Le rituel du labyrinthe dans l'idéologie de la mort en Corse - article ; n°1 ; vol.209, pg 23-53

Silvia Mancini

Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1992 - Volume 209 - Numéro 1 - Pages 23-53
The labyrinth ritual in death ideology in Corsica.
The labyrinth ritual which takes place on Holy Friday in certain Corsican villages is analyzed from a historical and cultural viewpoint. An examination of the characteristic elements of the symbolical horizon which provides the background to the Granitula enables the author to link the spiral-shaped procession to a funerary, agrarian and regalian type of ancient cultural body. The Easter rite then acquires a precise meaning in the light of the ideological references which link the institution of divine kingship, specific rituals of death and rebirth and agrarian symbolism in the Mediterranean religiosity in Antiquity.
On a voulu ici analyser d'un point de vue historique et culturel le rituel du labyrinthe qui se déroule dans certaines localités de Corse à l'occasion du Vendredi saint. L'examen des éléments qui caractérisent l'horizon symbolique servant de toile de fond à la Granitula permet de relier la procession en spirale à un ensemble culturel archaïque de type funéraire, agraire et régalien. Le rite pascal acquiert ainsi une signification précise à la lumière des références idéologiques qui relient l'institution de la royauté sacrée, les rituels de mort et de renaissance et le symbolisme agraire spécifiques de l'antique religiosité méditerranéenne.
31 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Philosophie et théologie

Informations

• Publié par: REVUE_DE_L-HISTOIRE_DES_RELIGIONS0
• Publié le: 01 janvier 1992
• Nombre de lectures: 42
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Silvia Mancini
Le rituel du labyrinthe dans l'idéologie de la mort en Corse
In: Revue de l'histoire des religions, tome 209 n°1, 1992. pp. 23-53.
Abstract
The labyrinth ritual in death ideology in Corsica.
The labyrinth ritual which takes place on Holy Friday in certain Corsican villages is analyzed from a historical and cultural
viewpoint. An examination of the characteristic elements of the symbolical horizon which provides the background to the
"Granitula" enables the author to link the spiral-shaped procession to a funerary, agrarian and regalian type of ancient cultural
body. The Easter rite then acquires a precise meaning in the light of the ideological references which link the institution of divine
kingship, specific rituals of death and rebirth and agrarian symbolism in the Mediterranean religiosity in Antiquity.
Résumé
On a voulu ici analyser d'un point de vue historique et culturel le rituel du labyrinthe qui se déroule dans certaines localités de
Corse à l'occasion du Vendredi saint. L'examen des éléments qui caractérisent l'horizon symbolique servant de toile de fond à la
"Granitula" permet de relier la procession en spirale à un ensemble culturel archaïque de type funéraire, agraire et régalien. Le
rite pascal acquiert ainsi une signification précise à la lumière des références idéologiques qui relient l'institution de la royauté
sacrée, les rituels de mort et de renaissance et le symbolisme agraire spécifiques de l'antique religiosité méditerranéenne.
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Mancini Silvia. Le rituel du labyrinthe dans l'idéologie de la mort en Corse. In: Revue de l'histoire des religions, tome 209 n°1,
1992. pp. 23-53.
doi : 10.3406/rhr.1992.1626
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1992_num_209_1_1626SILVIA MANCINI
Laboratoire d'Ethnologie méditerranéenne et comparative
(VRA 1346 CNRS)
LE RITUEL DU LABYRINTHE
DANS L'IDÉOLOGIE DE LA MORT
EN CORSE
On a voulu ici analyser d'un point de vue historique et
culturel le rituel du labyrinthe qui se déroule dans certaines
localités de Corse à l'occasion du Vendredi saint. L'examen des
éléments qui caractérisent l'horizon symbolique servant de toile
de fond à la Granitula permet de relier la procession en spirale
à un ensemble culturel archaïque de type funéraire, agraire et
régalien. Le rite pascal acquiert ainsi une signification précise
à la lumière des références idéologiques qui relient l'institution
de la royauté sacrée, les rituels de mort et de renaissance et le
symbolisme agraire spécifiques de l'antique religiosité médi
terranéenne.
The labyrinth ritual in death ideology in Corsica
The labyrinth ritual which lakes place on Holy Friday in
certain Corsican villages is analyzed from a historical and
cultural viewpoint. An examination of the characteristic elements
of the symbolical horizon which provides the background to the
Granitula enables the author to link the spiral-shaped procession
to a funerary, agrarian and regalian type of ancient cultural
body. The Easier rile then acquires a precise meaning in the
light of the ideological references which link the institution of
divine kingship, specific rituals of death and rebirth and agrarian
symbolism in the Mediterranean religiosity in Antiquity.
Revue de l'Histoire des Religions, ccix-1/1992, p. 23 à 53 Dans certains villages de la Haute-Corse, l'après-midi du
Vendredi saint, se déroule une étrange cérémonie au cours de
laquelle est exécutée une procession en forme de spirale. Tous
les habitants y participent, hommes, femmes, enfants indiff
éremment, mais l'encadrement est assuré par les confréries
religieuses. Cette procession occupe une place singulière dans
la liturgie pascale. Son caractère liminal se manifeste à trois
niveaux distincts : 1) son exécution exclut le clergé ; 2) elle
se déroule sur un espace non consacré mais limitrophe toutef
ois de l'espace sacré ; 3) elle se situe juste avant ou juste
près la procession canonique. Cette pratique, déjà attestée
au début du siècle, s'est maintenue dans plusieurs localités.
A Casamiccioli, une procession analogue se déroule le 8 sep
tembre, jour de la Nativité de la Vierge1.
Voici la description qu'en faisait au début de ce siècle le
chanoine S. B. Casanova :
« Dans la piève de Tavagna (canton de Рего-Casavecchie), il y
avait autrefois une coutume assez curieuse. Pendant la semaine de
Pâques et les fêtes des Rogations, tous les habitants des paroisses
voisines se rendaient sur la place du couvent, garnie d'un gazon
toujours vert et soigneusement entretenu par les religieux. Là, ils
se réunissaient, se mettaient en rangs, deux à deux, sous la conduite
d'un habile maître des cérémonies et formaient une grande spirale
aux cercles concentriques, semblables aux ressorts d'une montre.
« Les confréries marchaient les premières avec leurs bannières
déployées et leurs costumes pittoresques de différentes couleurs.
Venaient ensuite les hommes portant des torches, puis les enfants
et les femmes. A un signal donné, la spirale se déroule dans l'ordre
le plus parfait ; l'extrémité du cercle central, par une évolution
adroitement ménagée, reprend la tête du cortège. La procession se
met en marche et défile pendant que deux chœurs chantent alternat
ivement des hymnes religieuses ou des cantiques. Elle se dirige sur
le sommet d'une montagne appelée Calvaire, d'où l'on découvre un
1. F. Casta, La Granitula. Réflexions autour d'une tradition corse du
Vendredi saint, dans Corse historique, n° 20, 1965, p. 5-10 ; L. Désidéri, La Gra
nitula ou la spirale du bigorneau, dans Autrement, n° 115, mai 1990, p. 120-127. Le rituel du labyrinthe 25
magnifique panorama et s'arrête au pied d'une croix, plantée à
cinquante pas au-dessus du couvent. Un prêtre monte sur le piédestal
et récite les prières de l'Eglise ; ensuite, il bénit une quantité de
petites pierres métalliques dont la montagne abonde. Les pèlerins
les ramassent avec soin, les portent dans leurs maisons ou les jettent
dans les champs, comme si elles étaient douées d'une vertu mira
culeuse.
« Cette marche-spirale s'appelle graniiula, du nom d'un coquillage
à volutes que l'on trouve sur les bords de mer. Cette coutume a
disparu dans la piève de Tavagna par suite de la destruction du
couvent, brûlé par Saliceti en 1800. »"
L'élément le plus surprenant du rituel concerne évidem-
'ment l'aspect chorégraphique de la procession dont le carac
tère spectaculaire est renforcé par le fait qu'elle est exécutée
en pleine nuit à la lueur des flambeaux. Dans une description
plus récente, Lucie Désidéri insiste sur le rôle exclusif joué par
les confréries religieuses, mais surtout replace la granitula dans
un ensemble de pratiques pascales, liturgiques et paralitur-
giques, communes à beaucoup d'autres sites de la Méditer
ranée. Ces dernières vont des cycles processionnels qui se
succèdent au long de la Semaine sainte à la décoration des
tombeaux du Christ mort ; de la réalisation d'objets faits de
fleurs tressées à la préparation de pots dans lesquels du blé
est mis à germer, jusqu'à la veillée funèbre du Dieu mort
qui a lieu dans l'église le jeudi soir. Ce moment précis (P « heure
des ténèbres ») qui coïncide avec l'annonce de la mort du
Christ est accompagné de l'explosion rituelle des cris poussés
par les participants et du vacarme provoqué par les objets
entrechoqués, censés exprimer symboliquement l'instauration
du chaos3.
Car, au-delà de divergences minimes dans la description
des séquences rituelles, la graniiula donne lieu aujourd'hui
à des interprétations très éloignées. J.-F. Cast a, qui est un
ecclésiastique ouvert aux approches de l'ethnologie religieuse
2. S. B. Casanova, Histoire de VEglise corse, vol. 1, p. xvin, cité par F. Cas ta,
op. cit.
3. L. Désidéri, op. cit., p. 121. 26 Silvia Mancini
et de l'histoire des religions, voit dans la granilula un rituel
très ancien — il n'hésite pas à le définir comme préhistorique
ou protohistorique — , mais recourt à l'interprétation arché-
typale de Mircéa Eliade pour lui donner son