Retour sur la loi de 1884. La production des frontières du syndical et du politique - article ; n°1 ; vol.3, pg 5-30

Denis Barbet

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Genèses - Année 1991 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 5-30
26 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Philosophie et théologie

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• Publié par: GENESES
• Publié le: 01 janvier 1991
• Nombre de lectures: 191
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Denis Barbet
Retour sur la loi de 1884. La production des frontières du
syndical et du politique
In: Genèses, 3, 1991. pp. 5-30.
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Barbet Denis. Retour sur la loi de 1884. La production des frontières du syndical et du politique. In: Genèses, 3, 1991. pp. 5-30.
doi : 10.3406/genes.1991.1044
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1991_num_3_1_1044DOSSIER
Genèses 3, mars 1991, p. 5-30
RETOUR SUR
Promulguée le 21 mars 1884, la « loi relative à la
LA LOI DE 1884 création des syndicats professionnels », constitue
un exemple de ces textes ambivalents, autant dé
criés à l'époque par la plupart de ceux qui devaient en LA PRODUCTION
bénéficier que réappropriés par les prétendants à leur DES FRONTIÈRES
succession. Parfois présentée comme une « conquête DU SYNDICAL
ouvrière », à défaut une « base de départ » de la mod ET DU POLITIQUE
ernité syndicale1, ou bien dotée d'une dimension l
égendaire, la loi Waldeck-Rousseau2 n'a en réalité pro
Denis Barbet
duit que des effets différés sur le « mouvement syndi
cal » et fut dans l'immédiat, on le sait, mal accueillie3
par les intéressés, à l'exception des milieux « ouvriers
1 . Le centenaire a donné lieu à barberettistes4 » et des patrons de l'Union nationale du
plusieurs manifestations
commerce et de l'industrie : organisation patronale commémoratives syndicales : par
exemple, à la CFDT : exposition majoritaire, l'UNCI, essentiellement parisienne et élo
« Cent ans de droits syndicaux » et ignée de l'aristocratie des grandes affaires, adhère au
« spectacle théâtral-forum » en mars
projet. Les républicains sont en bons termes avec elle 1984; à la FEN : soirée de
célébration à la Sorbonně en et Waldeck-Rousseau a pris son avis en 18835.
novembre 1984 et édition d'une
plaquette sur cette cérémonie, en
1985 : Centenaire de la loi du 21
Fruit de huit années de procédure (voir tableau en mars 1884 légalisant les syndicats.
Le Monde du 18-19 mars 1984 annexe : la première proposition Lockroy est déposée
publie, outre un article de en 1876, après la victoire électorale républicaine, mais l'historienne M. Reberioux
les débats se déroulent de 1881 à 1884), d'oppositions (« L'exigence d'une liberté sans
rivage »), un encadré intitulé entre la Chambre des députés et le Sénat, de transac
« Sobre anniversaire », où le tions entre les fractions républicaines, ce texte a pris journaliste M. Noblecourt,
progressivement sa place dans le Panthéon républicain, mentionnant les principales
manifestations, constate l'austérité aux côtés des « grandes lois libérales » de la même épo
des commémorations. Faut-il y voir que. Pourtant, il ne représente pas nécessairement « un un indice de « la crise syndicale »,
modèle de liberté politique6 ». atteignant jusqu'aux possibilités de
la gestion organisationnelle du Les questions sociales, « la question sociale », ces patrimoine symbolique, ou les
problèmes sont bien présents, prégnants dans la effets d'une certaine distanciation à
l'égard d'un texte un peu conjoncture des années de fondation de la IIP Républi
« oublié »; les centrales célébrant que. La succession des congrès ouvriers, la croissance d'abord leur « propre » histoire et
des mouvements grévistes, « l'agitation socialiste », la les acquis postérieurs à la loi ? Le
colloque universitaire organisé en « progression des idées révolutionnaires » ou les effets
octobre 1984 par le Centre de de la « crise économique » attirent l'attention des gué recherche et d'histoire des
risseurs et des médecins sociaux. mouvements sociaux et du
syndicalisme de Paris 1, sur la loi A ceux qu'on appellera plus tard les « syndical de 1884, n'a pas donné lieu à
istes », aux hommes et théoriciens politiques de toutes publication. DOSSIER
Retour sur la loi de 1884 nuances (parlementaires ou non, socialistes, républi
cains ou catholiques sociaux) viennent se joindre des D. Barbet
publicistes, des juristes, des magistrats, des universit
aires, des fonctionnaires, voire les futurs « sociolo
2. Si le ministre de l'Intérieur gues » : tous contribuent dans leurs professions respec« gambettiste » a « laissé » son nom
tives à construire la définition d'un objet syndical séà la loi, Pierre Sorlin
(Waldeck-Rousseau, thèse de doctorat paré du politique.
ès-Lettres, Paris, 1967) montre fort
bien qu'il « s'est vigoureusement Certes, 1884 ne constitue pas la date de naissance du
défendu d'en être l'auteur » (note processus de dissociation du professionnel et du politi
164, p. 293), n'est intervenu « qu'au que. La question sociale est déjà nommée et désignée dernier moment », et n'approuvait
auparavant comme objet d'étude et comme enjeu polipas « le texte ainsi conçu, mal
rédigé » (p. 294-295). La légende tique. Mais ce que le législateur apporte dans cette
d'un Waldeck-Rousseau faisant voter confrontation de découpages concurrents, c'est le rela loi sur les syndicats a été forgée
par des « laudateurs intéressés » : les cours du droit, qui dote désormais la définition offi
« opportunistes » accusés cielle de la force de l'évidence et de la force de la loi.
d'immobilisme social en 1886, ou les
« modérés », à la fin du siècle, En revenant sur les travaux parlementaires et le vote
concurrencés par les élus socialistes de la loi de 1884, nous chercherons à montrer comment,
et attribuant à leur leader la paternité
en investissant la « question sociale », élus et gouverde la loi. Paradoxalement, « la
gauche », en timbrifiant pour le nants se positionnent dans le champ politique et contri
centenaire P. Waldeck-Rousseau, buent à fixer les frontières mouvantes délimitant l'e
entretient la légende. Elle annexe
space du syndical et l'espace du politique. philatéliquement les grands ancêtres
républicains, tout en régénérant un
syndicalisme en crise et en célébrant L'argumentaire des opportunistes une loi dont l'un des principaux
objectifs était de détourner les
ouvriers d'un socialisme en voie de Faute de pouvoir faire adopter une loi générale sur structuration...
les associations, le gouvernement de Jules Ferry relance
3. Sur l'hostilité des réactions à la la discussion sur une législation « spéciale » réservée
législation, cf. notamment E. Dolléans
au monde du travail, une forme particulière d'associatet G. Dehove, Histoire du travail en
France, mouvement ouvrier et ion, le « syndicat » circonscrit au domaine « profes
législation sociale, 1, Domat sionnel ». Termes ambigus, puisque syndicat peut en
Montchrestien, 1953, p. 355 et suiv.; core désigner une « association gérée par un syndic7 » M. Leroy, La coutume ouvrière, Ed.
Giard et Brière, 1913, p. 398; Pierre et revêt une connotation péjorative8, alors que les no
Bance, Les fondateurs de la CGT à tions de profession et de professionnel sont d'usage tout l'épreuve du droit, La pensée
à fait flou. , sauvage, 1978, p. 70; Pierre Sorlin,
op. cit., p. 296; Monique Kieffer, Aux Au terme d'une succession de rapports et de navettes origines de la législation du travail
entre les chambres, l'ensemble du projet de loi sur les en France, Thèse de 3e cycle, Paris,
1987, p. 126-127. syndicats est adopté sans demande de scrutin public par
les députés, après le rejet de l'ultime amendement Go- 4. Joseph Barberet, ouvrier boulanger
puis rédacteur de journaux blet, soutenu par les « radicaux intransigeants » et la
républicains, défenseur des thèses des droite, visant à n'imposer les formalités de dépôt « coopérateurs » au congrès ouvrier
qu'aux syndicats voulant profiter de la personnalité cide 1876, occupe à partir de 1880 la
direction du bureau des sociétés vile. Au Sénat, le texte a finalement été approuvé par
professionnelles au ministère de 152 voix [Union Républicaine (UR), majorité de la
l'Intérieur. En co