris, l’autre en circonscription.
Le 1 janvier 1982, cette « aide dactylographique » est alors renommée « indemnité de secrétariat » et finit par
englober les salaires et charges patronales du personnel dactylographique, ainsi que les dépenses diverses de
secrétariat (location et entretien de locaux, matériel de bureau, téléphone, etc.).
Ce recrutement individualisé des secrétaires gagne les autres types de collaborateurs. L’assistant
parlementaire est ainsi lié par un contrat intuitu personae à un élu
15
. Le Sénat fit bien un temps sur cette
question exception, avec la création, en juin 1976, d’une Association de Gestion des Assistants des Sénateurs
(AGAS) tenant à l’époque un rôle largement fictif d’employeur des assistants des sénateurs. Mais cette
option qui avait été imaginée pour répondre à toute une série de défis d’ordre fiscal, contentieux et pratique,
se révéla très vite porteuse de nouvelles incertitudes alors que les motifs qui avaient justifié son avènement
étaient finalement tombés.
L’AGAS fut donc réformée fin 1977 : la qualité d’employeur fut transférée aux sénateurs et l’association
cantonnée dans un rôle de cabinet de gestion
16
. Cette individualisation du recrutement qui concerne
l’ensemble des collaborateurs des parlementaires fait écho à une autre évolution qui a touché plus
précisément les assistants. Pour ces collaborateurs politiques plus qualifiés, la tentation de s’appuyer sur des
ressources d’institutions publiques, déjà
existantes17
a cédé la place à un recrutement d’ordre privé.
À la fin des années 1960, face au déficit d’aide technique que déplorent les élus, une première solution se
dessine : faire appel au concours et au savoir-faire des fonctionnaires parlementaires en poste. Cette solution
n’a rien d’extravagant. Il existe à l’Assemblée un centre d’information et de documentation rattaché au
service de la Présidence dont l’action est assez limitée et discrète. Étoffer ce service aurait pu permettre
d’offrir une large gamme de compétences humaines et techniques aux parlementaires demandeurs. En 1973,
le député André Chandernagor plaide d’ailleurs en faveur de la création de pools d’assistants recrutés en
qualité de fonctionnaires parlementaires
18
.
Mais ces propositions restent lettre morte. Les parlementaires se retrouvent donc portés à la tête de petites
entreprises politiques en s’attachant les services personnels de salariés, placés sous leur direction, qui les
assistent dans l’exercice de leur travail quotidien
19
. Au-delà de la description de ces tendances, comment les
lire et quelles significations leur conférer ? En fait, il est possible de déchiffrer derrière ces dynamiques à
l’oeuvre la poursuite d’un procès de professionnalisation des élus engagé en France depuis le début des
années 1860 et orchestré dans le cas présent autour d’un renforcement de la division la du travail politique.
PROFESSIONNALISATION POLITIQUE ET RENFORCEMENT DE LA DIVISION DU TRAVAIL
L’invention du métier d’élu et, plus généralement, la professionnalisation politique, peuvent être pensées non
seulement comme le produit d’une construction historique en relation avec toute une série de transformations
structurelles de la politique, mais aussi comme le résultat de multiples tensions sociales entre les candidats à
l’occupation de fonctions électives, les unes conduisant des notables à se convertir à la politique, les autres,
des militants à se notabiliser
20
. En transposant ici cette logique de réflexion, comment s’observe alors la
formalisation des postes de collaborateurs parlementaires ?
L’invention de l’assistanat est d’abord indissociable de toute une série d’autres transformations qui affectent
la fonction parlementaire. Depuis la fin des années 1960, un vent de réforme souffle au Parlement
21
. Jacques
Chaban-Delmas lance des groupes de réflexion sur la réforme du travail parlementaire dès juin 1967. À partir
de novembre 1968, une commission spéciale présidée successivement par André Fanton, puis Jean-Philippe
Lecat, se penche également sur cette question.
En décembre 1971, vient s’ajouter à ce concert de voix celle de Roland Nungesser. Avec la présidence d’E.
Faure (1973-78), l’affichage de la réforme du travail parlementaire devient même une priorité. Diminuer la
durée des débats, accroître leur intérêt, changer les règlements des chambres, le mot d’ordre est à l’époque
toujours le même : il faut moderniser le Parlement
22
.
Or cet enjeu de la modernisation fait écho à une demande générale d’amélioration des conditions de travail
des parlementaires qui réclament plus de moyens matériels et humains, des logements, des bureaux, des
salles de réunion, de l’assistance intellectuelle, etc. La création des assistants parlementaires intervient dans
ce contexte.
D’un côté, se profile l’acquisition en 1974 de l’immeuble du 101 de la rue de l’Université qui offre de
nouvelles commodités aux parlementaires pour remplir leurs fonctions ; de l’autre, la technicité accrue des
problèmes et le développement de nouveaux outils législatifs comme les questions d’actualité les invitent à
ne plus recruter simplement d’efficaces secrétaires les secondant dans la gestion des relations avec leur
circonscription
23
, mais aussi de nouveaux auxiliaires « de bon niveau juridique », qui les assistent « dans la
préparation de leurs travaux législatifs »
24
. La création des assistants parlementaires gagne ainsi à être
resituée dans le prolongement de ces multiples initiatives portées par divers parlementaires entrés en
résistance contre l’abaissement de leur rôle
25
.
La lecture des mémoires d’A. Chandernagor, dont le nom revient constamment dans ce combat, jette un
éclairage intéressant sur ces entreprises : l’engagement récurrent de cet élu en faveur de la modernisation des
moyens de travail du Parlement se déploie sur le fond d’un tableau plus large où se mêlent les apprentissages
et expériences de ce jeune membre du Conseil d’État converti à la politique, ayant accumulé les
responsabilités locales et nationales, et se montrant soucieux de rationaliser et d’organiser au mieux ses
multiples engagements en même temps que de défendre et d’accroître les prérogatives de son institution de
rattachement
26
.
A. Chandernagor est l’un des premiers parlementaires à réclamer le recrutement d’assistants, mais sur la base
: « d’un pour une dizaine de députés du même groupe […]. Et ce, dans une spécialité déterminée, pour
laquelle ils auraient reçu une formation préalable. Ces assistants auraient travaillé d’abord pour les
socialistes, par exemple, puis se seraient mis à la disposition d’un groupe de la majorité. Des fonctionnaires
doivent pouvoir servir alternativement des hommes appartenant à des tendances politiques différentes ».
Pour A. Chandernagor il faut éviter de laisser le recrutement des assistants à la discrétion de chaque
parlementaire car le risque est alors grand de dériver vers un « assistanat local ». « Si cela doit soulager le
député et lui laisser plus de temps pour son travail législatif, c’est une bonne chose, mais en fait il a quand
même besoin d’être assisté techniquement pour son travail législatif proprement dit »
27
. « Qu’on nous
entende bien, précise ailleurs l’élu creusois, il ne s’agit pas de transformer des parlementaires en techniciens,
ni de faire qu’à l’intérieur même du Parlement des spécialistes se substituent aux parlementaires.
Il s’agit, par le truchement des assistants et des experts – traducteurs spécialisés de la connaissance technique
– d’établir un lien qui, à l’heure actuelle, n’existe pratiquement pas, du moins au Parlement, entre deux
ordres d’activité essentiels, la recherche d’une part, la représentation des désirs et des intérêts des populations
de l’autre »
28
.
À ce stade, et indépendamment de toute modernisation aboutie ou non de la fonction parlementaire, le fait
que députés et sénateurs soient des professionnels incite à mettre l’accent sur l’enjeu que constitue pour eux
le fait de se faire réélire. Sous ce rapport, leurs plaintes relatives à l’état de leurs conditions de travail
méritent d’être prises en considération.
Celles-ci font ressurgir la sempiternelle question de la situation matérielle des députés et permettent de
renouer avec le problème du recrutement non ploutocratique des élus soulevé il y a déjà plus de quatre-vingt
ans par M. Weber. Si l’on revient à l’adoption en 1953 de la première aide dactylographique que constate-t-
on ? L’ordre politique y est faiblement institutionnalisé, « singulièrement fragilisé » même
29
. La Chambre
renouvelée en 1951 accueille 35% de nouveaux venus en politique. Ces novices ne sont sans doute pas
étrangers aux entreprises de contestation des règles du jeu politique et aux projets réformateurs qui fleurissent
à l’époque.
Le tableau offert est aussi celui d’élus dont la situation matérielle apparaît préoccupante. La Chambre
comprend près de 40% de parlementaires originaires de la petite et moyenne bourgeoisie, du monde agricole
et de la classe ouvrière. Or dans la plupart des cas, l’élection place ces individus devant l’obligation de devoir
renoncer à exercer leur métier d’origine, pour ne plus vivre que de leur seule indemnité parlementaire. Cette
situation n’est vraisemblablement pas étrangère au dépôt d’une proposition de résolution tendant à instituer
en 1953 une enquête sur le train de vie des parlementaires.
Le 9 novembre 1953, les questeurs de l’Assemblée livrent aux membres du Bureau un rapport au sein duquel
l’évaluation des charges du mandat législatif est présentée comme suit :
Calcul de l’indemnité
Évaluation des frais de mandat
Indemnité législative
1.572.000
Prix d’une chambre d’hôtel
(10 mois de présence par
an à Paris à 600 francs par
jour)
180.000
Indemnité de résidence
224.750
Entretien et amortissement
d’une voiture
140.000
Frais de transports
9.600
Communications
téléphoniques de province
50.000
Total des Ressources
1.806.350
Dons, souscriptions,
subventions
60.000
Caisse de pensions
207.480
Repas pris à Paris (180
jours par an à 1.000 francs
par jour)
180.000
Abonnements aux chemins
de fer et métropolitain
55.978
Participation aux frais de
secrétariat de Groupe pour
la préparation du travail
parlementaire
60.000
Sécurité sociale
14.542
Abonnements
indispensables à quelques
journaux et revues
15.800
Total des charges 278.000
Total 685.800
Indemnité globale nette
annuelle
1.528.350
Reliquat disponible
842.200
Au vu de ces éléments comptables, il reste environ 70.000 francs par mois pour couvrir non seulement les
frais de secrétariat, mais aussi les besoins familiaux du parlementaire. « Lesdits frais de secrétariat pouvant
être évalués, en moyenne, à 30.000 francs par mois, y compris les charges sociales, il ne reste donc plus au
parlementaire, pour alimenter son foyer toute l’année et y vivre lui-même six mois, qu’une somme de 40.000
francs par mois, c’est-à-dire la solde d’un adjudant de gendarmerie, le traitement d’un instituteur débutant, ou
d’un secrétaire de mairie d’une ville de 2000 à 5000 habitants »
30
.
On comprend mieux dans ces conditions l’intérêt pratique qu’aient pu trouver les parlementaires de l’époque
à développer autres ressources que leur seule indemnité parlementaire pour exercer convenablement leur
métier politique. Si l’on examine enfin plus précisément les qualités attendues des assistants, on ne peut
qu’être frappé par la résurgence de toute une série de contingences qui rappellent d’anciennes tensions qui se
nouèrent naguère entre élus notables et militants et qui participèrent au façonnement du métier politique. On
ne dispose malheureusement pas d’enquêtes systématiques permettant de tracer l’évolution de la morphologie
du corps de cette population d’assistants depuis 1976. Pour saisir la permanence de tensions sociales à
l’oeuvre derrière ces recrutements, il faut donc se rabattre sur quelques indicateurs très sommaires.
Les contrats de travail offrent une piste
31
. Leur examen montre qu’à l’Assemblée, aucune condition de
diplôme, pas plus que de restrictions concernant les liens de parenté entre le député et ses collaborateurs ne
sont fixées. Cette grande liberté rappelle directement le style et les manières de faire d’élus notables autrefois
soucieux de s’attacher des collaborateurs ayant leur totale confiance comme certains de leurs proches ou de
leurs parents.
L’uniformisation du métier d’élu permet toutefois aujourd’hui aux députés dans leur ensemble de pouvoir
recourir à des recrutements de ce type. La situation diffère quelque peu au Sénat : au-delà de 65 ans, nul ne
peut devenir assistant et pour investir ce rôle, le niveau bac ou équivalent est requis. Les emplois familiaux
sont limités à un par famille et le salaire versé ne peut être supérieur au tiers de la dotation. L’arrêté n°95-190
du 12 décembre 1995 du Bureau interdit toute dérogation de diplôme pour ces emplois familiaux.
Ces conditions de recrutement confèrent ainsi une image plus moderne et exemplaire au Sénat. L’évocation
de ces grandes lignes identifiées à la lecture des contrats de travail des assistants parlementaires reflète en
tout cas parfaitement combien leur recrutement renvoie à la prise en considération par leurs employeurs
d’exigences contradictoires et de qualités complémentaires : celles du notable, du militant et de l’expert
parlementaire.
Il est possible de compléter ce tableau en rassemblant les quelques informations sociographiques contenues
dans différents autres travaux
32
. Celles-ci suggèrent qu’entre 1980 et nos jours, il y aurait eu un
accroissement de la qualification de ce personnel et que la proportion des parlementaires employant un
assistant familial serait d’environ 30%, à l’Assemblée comme au Sénat. En 1980, les emplois d’assistants
parlementaires n’attirent qu’une faible proportion de diplômés de troisième cycle (3% selon Pillot-
Chanteloube).
En 1984 en revanche, l’enquête de B. Kern (sur 109 assistants de sénateurs et 170 assistants de députés pour
une population totale de 1900 assistants) montre que si 18% des assistants de députés et 9% des assistants de
sénateurs n’ont pas de diplôme ou un diplôme inférieur au bac, l’élévation du niveau de diplôme obtenu s’est
tout de même considérablement accrue : 14 et 18% ont le niveau bac et BTS, 43 et 53% se situent entre le
DEUG et la maîtrise, 25 et 20% possèdent un troisième cycle.
En 1999, au Sénat, 17% des assistants sont sans diplôme ou pourvus d’un diplôme inférieur au bac, 20%
détenteurs du bac, 42% porteurs d’un diplôme allant du DEUG à la maîtrise et 21 bénéficient d’un troisième
cycle. Pour les emplois familiaux, Pillot-Chanteloube annonce 92 assistants parlementaires membres de la
famille d’un sénateur.
Pour l’Assemblée nationale, le nombre serait nettement supérieur à 100 selon H. Algalarrondo dans son
enquête « Profession : femme de parlementaire… » sous-titré « C’est l’un des secrets les mieux gardés de la
République » et publié dans Le nouvel observateur du 2 décembre 1999. Comparativement à ces
recrutements notabiliaires persistants, qu’en est-il du poids du recrutement des militants ? Celui-ci ne semble
pas aussi déterminant qu’on pourrait le croire. Ainsi par exemple, sur les 208 assistants suivis par l’enquête
de J. Fretel et J. Meimon, 104 seulement déclarent une appartenance partisane (47 à gauche et 57 à droite).
La question de l’implantation locale ou parisienne reflète également ces tensions, l’ancrage des
collaborateurs en circonscription rimant plutôt avec un investissement notabiliaire de terrain, la localisation à
Paris renvoyant plutôt l’image d’élus plus soucieux de se positionner sur le plan parlementaire et partisan.
D’après Pillot-Chanteloube, en 1999, 55,6% des assistants des sénateurs sont en circonscription contre 44,4%
à Paris, pour les assistants des députés les proportions sont de 70 contre 30. Au final, tout se passe ainsi
comme si la professionnalisation politique des élus trouvait un prolongement sur le terrain du recrutement de
leurs auxiliaires. Les profils attendus, déchiffrables à la lecture des contrats de travail, et les informations
sociographiques disponibles, permettent de tracer les contours d’une population associant différents savoir
faire qui se sont progressivement rapprochés à la faveur du lent processus de la professionnalisation politique
: savoirs notabiliaires relationnels et clientélaires, savoirs militants liés à la fabrication d’un oeil politique et
savoirs de la technique parlementaire attachés à la parfaite maîtrise des routines et règlements des
assemblées. Il y a toutefois là un paradoxe : ces auxiliaires concourent au façonnement de la profession
parlementaire tout en faisant figure de « clandestins » au Parlement.
DES AUXILIAIRES EN QUETE D’UN STATUT PROFESSIONNEL
La reconnaissance officielle du rôle d’assistant parlementaire est intervenue tardivement, après bien des
tergiversations, suite à une décision du Bureau de l’Assemblée prise sans concertation avec le Sénat, qui
commença d’ailleurs par se montrer fort réticent à cette nouvelle mesure. Avec cette décision, les
parlementaires entendaient améliorer leurs conditions de travail sans paraître accroître leurs émoluments. Il
ne s’agissait guère en tout cas de créer un nouveau métier.
Le problème est que cette fonction, quoique précaire, s’est installée dans la durée et quelle s’est même
développée, puisque pour l’Assemblée nationale, les parlementaires ont depuis 1995 le droit de recruter trois
assistants (ces trois postes pouvant être scindés en temps partiels de sorte qu’un sénateur peut recruter jusqu’à
six collaborateurs contre cinq pour un député).
Cette population ne s’est pas simplement étendue numériquement, elle s’est aussi transformée
qualitativement. Elle est notamment devenue plus qualifiée. Et l’image de l’étudiant devenu assistant pour
payer ses études, ou celle de l’assistant licencié en droit, ne reflète plus fidèlement la situation des titulaires
de ces postes. Outre les Instituts d’études politiques, les postulants à ces fonctions ont vu s’ouvrir des
formations de plus en plus spécialisées : publiques, comme à Assas ou à Nanterre et Paris I, et parfois privées
(comme l’ISMAPP). Les motivations pouvant présider à l’entrée dans ces emplois ne sont pas non plus
restées les mêmes avec le renouvellement de ce personnel.
L’impression qui prévaut est celle d’un décalage entre d’un côté, ces assistants, porteurs de qualifications,
d’attentes, et de l’autre, le vécu au quotidien de leurs fonctions et leurs rapports à leurs employeurs
33
.
Comment analyser autrement la récurrente sortie au grand jour des récriminations de ces collaborateurs
habituellement prédisposés à respecter une certaine obligation de réserve ?
En 1982, 1984, 1990 et plus récemment en 2002, la « colère des ombres » des Assemblées s’est ainsi
exprimée à plusieurs reprises par voix de presse interposée pour revendiquer l’amélioration des conditions de
travail de ce « tiers état du personnel de l’Assemblée » dont certains membres ont de plus en plus la
douloureuse impression de représenter un groupe de « salariés à la marge du droit du travail »
34
. Certes, ces
plaintes ne font pas l’unanimité
35
. Ce d’autant que même si les activités exercées par les titulaires de ces
fonctions présentent de nombreuses similitudes, la grande famille des assistants parlementaires est très loin
de former un corps unifié tant sont fortes les différences de statuts prévalant à l’Assemblée nationale, au
Sénat et au Parlement européen
36
. Tout se passe donc comme si une partie de ces collaborateurs n’était plus
en mesure de se réaliser dans ces fonctions.
En fait, le poste et les règles qui encadrent ce rôle n’ont guère changés, contrairement à ses occupants. Les
assistants, qui ne parviennent guère à obtenir de nouveaux droits, oscillent entre deux mondes. D’un côté,
celui de leurs employeurs vis-à-vis desquels les frontières sont clairement tracées. Comme le rappelle
l’article 8 du contrat de travail liant l’assistant à son député, celui-ci « s’engage à apporter une collaboration
loyale » à son employeur, « il s’impose une obligation générale de réserve et de discrétion » et, « sous peine
de rupture de contrat, il s’engage à ne pas accepter de responsabilités politiques et à ne solliciter aucune
fonction élective dans le département d’élection » de son parlementaire « sans avoir demandé et obtenu son
accord écrit ».
De l’autre, celui des fonctionnaires parlementaires – à la fois complémentaires et défiants à l’égard des
assistants – qui forment une population également au service des élus, mais qui bénéficie de garanties
professionnelles et statutaires mieux établies que ces derniers
37
. Il n’est pas étonnant dans ces conditions
qu’aient fini par voir le jour de multiples tensions. Diverses organisations représentatives de ce milieu, à
défaut de pouvoir parler d’une profession, ont été structurées à gauche comme à droite, au Sénat comme à
l’Assemblée, pour défendre les revendications professionnelles et statutaires des assistants : Association
Française des Collaborateurs Parlementaires, Union syndicale des Collaborateurs parlementaires, Cercle des
Collaborateurs de députés, etc. Et avec ces organisations, est évidemment très vite venu le temps de l’action
collective : du « sit-in » à l’Assemblée, à l’assignation en justice des 577 députés, en passant par la mise au
point d’une fiche de poste
susceptible de faciliter la reconnaissance d’un réel statut. Pour le moment, ces organisations restent
fragmentées et leurs actions non concertées. Il n’est pas certain que l’affiliation politique des unes et des
autres soit d’un grand secours au regard des revendications qui les animent. On pourrait certes rejeter la faute
sur les parlementaires et déplorer leur faible empressement à s’atteler à la mise au point d’un statut mieux
établi susceptible de faire de leurs assistants des professionnels reconnus.
Mais d’une certaine façon, ces réserves sont à la mesure de leurs propres réticences à se déclarer «
professionnels de la politique ». C’est aussi ce qui fait que « l’activité politique ‘parfois revendiquée comme
un art, largement perçue comme un métier, mais ne possédant que partiellement les propriétés d’une véritable
profession,’ demeure largement indéterminée et comme bénéficiaire et victime d’une sorte de flottement
social entourant sa définition, ses contours, son identité propre »
38
.
Cette recherche n’aurait pu voir le jour sans le précieux concours : à l’Assemblée, de Monsieur Georges
Bergougnous, Madame Sophie Colrat, Monsieur Laurent Klein, Madame Hélène Parra, et Monsieur François
Peyssard ; au Sénat, de Monsieur Philippe Bachschmidt, Madame Marianne Duranton, Madame Catherine
Maynial, Monsieur Eric Schahl, Madame Françoise Souliman, et Monsieur Georges-Eric Touchard, auxquels
je renouvelle mes remerciements.
1
. J.-C. Masclet,
Le rôle du député et ses attaches institutionnelles sous la V
èm e
République
, Paris, LGDJ, 1979,
p.140. Connaître ce qu’ils sont permettrait pourtant de mieux comprendre ce qu’ils font comme le suggèrent G.
Courty et T. Havel dans leur contribution page ? ? ?.
2
. Pour une illustration cf. Y. Pourcher,
Les Maîtres de granit. Les notables de la Lozère du XVIII
èm e
siècle à nos
jours
, Paris, Orban, 1987.
3
. Voir H. Fayat, « L’Assemblée Nationale », dans V. Duclert, C. Prochasson,
Dictionnaire critique de la
République
, Paris, Flammarion, 2002, pp. 663-664 et sa communication aux présentes journées d’études sur
« Les dépenses de l’Assemblée de la Restauration au premier conflit mondial ».
4. Selon la « formalisation » définie par B. Lacroix et J. Lagroye
in Le Président de la République. Usages et
genèses d’une institution
, Paris, Presses de la FNSP, 1992, p. 10.
5
. Cette recherche repose sur une série de documents communiqués par les services de l’Assemblée, du Sénat et de l’Association
de gestion des assistants des sénateurs (AGAS) et sur la note de M. Priou, « Les collaborateurs non-fonctionnaires des
parlementaires » publiée dans
Informations constitutionnelles et
parlementaires
, n°138, 1
ère
série, 2
èm e
trimestre 1984, pp.51-57.
Sur l’évolution des moyens d’action des parlementaires, voir C. Gibel, « L’évolution des moyens de travail des parlementaires »,
Revue française de
science politique
, vol.31, n°1, février 1981, pp.211-226, T. Renoux, « Les moyens d’action de l’Assemblée
nationale »,
Pouvoirs
, n°34, 1985, pp.67-88 et E. Sallenave, « Un renforce ment des moyens d’action du Parlement »,
Revue
française d’administration publique
, n°68, octobre-décembre 1993, pp.547-557.
6
. Discours de clôture d’E. Faure devant l’Assemblée du 20 décembre 1975.
7
. On peut ici aussi bien évoquer les analyses développées par Max W eber dans
Le savant et le politique
, (1919) que celles mises
en avant par Eugène Pierre dans son
Traité de droit politique électoral et parlementaire
(1914, 3
èm e
édition).
8
. Sur ces dénonciations liées à l’augmentation de l’indemnité parlementaire en France qui encouragent leur retrait des débats de
l’arène parlementaire, voir A. Garrigou, « Vivre de la politique. Les ‘quinze mille’, le mandat et le métier »,
Politix
, n°20, 1992.
9
. Sempiternelles attaques qui alimentent régulièrement l’allumage de contre-feux comme l’illustrent l’article non signé de
Samedi
soir
du 26 novembre 1953 paru dans le contexte de la création de l’indemnité dactylographique et donnant des éléments
d’information sur le budget des députés : « MM. les députés : ‘Nous ne roulons pas sur l’or’ ».
10
. G. Simmel,
Secret et sociétés secrètes
, Circé-poche, 1996, p. 48.
11
. Extrait du procès-verbal de la réunion du bureau du 26 novembre 1953.
12
. M. W eber,
Economie et société
, tome 2, Agora [Pocket], 1995, p.204.
13
. Plaidoyer extrait de son intervention prononcée devant l’Assemblée et reproduite au
Journal Officiel
du 11
décembre 1953. D’autres illustrations de secrétariats communs sont présentées dans P. W illiams,
La vie politique
sous la IV
èm e
République
, Paris, A. Colin, 1971, pp. 348-49.
14
. Citation extraite du procès-verbal du bureau de l’Assemblée nationale du 23 octobre 1968.
15
. Le caractère individuel et personnalisé de ce lien vient d’être réaffirmé avec l’arrêt rendu le 18 février 2004 par
la Cour de Cassation qui confirme le jugement rendu le 21 mai 2002 par le tribunal d’instance de Paris déboutant
la demande formulée par l’UNSA-USCP tendant à voir reconnaître l’existence d’une unité économique et sociale
entre les députés composant l’Assemblée nationale pris en leur qualité d’employeur de collaborateurs
parlementaires.
16
. Sur ces points les sources consultées sont :
Statuts de l’Association pour la Gestion des Assistants des
Sénateurs
, 22 mai 1976, 4 pages et
Assemblée générale extraordinaire de l’AGAS, Rapport moral du Président
,
sans date (mais postérieur à la réunion du Bureau du Sénat du 23 novembre 1977), 5 pages.
17
. Concernant les fonctionnaires des assemblées parlementaires mieux connus voir C. Journès,
« L’administration des assemblées parlementaires sous la V
èm e
République »,
Revue de droit public
, n°2, marsavril
1978, pp.321-360, J. Klein, « Une carrière administrative peu connue : le fonctionnaire parlementaire »,
La
revue administrative
, n°194, avril 1980, pp.131-138, S. Campbell, J. Lap orte, The Staff of the Parliamentary
Assemblies in France »,
Legislative Studies Quarterly
, VI, 4, November, 1981, pp.521-531 et B. Moreau,
« Autonomie et carrière : le statut des fonctions publiques parlementaires »,
Revue française d’administration
publique
, n°68, octobre-décembre 1993, pp.521-535.
18
. A. Chandernagor, « Le rôle du député »,
Après demain
, n°150, janvier 1973. On trouve déjà sous sa plume ,
cette idée de « la mise à disposition d’un certain nombre de parlementaires (dix par exemple), groupés par
affinités politiques et par spécialités techniques, d’un assistant, membre du personnel de l’Assemblée, qui les
seconderait de manière permanente dans leur travail parlementaire proprement dit » dans
Un Parlement pour
quoi faire ?
, Paris, Gallimard, 1967, page 175. J. Duhamel intervient également dans les colonnes du
Monde
du
23 juin 1967 sur les conditions matérielles de travail des parlementaires en demandant que des administrateurs
et des secrétaires soient mis à la disposition des groupes.
19
. S’il semble qu’un voyage des questeurs de l’Assemblée aux Etats-Unis en août 1974 ait fourni de nombreux
arguments à la création de la fonction d’assistant parlementaire, le dispositif introduit en France n’est évidemment
pas comparable aux staffs qui entourent les parlementaires américains. La métaphore de l’entreprise
parlementaire s’ajuste par conséquent mieux à ces dernier comme le montrent R.H. Salisbury, K. A. Shepsle,
« U.S. Congressman as enterprise »,
Legislative Studies Quarterly
, VI, 4, november 1981, pp.559-576.
20
. On se permet ici de renvoyer au cadre d’analyse que nous avons développé dans
L’invention de l’homme
politique moderne. Mackau, l’Orne et la République
, Paris, Belin, 2002.
21
. L’ampleur de ces initiatives entre 1967-75 est bien mise en évidence dans D. Hochedez, « La réforme du
travail parlementaire 1958-1988 »
in
Association française des constitutionnalistes,
La réforme du travail
parlementaire à l’Assemblée nationale. Journées d’études du 15 mars 1991
, Economica, Presses universitaires
d’Aix-Marseille, 1992, pp. 19-41.
22
. Pour un aperçu de cette préoccupation d’E. Faure qui se targuait d’avoir su créer un climat favorable aux
initiatives diverses de rénovation des méthodes du travail parlementaire se reporter dans ses archives
personnelles au dossier AP/505(II)/273.
23
. Sur la lourdeur des relations épistolaires avec la circonscription, voir M.-T. Lancelot, « Le courrier d’un
parlementaire »,
Revue française de science politique
, vol.XII, n°2, pp.426-432 et J.-C. Escarras, C. Im p eriali, R.
Pini,
Courrier parlementaire et fonction parlementaire
, Paris, PUF, 1971. Le lien entre technicité accrue des
problèmes et renforcement des moyens à disposition des parlementaires est souligné par J.-P. Duprat,
« L’évolution des conditions du travail parlementaire en France : 1945-1995 »,
Les petites affiches
, 29 janvier
1996, n°13, pp.4-15.
24
. Rapport de MM. Les questeurs à M
m es
et MM. Les membres du bureau sur les conditions d’exercice du
mandat parlementaire, 29 octobre 1975, 3 pages.
25
. Voir G. Carcassonne, « La résistance du Parlement à l’abaissement de son rôle » dans O. Duhamel et J.-L.
Parodi (dir.),
La Constitution de la V
èm e
République
, Paris, Presses de la FNSP, 1988.
26
. A. Chandernagor,
La liberté en héritage
, Paris, Flammarion, 2004.
30
. Rapport des questeurs à MM. les membres du bureau, 9 novembre 1953, 8 pages.
31
. On s’appuie ici sur la lecture du contrat de travail standard fourni par l’Assemblée nationale et sur l’arrêté n°95-
190 du bureau du Sénat du 12 décembre 1995. Pour le Sénat, il semble que certaines incompatibilités avec ces
fonctions d’assistant (fonctionnaires, anciens fonctionnaires parlementaires, leurs conjoints et descendants et les
conjoints des sénateurs, leurs descendants et conjoints) ont été introduites en décembre 1976, alors que les
conditions de diplôme l’ont été en 1980.
32
.
Avant le travail plus systématique de J. Fretel et J. Meimon, « Secrétaire ou mercenaire : le métier de
collaborateur de député de l’Assemblée nationale », pages ? ? ?, ce personnel avait donné lieu à d’autres
travaux, souvent focalisés sur des questions statutaires : L. Zylberberg,
Le personnel et la fonction parlementaire
vu à travers l’étude des assistants des députés socialistes
, mémoire de DEA, Université Paris 1, 1984, B. Kern,
Les assistants parlementaires
, mémoire IEP d’Aix en Provence, 1986, S. Peyrard,
Les assistants parlementaires
,
mémoire IEP de Grenoble, 1991, H. Pillot-Chanteloube,
Les assistants parlementaires
, mémoire de DEA,
Université Jean Monnet – Saint-Etienne, 2000. Voir aussi les indications plus brèves de M. Ameller, G.
Bergougnous,
L’Assemblée nationale
, Paris, PUF, 2000, pp.61-63 et M. Abélès,
Un ethnologue à l’Assemblée
,
Paris, Odile Jacob, 2000, pp.72-80.
33
. Ce qu’ils déplorent parfois comme l’illustrent deux articles du
Monde
de Clarisse Fabre : « Les assistantes
parlementaires en ont marre de servir le café (29 novembre 2000) et « Les assistants de député ne veulent plus
être traités comme des employés de maison » (23 juin 2001).
34
Citations du
Quotidien de Paris
, 30 octobre 1990 et de l’article de Clarisse Fabre du
Monde
« Une vague de
licenciements frappe les assistants des députés de gauche battus » du 26 juin 2002. Sur les conflits de 1982 et
1984, voir
Le Monde
du 14 mars 1982 et du 25 mai 1984,
Libération
du 2 avril 1982, du 26 avril 1984, du 24 mai
1984 et du 25 septembre 1984,
Le figaro
du 27 avril 1984 et du 24 mai 1984,
Le quotidien de Paris
du 24 mai
1984 et
Le matin de Paris
du 24 mai 1984.
35
Voir la lettre de 70 assistants de députés socialistes publiée par
Le Monde
du 2 décembre 2000 en réponse à
l’article de Clarisse Fabre déjà cité du 29 novembre.
36
. H. Pillot-Chanteloube,
Les assistants parlementaires, op. cit.
, pp. 12-40.
37
.
Ibid
, pp. 32-33, sur l’évocation des tensions nées de l’apparition d’assistants plus diplômés qui viennent
concurrencer les fonctionnaires parlementaires traditionnellement chargés de préparer la rédaction des
propositions de loi et des amendements. Au moment de l’officialisation du rôle d’assistant parlementaire, le
rapport des questeurs du 29 octobre 1975 aux membres du bureau évoquait déjà ces risques de frictions : « Un
point très important reste à préciser afin d’éviter des froissements de susceptibilité, générateurs d’incidents : les
rapports avec les services de l’Assemblée nationale devront, comme part le passé, être assurés par les députés,
personnellement, et ne sauraient en aucune manière être confiés à leur nouveau collaborateur ».
38
. P. Lehingue, « Vocation, art, métier ou profession ? Codification et étiquetage des activités politiques », dans
M. Offerlé (dir.),
La profession politique XIX
èm e
-XX
èm e
siècles
,
op. cit.
, p. 93. Voir dans le même recueil la
contribution de D. Damamme, « Professionnel de la politique, un métier peu avouable », pp. 37-67.
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