Le Christ destin de l homme
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Description

"Le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné." Issue de la Constitution Gaudium et Spes du concile Vatican II, cette phrase est fondatrice de l'anthropologie chrétienne, domaine si souvent négligé des études théologiques. Mgr Laffitte nous livre un grand nombre de réflexions sur des thèmes aussi divers que la famille, l'amour, la vie, la souffrance et la mort, la conscience morale, la société, l'agir chrétien, le Pardon, le Cœur du Christ.
Ce qui frappe à la lecture de ces pages est la grande unité qui s'en dégage, qui fait de cet ouvrage une contribution décisive à la réflexion chrétienne sur la nature de l'homme, sa place dans la société, ses aspirations et ses choix, son origine et sa destinée. La lumière de la Révélation éclaire toutes les dimensions de l'existence et de ces expériences humaines fondamentales, qu'évoquait si souvent le bienheureux Jean-Paul II.
En des temps où se dérobent une à une les colonnes qui soutiennent la structuration de l'être humain dans toute sa complexité, et en particulier où les liens de filiation et de paternité s'affaiblissent, l'auteur dessine les contours d'une véritable anthropologie filiale - l'expression est appelée à faire date -, seule apte à donner à l'homme une compréhension du sens de sa vie, en même temps que la réponse aux questionnements et inquiétudes qui habitent son esprit et son cœur. Le Fils éternel révèle à chacun le secret de son être créé : il est fils dans le Fils, choisi et aimé de toute éternité, et destiné à vivre éternellement de l'amour du Père.


Sujets

Informations

Publié par
Publié le 19 octobre 2012
Nombre de lectures 29
EAN13 9782728916856
Langue Français

Extrait

Image couverture
Image pagetitre

À mes parents, Georges et Françoise,

In memoriam

Introduction

Rassembler dans un même volume des textes écrits sur un grand nombre de thèmes et dans des circonstances diverses, sur une période d’une quinzaine d’années, est un exercice périlleux et un vrai défi : comment leur donner une unité ? Leur regroupement en parties, en chapitres, en centres d’intérêt, ne suffit pas. S’il existe une unité, elle doit apparaître comme une évidence et trouver son origine ailleurs, dans une source d’inspiration, un style ou une méthode. Il faut aussi que, d’une certaine manière, chacun de ces textes soit relié aux autres. Lorsque le classement de ces articles fut accompli, ce fut une grande surprise pour l’éditeur et moi-même de constater que se dégageait de l’ensemble une unité formelle, qui ne s’est pas démentie au cours des mois de réflexion et de relecture qui suivirent. Deux raisons, à mon sens, contribuent à cette impression d’unité : la première tient à la nature de l’anthropologie chrétienne ; la seconde provient de la pensée de Jean-Paul II qui a inspiré, directement et indirectement, la recherche et l’enseignement qui ont été conduits à l’Institut d’études sur le mariage et la famille, qui porte son nom.

L’anthropologie théologique a acquis depuis un demi-siècle ses lettres de noblesse ; elle est enseignée dans de nombreuses universités catholiques dans le monde et a donné lieu à des contributions théologiques de haut rang. Tous les auteurs se sont un jour ou l’autre référé à cette phrase de la Constitution pastorale Gaudium et Spes (§ 22) du concile Vatican II qui est un peu la pierre de fondation d’une matière devenue une discipline théologique à part entière :

En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné. Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir, le Christ Seigneur. Nouvel Adam, le Christ, dans la révé­lation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation.

Le regard que l’anthropologie théologique porte sur la nature de l’homme, sur ce qui en fait cet être unique dans l’ordre créé, sur ses aspirations, sur le sens qu’il donne à son existence et sur son devenir, sur ses actions et ses choix, ne se limite jamais à l’horizon de ce monde ; il intègre au contraire ce que, dans le domaine de l’amour humain, le bienheureux Jean-Paul II appelait le « dessein de Dieu », une sorte de délibération divine que traduit avec bonheur l’expression latine. Le consilium Dei, en effet, évoque tout ce qui spécifie l’intelligence et la cohérence du projet divin, lesquelles ne se révèlent à l’homme de bonne volonté que peu à peu, au travers des expériences essentielles qui sont les siennes : l’amour, le don de soi, le don de la vie, la souffrance, la mort des êtres chers et la perspective de sa propre disparition, ses désirs profonds, la joie intense qu’il éprouve parfois, sa relation aux autres, ses choix existentiels, ses décisions morales, ses capacités d’empathie et de compassion, sa participation au bien de tous ; mais il englobe aussi la relation de l’homme à Dieu, implicite et explicite, sa vie théologale, son appartenance ecclésiale, sa conscience du salut que le Christ opère, son souci des âmes, sa charité surnaturelle. L’homme est porté à découvrir que Dieu est lié à tout ce qui regarde ses aspirations les plus profondes et, en particulier, à son désir d’un bonheur qui ne finit pas. La vision et le dynamisme chrétiens offrent une intelligibilité unifiée de la condition de l’homme, à condition toutefois de ne réduire en rien ce qu’impliquent la souveraineté de Dieu, sa toute-puissance, sa justice insondable et sa miséricorde infinie.

L’ensemble des textes présentés ici s’inscrit dans le cadre de recherches effectuées au cours de deux décennies d’enseignement auprès de l’Institut pontifical Jean-Paul II, à Rome et dans les différentes sections de l’Institut dans les cinq continents. Il est nécessaire de rappeler, même brièvement, l’histoire d’un institut universitaire voulu et décidé par le pape Jean-Paul II. L’annonce de sa fondation, de même que celle de l’érection du Conseil pontifical pour la Famille, devait être faite au cours de l’audience du 13 mai 1981, jour où Ali Agça attenta à la vie du Saint-Père. Pour bien comprendre l’intention du pape, il convient de se resituer dans le contexte du début des années quatre-vingt. Le philosophe moraliste, devenu successeur de Pierre, ne pouvait que s’alarmer devant la diffusion dans le monde chrétien de courants culturels et de systèmes éthiques, dont certains lui semblaient incompatibles avec le contenu de la Révélation. Parmi les traits qui les caractérisaient, on pourrait citer pêle-mêle : le rejet de la loi naturelle, la contestation de la compétence du magistère de l’Église en matière morale, les différentes variantes des théories utilitaristes et conséquentialistes, l’affirmation d’une autonomie radicale de la conscience morale, avec le pouvoir qui lui était attribué de créer ses propres valeurs et ses normes de discernement, l’oubli radical de l’objet de l’acte humain dans le jugement moral et, pour ce qui touche à l’éthique chrétienne, la séparation radicale entre christologie et morale, pour ne citer que les plus connues parmi ces tendances. Le débat n’était pas seulement une question intellectuelle discutée entre experts ; plusieurs de ces idées se diffusaient parmi les chrétiens, confrontés au cours de ces années-là à de nouveaux défis dans leur vie quotidienne. Dans le domaine de la vie conjugale, l’enseignement de l’encyclique Humanae Vitae n’avait pas encore été intégré et demeurait l’objet de violentes contestations. La stabilité de la cellule familiale était de plus en plus mise à mal. Les années quatre-vingt furent celles où apparut le divorce par consentement mutuel, banalisant ainsi le choix juridique d’une alternative au maintien du lien conjugal. Jean-Paul II eut conscience que l’enjeu des décennies à venir porterait sur les questions éthiques et anthropologiques. Quelques années plus tard, se firent jour de nouvelles problématiques morales, engageant toujours davantage des technologies scientifiques : développement des procédés de fécondation in vitro, perspectives de clonage, techniques invasives de diagnostic prénatal avec, en corollaire, la marginalisation de plus en plus nette, puis la suppression dans le sein de leur mère des enfants handicapés, la revendication de l’euthanasie et, en certains endroits, du suicide assisté. La dépénalisation de l’avortement dans de nombreux pays et la diffusion de techniques toujours plus sophistiquées de contraception ne contribuèrent en rien à diminuer le nombre effectif des interruptions volontaires de grossesse, et très spécialement celui des avortements clandestins. Aux problèmes liés à la morale fondamentale des années soixante-dix et quatre-vingt, s’ajoutèrent ainsi des questions toujours plus nombreuses en matière de bioéthique. Jean-Paul II fut très vite persuadé qu’un chantier gigantesque s’ouvrait et qu’il nécessiterait une grande mobilisation des chrétiens. Rappelons pour mémoire qu’il fonda en 1994 l’Académie pontificale pour la Vie dont il confia la première présidence au professeur Jérôme Lejeune.

C’est dans ce contexte très évolutif que l’Institut d’études pour le mariage et la famille, sous l’impulsion de ses premiers présidents, les théologiens aujourd’hui cardinaux, Carlo Caffarra et Angelo Scola, déploya son activité de recherche et d’enseignement, autour de deux axes prioritaires : la morale (fondamentale et spéciale) et l’anthropologie (théologique et philosophique). Dès le départ, cependant, l’Institut fut attentif à ne pas négliger l’apport des sciences humaines d’une part, et celui de la théologie biblique et sacramentaire d’autre part. Ce bref rappel historique serait incomplet si l’on oubliait l’apport capital qu’ont représenté les Catéchèses du mercredi sur l’amour humain prononcées par le pape entre 1979 et 1984. L’Institut fut chargé de la première publication d’une édition critique qui parut dès 1985 en langue italienne, et qui en est à sa dix-huitième édition. On ne mesure certainement pas encore l’impact prodigieux que ces textes ont eu et continuent d’avoir sur les couples et les familles, dans les pays où ils furent enseignés. Ils ont en particulier donné naissance à des dizaines d’associations conjugales et familiales, dans le monde anglophone et hispanophone notamment. Des éditions critiques existent en plusieurs langues (anglais, espagnol, portugais, tchèque). Ce travail scientifique d’approfondissement et de transmission reste à faire dans le monde francophone.

L’Institut Jean-Paul II a été aussi amené à approfondir de façon scientifique et dans une optique pastorale quelques problématiques qui ont exprimé, au cours des dernières années, une véritable révolution anthropologique et sociale, et dont la plus récente et la plus spectaculaire est la diffusion de l’idéologie du genre (gender). Au plan législatif, de nombreuses mesures ont contribué à affaiblir la cellule conjugale et familiale, généralement par la reconnaissance juridique concédée à des unions de fait alternatives au mariage. Ces circonstances plutôt alarmantes ont, cependant, offert à l’Institut l’occasion d’approfondir sans relâche la richesse de l’apport du magistère de l’Église et de l’anthropologie du pape polonais. On se souvient qu’en très peu d’années furent publiés des textes magistériels retenus aujourd’hui comme fondamentaux : l’instruction Donum vitae, la partie morale du Catéchisme de l’Église Catholique, la lettre apostolique Mulieris Dignitatem, les encycliques Veritatis Splendor et Evangelium Vitae, la Lettre aux familles

Ajoutons à cela qu’après quelques années d’existence, l’Institut Jean-Paul II fut sollicité par de nombreuses conférences épiscopales et universités pour ériger des sections dans différents pays, susceptibles de formuler en différentes langues et cultures la richesse d’un tel patrimoine.

Ce parcours historique des vingt dernières années a donc été le contexte dans lequel les textes présentés dans ce volume ont été écrits ou prononcés. Ils regardent plus en particulier des thèmes liés à l’éthique générale ainsi qu’à la morale conjugale et familiale, sans oublier des aspects spécifiques de l’agir chrétien, comme le pardon. Ce dernier sujet revêtit une importance toute particulière, en raison du lien entre pardon et communion conjugale et familiale, et aussi en raison de l’imminence du Jubilé de l’An 2000, qui vit toute l’Église engagée dans un processus de purification de la mémoire qui impliquait demandes de pardon et démarches pénitentielles.

Les textes présentés ici forment une sélection de vingt-sept articles choisis parmi les soixante-dix publiés au cours de ces vingt dernières années. Une note brève, en annexe, dira les différentes revues où la plupart d’entre eux furent publiés. Avec le recul de ces années, il me semble opportun de redire combien la réflexion de Jean-Paul II s’est révélée capable d’imprégner les différentes expressions de la pensée chrétienne, dans les contextes culturels les plus variés. Il y eut d’abord l’intérêt suscité par ces recherches éthiques et anthropologiques parmi de nombreuses églises particulières, qui envoyèrent étudier à Rome des laïcs et des prêtres en provenance de pays toujours plus nombreux. Ce brassage culturel s’est avéré particulièrement fécond, si l’on pense au rythme avec lequel furent érigées canoniquement les différentes sections de ­l’Institut dans le monde : Washington D.C. en 1988, Valence en 1994, Mexico City en 1996, Salvador de Bahia en 2001, Cotonou en 2001, Changanacherry en 2001, sans compter les instituts associés et les projets futurs d’érection de nouvelles sections : Melbourne, Beyrouth, Incheon (Corée du Sud)… Des centaines et des centaines d’étudiants, en licence, en doctorat et dans les différents masters, se sont formés dans l’ensemble de ces centres. Nombreux sont ceux qui ont accédé au fil des ans à de grandes responsabilités ecclésiales, universitaires ou associatives. De très nombreux laïcs ont créé des structures d’enseignement et développé des actions pastorales à destination des couples et des familles. La production bibliographique, elle aussi, a été très abondante, tant au sein de la section romaine que dans les autres sections. J’ai eu pour ma part l’occasion de me rendre compte de la fécondité de la pensée de Karol Wojtyla dans des contextes non chrétiens. Je pense en particulier à des pays comme le Japon, ou encore à des instances politiques internationales. Cette capacité de l’approche wojtilienne à pénétrer en diverses cultures et à capter l’attention de jeunes auditoires, tient à la méthode de Jean-Paul II qui, pour s’adresser à tous les hommes de bonne volonté, partait systématiquement de ce qu’il décrivait comme les expériences humaines fondamentales au cœur de l’homme, expériences communes à tous. Les fruits magistériels de son pontificat ont été préparés, on l’oublie souvent, par des décennies de travail philosophique et anthropologique conduit dans la perspective d’une pastorale authentiquement chrétienne, c’est-à-dire embrassant toutes les dimensions de la personne humaine : son intelligence, sa recherche de Dieu, son accueil de la grâce, son affectivité.

L’un ou l’autre texte évoquera l’héritage philosophique qui fut le sien, et en particulier son désir d’intégrer au réalisme de la pensée chrétienne les apports de la réflexion philosophique moderne sur la conscience et l’intériorité de la personne. En un sens, le philosophe Karol Wojtyla s’inscrit bien dans la suite de Max Scheler, d’Edith Stein, de Dietrich von Hildebrand, empruntant vraisemblablement à ce dernier son souci ­d’approfondir dans un sens chrétien la communion des personnes. La communio personarum, qu’il a déclinée de tant des manières, était pour lui le mode de vivre l’expérience chrétienne. Le climat particulier qui a toujours régné à l’Institut entre professeurs, étudiants et personnel, d’une certaine manière, a exprimé quelque chose d’une telle expérience de communion.

Au-delà de telle ou telle école particulière de pensée, l’une des caractéristiques de la méthode Wojtyla a été de ne jamais éluder la portée existentielle et spirituelle d’un choix moral : nul artifice littéraire dans des argumentations qui visaient constamment à mettre l’homme en face de sa responsabilité, envers lui-même, envers les autres et envers Dieu. Ce fut particulièrement évident dans son approche de l’amour humain, d’où étaient bannis toute superficialité et tout réductionnisme. Il n’édulcorait jamais le caractère événementiel de la foi, toujours reconductible, selon lui, à la rencontre de l’homme avec le Christ. Deux exemples révélateurs : il fit précéder le noyau de Veritatis Splendor, peu aisé d’accès, d’un long chapitre sur la rencontre de Jésus avec le jeune homme riche. Toute l’économie du texte en fut illuminée. Dans Dives in misericordia, il compara le fils prodigue de la parabole à l’homme de tous les temps ; mais plus tard, il prolongea sa pensée en observant dans Reconciliatio et Pœnitentia que chacun des hommes est aussi, en réalité, présent dans la figure du frère aîné du fils prodigue, celui qui n’est pas prêt à accepter pour son frère la miséricorde du Père. On pourrait multiplier les exemples ; disons simplement que le philosophe faisait toujours place au pasteur, qui n’oubliait jamais lui-même le caractère souvent dramatique des questions que se pose l’homme éloigné de Dieu.

Tout au long de son pontificat, Jean-Paul II a accompagné de sa sollicitude l’histoire de l’Institut qui porte son nom, recevant en audience à onze reprises professeurs et étudiants. Chacun d’eux reconnaît avec gratitude ce qu’il doit à un tel maître. À cette dette, à laquelle je vois tant de motifs personnels de m’unir, je voudrais ajouter ce que, pour ma part, je dois aussi à celui qui fut son premier disciple, le philosophe Stanisław Grygiel, qui me fit l’honneur et l’amitié d’accepter de diriger mes propres recherches sur le pardon.

La béatification de Jean-Paul II donne d’une certaine manière un nouveau statut à ce qu’il a transmis. Elle confère en effet à tous ceux qui ont bénéficié de ses enseignements une responsabilité plus grande de témoignage et de transmission du patrimoine reçu. La question qui se pose maintenant à chacun est de savoir en quoi consiste le fait d’être aujourd’hui disciple du bienheureux Jean-Paul II. Son apport n’est plus limité à la pensée philosophique, ni aux explorations personnalistes ou éthiques. Il est la preuve qu’existe une sanctification de l’intelligence, tout orientée vers la recherche inlassable de la vérité, vers le bien du prochain, son édification personnelle et sa marche vers la destinée éternelle. Sans aucun doute, les années et les générations qui viendront porteront réponse à cette question.

Les premières années qui ont suivi la disparition du pape Jean-Paul II ont été l’occasion d’un nouvel enrichissement sur la nature de l’amour humain. La première encyclique du pape Benoît XVI, Deus Caritas Est, n’avait pas comme intention première d’explorer l’amour humain. L’objet du texte regarde d’abord la charité divine. Toutefois, chacun a pu remarquer le renouvellement de la réflexion sur la dialectique entre eros et agapé dans la première partie du texte. L’amour entre l’homme et la femme apparaît comme la figure de l’amour par excellence. L’une et l’autre dimensions sont appelées à s’intégrer d’une manière harmonieuse, de telle façon que « l’esprit et la matière en reçoivent une nouvelle noblesse ». Les deux sont indissociables. Le pape observe que ce qui est vrai pour l’homme l’est aussi pour Dieu ; dans la mesure où l’amour de Yahvé pour le peuple élu est à la fois eros et agapé, exactement comme l’est aussi l’amour du Christ pour les hommes, on obtient une double oscillation : « Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement : la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain. » On peut dire que Deus Caritas Est a offert une clef herméneutique essentielle pour interpréter le dessein de Dieu sur l’amour humain, même si cela n’était pas l’intention première du texte. Le magistère de Benoît XVI comprend déjà un grand nombre de textes qui inscrivent en cette matière son pontificat dans la continuité de l’apport spécifique du bienheureux Jean-Paul II. Ce n’est pas le lieu de les parcourir tous ici ; mais outre Deus Caritas Est, citons l’encyclique Caritas in Veritate et son souci d’affirmer le lien entre famille et société, les discours prononcés en janvier 2006 et 2007 à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire devant les membres du Tribunal de la Rote, le discours prononcé à l’occasion du xxve anniversaire de la fondation de l’Institut Jean-Paul II le 11 mai 2006, l’exhortation post-synodale Sacramentum caritatis, ainsi que diverses homélies, celle du 9 juillet 2006 à Valence, ou encore celle du 5 juin 2011 à Zagreb. D’ailleurs, c’est devant les participants à la Rencontre internationale organisée par l’Institut pontifical Jean-Paul II à l’occasion du xxxe anniversaire de l’exhortation apostolique Familiaris Consortio, le 13 mai 2011, que le pape a parlé longuement du corps humain. Il a souligné son rapport constitutif avec le Créateur et observé que c’est lorsqu’il est amputé de cette dimension filiale, que le corps se rebelle contre la personne. Aux yeux du Saint-Père, la famille est le lieu où justement s’interpénètrent la théologie du corps et la théologie de l’amour.

Comme on le voit, de nouvelles pistes de recherche s’ouvrent pour tous ceux qui désirent approfondir les thèmes regardant le mariage et la famille.

La référence incessante que fait Benoît XVI à la paternité divine renforce la conviction de l’auteur de ces lignes de l’urgente nécessité de tracer aujourd’hui les contours d’une véritable anthropologie filiale. En des temps où se dérobent une à une les colonnes qui soutiennent la structuration de l’être humain dans toute sa complexité, et où s’affaiblissent en particulier les liens de filiation et de paternité, une telle approche est seule apte à donner à l’homme une compréhension du sens de sa vie, en même temps que la réponse aux questionnements et inquiétudes qui habitent son esprit et son cœur. La confirmation d’une telle urgence nous fut offerte au cours de l’homélie que Benoît XVI prononça le 6 janvier 2012 à l’occasion de la solennité de l’Épiphanie. Après avoir évoqué le cor inquietum de saint Augustin, qui ne se contente de rien de moins que de Dieu, le pape établit avec audace un stupéfiant parallèle avec le cœur de Dieu à la recherche de l’homme :

Ce n’est pas seulement nous, les êtres humains, qui sommes inquiets par rapport à Dieu. Le Cœur de Dieu est inquiet pour l’homme. Dieu nous attend. Il nous cherche. Il n’est pas tranquille, Lui non plus, tant qu’Il ne nous a pas trouvés. Le Cœur de Dieu est inquiet et c’est pour cela qu’Il s’est mis en chemin vers nous – vers Bethléem, vers le Calvaire, de Jérusalem à la Galilée et jusqu’aux confins du monde. Dieu est inquiet à notre égard, Il est à la recherche de personnes qui se laissent gagner par son inquiétude, par sa passion pour nous. De personnes qui portent en elles la recherche qui est dans leur cœur et, en même temps, qui se laissent toucher dans leur cœur par la recherche de Dieu à notre égard.

Le Fils éternel révèle à chacun le secret de son être créé : il est fils dans le Fils, choisi et aimé de toute éternité, et destiné à vivre éternel­lement de l’amour du Père. Dieu nous attend. Le Père nous attend.

 

† Jean Laffitte

I
La vie
La famille
La société

La vie

 

L’embryon dans le dessein de Dieu

Le Dieu en qui nous croyons, ou plus exactement, comme dit le Credo, le Dieu en qui je crois, est celui qui m’a créé. Dieu n’a pas besoin de moi.

Il pourrait exister sans moi ; c’est certain. Mais ce Dieu qui est, est inséparable du Dieu qui m’a créé. Et c’est pourquoi, en sauvegardant la foi dans la souveraineté suprême de Dieu, il faut affirmer – et aucun panthéisme ne peut y entrer – que je participe d’une certaine manière au sens de la parole « Dieu » en tant que Dieu est le Créateur. Je fais pour ainsi dire partie du halo de Dieu, deSon contexte1.

L’observation aiguë de Romano Guardini entendait montrer le dynamisme personnel de l’acte de foi, sa dimension existentielle : celui qui s’interroge sur Dieu comme origine de tout ce qui existe ne peut le faire longtemps en campant sur une position neutre, comme on contemplerait un panorama du haut d’un surplomb. Si Dieu existe, et s’il est le Créateur de tout ce qui existe, alors la plus infime de ses créatures est insérée dans sa pensée créatrice ; ainsi, elle est liée à Lui du seul fait qu’elle existe, qu’elle soit consciente ou non.

Faire partie du « halo de Dieu » : l’expression dépasse largement la découverte émerveillée que l’homme de foi peut faire de lui-même, émerveillement qui inclut la bienveillance toute-puissante de Celui qui l’a créé. Le « halo de Dieu » rassemble en lui-même tous les ordres de la Création, ce qui est visible à nos yeux et ce qui ne l’est pas. Ce qui est invisible, nous en connaissons parfois l’existence par un acte de foi – l’existence des créatures célestes par exemple –, parfois par une connaissance scientifique. C’est au moyen de la science que nous savons tout – ou presque – de l’existence de l’embryon, des étapes de sa croissance, et des innombrables finalités inscrites dans les phénomènes physiologiques et hormonaux qui accompagnent sa formation dans le sein maternel. Pour autant, l’embryon ne demeure jamais limité à la sphère des phénomènes observables. Il exige une prise de position, une affirmation de son identité profonde, au-delà de sa matérialité biologique : d’une manière analogue à ce que Guardini indiquait plus haut dans le domaine de la foi, au sujet de la participation personnelle de tout homme au sens de la parole « Dieu », il convient d’affirmer à l’égard de l’embryon la nécessité d’une reconnaissance.

Reconnaître est une façon personnelle de connaître, qui s’applique en priorité à des objets personnalisés. On reconnaît par exemple une personne aimée ou familière à ses traits, par extension une personne qui se laisse identifier de loin par certaines caractéristiques, enfin, par déri­vation, on peut reconnaître, en devinant une silhouette, une trace, des indices, qu’une personne est présente.

L’embryon exige une reconnaissance, même si ses traits nous sont cachés, même si aucun lien de parenté ne fait de lui une personne aimée, et même si n’est encore apparue aucune trace visible de sa présence.

Dans le sillage de Guardini, et toujours au sujet de l’acte de foi, Jean Mouroux écrit que tant qu’un homme ne fait pas de la foi un problème personnel, il ne réussit pas à en saisir la crédibilité. Tant que son âme n’est pas ouverte et désirante, la crédibilité n’est pour lui purement et simplement, qu’un objet extérieur, qui ne le touche pas personnellement, un simple problème. Notre réflexion se propose de montrer que l’embryon a une crédibilité que ne peut saisir de façon appropriée uniquement celui qui fait de cette question un enjeu personnel.

Or, considérer l’embryon comme une question personnelle, c’est adopter à son égard une démarche voisine de la foi ; c’est, en d’autres termes, faire le choix d’une certaine herméneutique. La foi peut-elle nous enseigner quelque chose sur cet être que nous voudrions souvent soustraire au regard théologique ? La foi reconnaît dans l’homme une réalité ontologiquement contingente, qui se trouve dans une dépendance absolue d’un principe créateur personnel.

Il est utile de se souvenir de ce qui fonde une certitude de foi : la véracité et la crédibilité d’un témoignage auquel nous accordons crédit. Pour établir sa distinction entre l’objet matériel de l’acte de foi (« id quod creditur ») et son objet formel (« id quo creditur »), saint Thomas utilise l’analogie de la science et plus précisément de la géométrie : l’objet formel de la géométrie est constitué par des moyens de démonstration par lesquels sont connues les conclusions. Quelles garanties y a-t-il pour la connaissance de foi ?

Si nous regardons la connaissance formelle de la foi, répond saint Thomas, elle n’est autre que la vérité première : la foi dont nous parlons, en effet, ne donne son assentiment à une chose que parce que c’est Dieu qui l’a révélée ; cela revient à dire que la vérité divine elle-même est comme le moyen sur lequel s­’appuie cettefoi2.

Dieu garantit la vérité de tout contenu de foi. Il est le moyen de toute connaissance de foi, le critère ultime et fondamental de tout ce que nous pouvons savoir sur lui. C’est justement parce que l’homme considère la crédibilité de Dieu comme ce qui lui donne la certitude totale de ne pas se tromper – tout simplement parce qu’il ne peut être induit en erreur par Celui qui ne se trompe jamais –, que l’acte de foi est un acte personnel, une véritable rencontre entre Dieu et l’homme. C’est la raison pour laquelle toute la connaissance que l’homme aura du monde et des réalités qui s’y trouvent sera pour lui le lieu particulier de la manifestation et de la révélation de Dieu. Dieu est Créateur ; il est donc Celui par lequel toutes les choses existent.

Ainsi, s’interroger sur la nature et sur l’origine des êtres, et d’abord sur sa propre origine, est davantage qu’une recherche de sa propre identité : c’est une lecture du dessein de Dieu. Voilà pourquoi une réflexion théologique sur l’embryon implique que soit bien articulé le rapport entre la foi et la science.

Encore faut-il que l’acte de foi soit apprécié dans sa vraie nature : c’est un acte de l’esprit et il ne devrait pas, par conséquent, s’opposer aux opérations mentales de la connaissance scientifique. L’acte de foi qui voit en Dieu l’origine de toute vie humaine, n’est pas du tout gêné par ­l’autonomie des sciences médicales, biologiques, ou génétiques3.

Si la foi conduit à formuler des affirmations sur le monde et sur les hommes, elle ne peut, en se désintéressant des apports de la science, se réduire à une simple réponse à la question dusens4, puisqu’elle est elle-même désireuse de connaître, et de connaître avec cohérence. Parfois, elle peut fournir au discours philosophique ses propres catégories5.

Dans la foi chrétienne, le statut de l’embryon humain trouve à s’éclairer à la lumière du projet créateur et salvifique de Dieu sur l’homme, et donc nécessairement, à la lumière du Christ qui révèle et accomplit ce projet6.

Dans toute vie humaine est présente l’intention du Créateur que tous les hommes participent au mystère du Christ :

Par une disposition tout à fait libre et mystérieuse de sa sagesse et de sa bonté, le Père éternel a créé l’univers. Il a voulu élever les hommes jusqu’au partage de la vie divine. Et une fois qu’ils eurent péché en Adam, il ne les abandonna pas ; sans cesse il leur offrit des secours pour leur salut en considération du Christ rédempteur qui est « l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature » (Col 1,15)7.

Pour comprendre la condition théologique de l’embryon, deux exigences méthodologiques sont requises : d’une part, il s’agit de descendre de ce projet de Dieu sur l’homme jusqu’à la façon dont il est mis en acte à ce stade précis de son développement qu’est la vie embryonnaire ; d’autre part, il s’agit de montrer, à chaque étape de ce processus, comment ce qui s’est réalisé dans le Verbe incarné se trouve participé dans l’homme. Nous partirons donc de notre prédestination éternelle dans le Christ pour en montrer sa réalisation dans l’histoire ; après en avoir tiré quelques conséquences au sujet de la condition de l’embryon, il conviendra dans un troisième temps d’étudier le problème délicat, au plan théologique, de la destinée éternelle des embryons qui ne sont pas parvenus au stade de la naissance.

Notre prédestination éternelle dans le Christ : sa réalisation historique

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