La lettre à Mahomet II
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La lettre à Mahomet II

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Langue Français
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Extrait

PIE II,
LETTRE AU SULTAN MAHOMET II,
ET AUTRES TEXTES,
édités par Paul Gaillardon et Tristan Vigliano,
présentés par Natacha Salliot.




Les Mondes Humanistes (GRAC - UMR 5037), 2010 La lettre de Pie II

La chute de Constantinople en 1453 marque un tournant dans l’histoire de l’Europe.
Face à l’avancée de l’Empire ottoman, Enea Silvio Piccolomini n’a de cesse d’appeler à
l’unité contre l’ennemi turc et de critiquer la désunion des monarques chrétiens. Dans son
1Discours du désastre de Constantinople , il leur impute la prise de l’ancienne capitale de
l’Empire byzantin. Devenu pape en 1458 sous le nom de Pie II, il poursuit sa tentative de
coalition contre l’adversaire musulman, les dernières années de son pontificat étant marquées
2par un ultime appel à la croisade .
Dans un tel contexte, la lettre que Piccolomini compose en 1461 et adresse à
Mahomet II peut paraître surprenante. L’épître développe un projet destiné à pacifier
durablement les relations entre l’Orient et l’Occident. Pour mettre un terme à la menace
turque, le pape propose au sultan de se convertir au christianisme, afin d’asseoir son autorité
sur ses nouvelles conquêtes. Mahomet II deviendra de la sorte, tel un nouveau Constantin le
Grand, le possesseur légitime de l’empire d’Orient et, très certainement, le plus puissant des
monarques de la chrétienté, s’il se décide à se faire baptiser. Comme l’a souligné Jean-Claude
Margolin, l’épître de Pie II intrigue, dans la mesure où elle semble se détacher de sa
« politique anti-ottomane et de sa volonté d’union et de coalition de tous les États de la
3Chrétienté ». En effet, quelques années auparavant, Piccolomini usait de mots très durs pour
qualifier son adversaire : à présent, il met en avant son désir de conciliation et mesure ses
propos, par un désir évident d’être écouté, comme le montre le texte, notamment dans la
4captatio benevolentiae de l’exorde . La tentative d’accord pacifique, dans l’espace de la lettre,
n’en débouche pas moins sur un dernier projet guerrier, conséquence logique d’une
conversion qui n’a pas eu lieu.
On ne sait pas si Mahomet II a reçu l’épître, ni s’il y a répondu. Il existe bien une
réponse (Epistola Morbisani Magni Turcae ad Pium Papam II), mais l’authenticité en paraît

1 Dans son discours de 1454, Pie II s’exprime en ces termes : « Vains noms, têtes peintes, que ce pape et cet
empereur ; chaque cité a son roi, et il y a autant de princes que de demeures » (cité par Ph. Braunstein, « Confins
eitaliens de l’Empire : nations frontières et sensibilité européenne dans la seconde moitié du XV siècle », dans La
e eConscience européenne aux XV et XVI siècles, Paris, 1982, p. 48).
2 Il meurt en 1464, peu de temps après avoir déclaré la guerre sainte et annoncé qu’il en prendrait la tête.
3 J.-C. Margolin, « Place et fonction de la rhétorique dans la lettre de Pie II à Mahomet II », Pio II e la cultura
del suo tempo, éd. L. Rotondo Secchi Tarugi, Milan, A. Guerini, 1991, p. 243.
4 Lettre au sultan Mahomet II, trad. P. Crespet, chap. I : « Accipe quae scribimus in bonam partem, et usque in
finem patienter audi » (« […] reçoy de bonne part ce que nous t’escrivons, et prens le loisir d’y mediter avec
patience, en les lisant depuis le commencement jusques à la fin »).
3
5extrêmement douteuse . En traitant directement avec le sultan, le pape poursuit plusieurs
objectifs, dont le plus évident à la lecture de l’œuvre demeure une entreprise apologétique,
visant à le persuader de la Vérité du christianisme et de la nécessité, tant spirituelle que
politique, de sa conversion. Ce faisant, Pie II ne perd pas pour autant de vue ses projets
d’unification de la chrétienté contre un ennemi commun : car il vise aussi, par son épître, les
princes européens. Le projet consistant à reconnaître la souveraineté du chef de l’Empire
ottoman sur l’Empire d’orient prend alors une toute autre résonance et peut être lu comme une
6admonestation à des monarques chrétiens peu unis . En effet, la lettre du pape suggère un
moyen pour le sultan de « dilater [s]on Empire sur la chrestienté, et acquerir une gloire
immortelle » : ce moyen, c’est la conversion, qui demeure la condition non négociable à
laquelle est soumise la reconnaissance de sa domination, et la légitimation par le pape de son
7pouvoir . Pie II élabore par conséquent un texte qui s’inscrit pleinement dans les débats sur la
puissance du Saint-Siège, et sur sa capacité à faire ou à défaire les rois : question très
edébattue, récurrente au Moyen Âge, et qui connaîtra une importante postérité au XVI siècle.
Dès le début de l’épître, le pape n’hésite pas à suggérer que Mahomet II, devenu chrétien,
serait le bras armé du pouvoir spirituel contre des princes trop émancipés à l’égard de la
8papauté, ou tentés de lui ravir son pouvoir . Les enjeux de cette lettre sont donc nombreux : et
cependant, elle demeure avant tout un discours persuasif, adressé par Pie II à un adversaire
politique, dont la confession n’est pas la sienne.
Cette lettre est une apologie du christianisme, une « instruction de la foy chrestienne »,
ainsi que le souligne la traduction de Pierre Crespet, que l’on étudiera plus en détail par la
suite. Elle est également une œuvre de controverse religieuse, qui s’attache à réfuter les
erreurs de l’adversaire, pour le détacher d’une croyance jugée fausse. Pie II s’inscrit en cela
dans une longue tradition, héritée des Pères de l’Église. Une tradition qui connaît bien des
suites à l’époque moderne, en particulier au sein du christianisme, avec l’apparition des

5 La lettre, qui figure dans les textes de ce corpus, est également reproduite dans l’édition de G. Toffanin
(Napoli, Pironti, 1953).
6 Lettre à Mahomet II, trad. et préface A. Duprat, Paris, Rivages poche, 2002, p. 9. Bayle s’appuie sur l’Histoire
de Mahomet II de Guillet (1681) pour souligner dans son Dictionnaire historique et critique que la lettre de
Pie II n’avait vraisemblablement pas le sultan pour destinataire réel, mais plutôt les souverains chrétiens, dans un
esprit d’appel à la croisade.
7 Lettre au sultan Mahomet II, éd. cit., chap. V.
8 Ibid., chap. VII : « Quod si baptizatus esses, et nobiscum ambulares in domo Domini cum consensu, nec illi
tuum imperium tanto tempore formidarent, nec nos eis adversus te ferremus opem : sed tuum potius brachium in
eos imploraremus, qui jura ecclesiae Romanae nonnunquam usurpant, et contra matrem suam cornua erigunt »
(« Que si tu en estois baptizé, et que tu fusses d’accord avec nous en une mesme foy et creance, ils ne seroient en
telle perplexité, et ne refuseroient à vivre sous ton sceptre : et nous autres serions relevez de la sollicitude de les
secourir contre tes effors, au contraire nous te ferions humble requeste de leur estre clement, benin, gratieux, et
favorable, et serois comme nostre coadjuteur, pour extirper ceux qui taschent de rompre et abolir les franchises
de l’Eglise Romaine, et s’eslevent contre leur mere »). 4
Réformes protestantes. Le discours du pape s’adresse à un musulman qui demeure très
largement appréhendé sous les traits, familiers, de l’hérétique.
L’hérésie est traditionnellement conçue comme un choix erroné : une déformation de la
9croyance authentique, qui précèderait nécessairement l’apparition de l’erreur . Conformément
à une tradition ancienne, illustrée notamment par Jean Damascène, Pie II rappelle que le
christianisme est l’accomplissement du judaïsme, et s’attache à montrer que l’islam ne serait
qu’une déformation du christianisme : laquelle est attribuée à des hérésiarques connus, en
10particulier Nestor . La religion instituée par le prophète Mahomet ne peut être, selon cette
conception, qu’un surgeon de la Révélation du Christ et de la Nouvelle Alliance – qu’une
création de l’esprit humain influencé par le Démon, par opposition à la Révélation, qui vient
11de Dieu . Si la vision de la divergence confessionnelle exposée ici par le pape demeure
tributaire de la représentation traditionnelle de l’hérétique, elle permet cependant de
dévaloriser la croyance adverse, sans pour autant l’exclure définitivement : l’hérétique n’est
pas nécessairement l’altérité radic

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