Tängri. Essai sur le Ciel-Dieu des peuples altaïques (deuxième article) - article ; n°2 ; vol.149, pg 197-230
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Description

Revue de l'histoire des religions - Année 1956 - Volume 149 - Numéro 2 - Pages 197-230
34 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1956
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean-Paul Roux
Tängri. Essai sur le Ciel-Dieu des peuples altaïques (deuxième
article)
In: Revue de l'histoire des religions, tome 149 n°2, 1956. pp. 197-230.
Citer ce document / Cite this document :
Roux Jean-Paul. Tängri. Essai sur le Ciel-Dieu des peuples altaïques (deuxième article). In: Revue de l'histoire des religions,
tome 149 n°2, 1956. pp. 197-230.
doi : 10.3406/rhr.1956.7121
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1956_num_149_2_7121Tàngri. Essai sur le Ciel-Dieu
des peuples altaïques1
IV. — Tângri, le grand dieu céleste
Origine et ancienneté
Nous avons essayé de démontrer précédemment que, chez
les « païens », le mot Tângri évoquait essentiellement la divi
nité, par exemple, concrétisée dans une montagne et dans un
lac, ou reliée à une notion abstraite comme celle du temps.
Or, il se trouve que la divinité principale de l'Asie centrale est
le Ciel.
L'origine de Tângri, grand Dieu céleste, se perd dans les
obscurités de la préhistoire et, dans sa recherche, nous en
sommes réduits aux hypothèses. Existe-t-il dès l'époque la plus
reculée ? Est-il un produit indigène ou un produit d'impor
tation ? S'est-il dégagé peu à peu d'un complexe religieux ?
Ses historiens ont généralement fait appel, pour répondre
à ces questions, à des théories philosophiques dont la discus
sion ressortit à une autre discipline que celle à laquelle nous
nous appliquons ici2. Nous laisserons donc de côté les exposés
psychologiques qui expliquent comment le Ciel a pu être
divinisé par la mentalité humaine.
Une telle foi, rappelons-le, est répandue chez de nombreux
peuples, primitifs ou évolués. C'est pourquoi il est dangereux
de vouloir parler d'emprunt. Il faut, en particulier, considérer
1) Voir RHR, CXLIX, p. 49-82.
2) Cf. à ce sujet, Holmberg, Siberian Mythology ; Harva, Religiôsen Vorstel-
lungen ; P. W. Schmidt, Ursprung der Gottesidee, t. VII. On peut voir aussi les
divers thèmes de- la cosmogonie chinoise dans Granet, op. cit., et les doctrines
chamanistes d'Asie centrale et d'ailleurs Eliade, Chamanisme. REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS 198
comme impossible une quelconque origine chinoise, quoique
l'influence de l'Empire du Milieu soit certaine à de nombreuses
époques. Le Dieu céleste à tendance prédominante existe
principalement chez les peuples indo-européens et ce n'est pas
la moindre des similitudes que l'on signale entre les religions
aryennes et turco-mongoles : Zeus pater a les caractéristiques
d'un dieu du ciel, mais il succède à Ouranos dont la personn
alité céleste est encore plus marquée, correspondant du
Varuna indien. M. Dumézil a situé à nouveau (après Oldenberg
et contre Lommel) Ahura Mazda sur le même niveau1. Les
caractéristiques ouraniennes d'Ahura Mazda nous intéressent
en vertu du fort peuplement iranien de l'Asie centrale.
Hérodote nous apprenait déjà que les Perses anciens adoraient
la voûte céleste2. Chez les Germains, Odhin (Wotan) a de
nombreuses caractéristiques du Dieu céleste3. Le. fait qu'Ira
niens, Germains et autres Indo-Européens aient eu une repré
sentation plus ou moins marquée du Ciel considéré comme
Dieu, n'implique pas a priori une filiation de cette foi entre
eux et les Turco-Mongols. On trouve d'autres dieux du Ciel
en Australie, en Afrique et en Amérique. Car la question se
pose à chaque spécialiste de la même manière et elle ne semble
pas près d'être résolue : ce Dieu céleste est-il le premier objet
de la foi religieuse ? Quant à nous, en ce qui concerne les
proto-Turcs, rien ne nous permet de répondre dans un sens
ou dans un autre.
Le grand Dieu céleste apparaît, à l'époque proto-histo
rique, chez les Hiong-nu. Les Annales chinoises signalent son
culte à plusieurs reprises (par exemple en 174 et en 121 avant
Jésus-Christ), mais les Occidentaux, parlant des Huns, restent
quasi muets. Ammien Marcellin (ive siècle après J.-G.) qui leur
consacre plusieurs pages de sa chronique, va jusqu'à dire :
« ils n'adorent rien, ne croient en rien »4. C'est sans doute plus
1) Dumézil, Naissances d'archanges, Paris, 1945, p. 82.
2) Hérodote, liv. I, § 131.
3)Mythes et dieux des Germains, Paris, 1939.
4) Ammien Marcellin, Histoire, liv. XXXI. TÀNGRI. ESSAI SUR LE CIEL-DIEU DES PEUPLES ALTAÏQUES 199

un effet de style qu'un jugement objectif : dans son exagéra
tion certaine, il indique tout au moins que la religion des Huns
ne lui a pas été connue comme jouant un rôle important.
Jordanès (ve siècle après J.-C), dans son Histoire des Golhs,
qui semble, malgré tous ses jugements excessifs, avoir noté
avec précision de nombreux traits historiques et ethnolo
giques, connaît la « sorcellerie chamanique л1, mais reste muet
sur la religion2. Procope de Césarée, Grégoire de Tours ne nous
renseignent pas mieux3. Cela nous inciterait à croire que le
Ciel n'a pas, chez les Huns occidentaux, la toute-puissance
qu'on lui voit en Asie centrale, et qui s'est peut-être affirmée,
soit par une évolution interne, soit sous l'influence des civi
lisations chinoise, ou plutôt indo-européenne (iranienne).
Eberhard ne le place pas moins, avec raison, au premier rang
des divinités des Hiong-nu4.
A partir du vie ou du vne siècle au plus tard, Tângri,
quoique chargé aussi d'un sens religieux, apparaît dans les
textes si bien lié à l'idée du ciel matériel qu'on le trouve
employé souvent avec un sens presque purement physique ;
par exemple dans l'inscription de Barlïk III :
« Tângridàki kunkâ, »
« Le soleil qui est dans le ciel5. »
Après le vine siècle, il est répété inlassablement, à toute
occasion, d'une façon en quelque sorte obsédante, et la pré
éminence est donnée à sa valeur religieuse.
1) Jordanès connaît le Chamanisme, si les sorciers dont il parle ne sont pas des
Germains entourant Attila, ce qui semble vraisemblable.
2) Jordanès, Histoire des Goths.
3) Procope de Césarée, Guerre des Vandales, Guerre des Goths, Grégoire
de Tours, Histoire des Francs.
4) Eberhard, Çin'in Simal Kom§ularï, Ankara, 1942. Cf. aussi plus loin.
5) Nous nous sommes servi, pour toutes les inscriptions turques, des ouvrages
de Radloff, Thomsen et Huseyin Namïk Orkun, nous fiant davantage aux
reproductions photographiques des monuments qu'à leur traduction et interpré
tation. Nous nous sommes souvent écarté de la version officiellement adoptée qui
présente trop d'imperfections et avons principalement suivi les corrections pro
posées dans ies séances de travail de l'École des Hautes Études dirigées par notre
maître, M. Bazin. 200 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Les 4 caractères fondamentaux de Tangri
Dans les différents textes que nous possédons, Tangri se
présente avec trois épithètes principales. De plus, un de ses
attributs est à tout instant évoqué : ces quatre notions repré
sentent les caractères fondamentaux de la conception de Dieu
chez les Turcs et les Mongols anciens.
Tangri est : « tizà » = « élevé », « Kôk » = « bleu et
céleste », « Môngkà » = « Éternel » ; il est aussi doué de « Kuç » =
= « force и1.
Ce sont, à peu de chose près, les caractéristiques habituelles
d'un Dieu du Ciel. M. Éliade nous dit, dans son Traité d'his
toire des religions, que l'existence du Dieu du Ciel est en
général fonction du fait qu'il est élevé, infini,. immuable et
puissant. « Le symbolisme de la transcendance de la voûte
céleste se déduit, dirions-nous, de la simple prise de connais
sance de sa hauteur infinie. « Le très-haut » devient tout
naturellement un attribut de la divinité. Les régions supé
rieures, inaccessibles à l'homme, les zones sidérales, acquièrent
les prestiges divins du transcendant, de la réalité absolue, de la
pérennité2. »
A) Vzà. — Le mot turc « tizâ » est, dans les vieilles inscrip
tions de Mongolie, un des mots les plus fréquents pour qualifier
Dieu. C'est un

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