Émancipation et colonisation - article ; n°1 ; vol.25, pg 55-65
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Autres Temps. Les cahiers du christianisme social - Année 1990 - Volume 25 - Numéro 1 - Pages 55-65
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 20
Langue Français

Extrait

Jean-François Zorn
Émancipation et colonisation
In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°25, 1990. pp. 55-65.
Citer ce document / Cite this document :
Zorn Jean-François. Émancipation et colonisation. In: Autres Temps. Les cahiers du christianisme social. N°25, 1990. pp. 55-
65.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1990_num_25_1_2555EMANCIPATION
ET
COLONISATION
Jean-François ZORN
Associer dans un titre émancipation et colonisation peut surprendre,
voire choquer. Pour ceux de nos contemporains qui, par exemple, mili
tent dans les associations tiermondisîes, le projet colonial (discours et
action) n'appartient pas au « grand Récit » de l'émancipation des pau
vres et des exploités de la planète dont ils continuent d'écrire les pages.
Pourtant ce rejet de la colonisation de la conscience et de la mémoire
occidentales est récent. Il date de F après-guerre. L'exposition coloniale de
1931 comme la dernière Conférence du Conseil international des missions
à Madras en Inde avant guerre, exaltaient encore le rôle émancipateur des
Nations et des Églises du nord à l'égard du reste du monde. Leur destin
était au sud, et toutes sortes de préalables à l'indépendance des États et à
l'autonomie des Églises permettaient d'accorder encore au moins un demi
siècle de vie au cadre colonial et missionnaire d'alors. On sait ce qu'il est
advenu de ces certitudes.
Mon hypothèse est que la colonisation appartient bel et bien au récit de
l'émancipation moderne et, pour donner une crédibilité à cette hypothèse,
il faut remonter aux origines de l'idée coloniale moderne qui se trouvent
en germe dans un autre récit d'émancipation, celui de la lutte contre la
traite des Noirs et contre l'esclavage.
Il convient donc, dans une première partie, de bien établir comment
lutte antiesclavagiste et colonialisme se sont rejoints à la fin du XVIIIe siè
cle en étudiant les deux cas de figure français et britannique sensiblement
différents.
Dans une deuxième partie nous verrons comment, et combien, le dis
cours antiesclavagiste a continué de légitimer l'entreprise coloniale dans
toutes ses composantes (économique, culturelle...) jusqu'à la première
guerre mondiale.
Enfin, dans une troisième partie conclusive, nous réfléchirons sur la
place et la fonction du récit d'émancipation des peuples esclaves
Jean-François Zorn est pasteur de l'Église Réformée de France et achève une thèse de
doctorat (Missiologie).
55 puis colonisés au sein du « grand Récit » d'émancipation de l'époque des
Lumières.
ANTIESCLAVAGISME ET COLONIALISME :
LES MAILLONS D'UNE MÊME CHAÎNE
La valse-hésitation de l'Encyclopédie
A la veille de la Révolution française, il est entendu que colonialisme
rime avec esclavagisme. L'article Colonie de l'Encyclopédie, œuvre de
Véron de Forbonnais, est une défense en règle du système colonial class
ique caractérisé par trois mots-clefs : plantation, exclusif, esclavage. Les
peuples occidentaux colonisent pour mettre en valeur des terres agricoles
dont le commerce des produits est régi par le jeu fermé des échanges entre
métropoles et colonies, l'exclusif ou pacte colonial. Une main d'œuvre
servile, dont on se plait à rappeler que le statut n'est point arbitraire
puisqu'il est régi par une loi, le Code noir, est à la base de ce système.
En contre-point, Y Encyclopédie compte aussi quelques articles où
l'esclavage et la colonisation sont dénoncés simultanément. Ainsi dans
l'article Population, Damilaville condamne-t-il la colonisation au nom du
droit à la propriété individuelle élargi au droit des peuples qui interdit à
une nation de s'emparer d'un pays peuplé : « Nul n'a le droit d'acquérir
la possession individuelle d'un autre... la liberté est une propriété de
l'existence inaliénable qui ne peut ni se vendre ni s'acheter... Les condi
tions d'un tel marché seraient abusives... Enfin les hommes n'appartien
nent qu'à la nature, ils l'outragent par une coutume qui les avilit et la
dégrade. »'
C'est cette rigide et double équation : colonialisme = esclavagisme,
anticolonialisme = antiesclavagisme qui va rendre si peu aisé le combat
des antiesclavagistes britanniques et français, car en fait ils sont colonial
istes et antiesclavagistes.
Les antiesclavagistes face aux colons d'Ancien Régime
Ils se regroupent respectivement dans deux associations-sœurs : YAnti
Trade Slavery Society fondée à Londres en 1787 par des protestants, pas
teurs, juristes, parlementaires (Clarkson, Sharp, Wilberforce), et la
Société des Amis des Noirs fondée en 1788 à Paris sur le modèle de celle
de Londres par Brissot et Clavière bientôt rejoints par Condorcet, Mira
beau, Necker, l'abbé Grégoire et d'autres dont un pasteur, Benjamin
Sigismond Frossard, auteur d'un livre fort bien documenté sur le com
merce de la traite, intitulé La cause des esclaves nègres qui servira de base
à l'argumentation des Amis des Noirs.2
56 C'est sur l'initiative de ces philanthropes que le premier débat général
sur la traite, l'esclavage et les colonies devait s'ouvrir en mars 1790 à la
Constituante. Le 8, Mirabeau devait, au nom des Amis des noirs, prononc
er un grand discours qui avait été annoncé par une Adresse parvenue à
l'Assemblée quelques semaines auparavant. Mais une majorité, ayant eu
vent des propos de Mirabeau, l'empêcha de parler. Pourtant, son dis
cours tenait compte de l'existence au sein de l'Assemblée d'un fort cou
rant représenté par les colons-députés et les négociants et armateurs des
ports négriers français regroupés dans le Club Massiac, et défendus par
Barnave.
Mirabeau devait certes demander l'abolition de la traite mais il devait
surtout démontrer que le commerce des esclaves était économiquement et
socialement coûteux aux colons et que mieux vaudrait pour eux qu'ils
adoucissent le sort de leurs esclaves afin de gagner leur estime et un peu
plus de force de travail. C'est la thèse dite de l'abolition graduelle de
l'esclavage mise au point par Les Amis des Noirs au cours de leurs entre
tiens avec Clarkson qui avait résidé à Paris de juillet 1789 à février 1790,
et exposée dans le livre de Frossard. Puis Mirabeau devait présenter un
vaste programme de réforme du système colonial dans lequel il ventait les
commerces possibles avec l'Afrique qui permettraient à l'Europe et à
l'Amérique d'échanger leurs produits manufacturés contre les matières
premières d'Afrique plutôt que les hommes.
Mirabeau exclu du débat, ce dernier fut monopolisé par les colons
venus demander l'abolition du régime commercial de l'exclusif et la cessa
tion de l'administration directe de la métropole dénoncée comme « des
potisme ministériel ». Et de fait, grâce à l'habileté de Barnave sans doute,
les colons passèrent aux yeux des Constituants pour des libéraux sur le
plan économique et des démocrates sur le plan politique.
La question de l'esclavage ne fut donc pas débattue et l'Assemblée
constituante adopta ce même 8 mars un décret légalisant des assemblées
coloniales consultatives élues par les colons mais également par les affran
chis de couleur. En dépit de ce dernier point inadmissible pour les colons,
ceux-ci venaient d'arracher à l'Assemblée un statut particulier grâce
auquel ils pensaient pouvoir s'organiser à leur guise sans modification de
l'équilibre social basé sur la ségrégation raciale.3
L'abolition théorique à la française
Le débat frontal entre les Amis des Noirs et le Club Massiac n'eut donc
pas lieu publiquement en 1790, mais ses termes étaient désormais con
nus : Comment réformer le système colonial afin de ne pas perdre les
colonies ?
— En institutionalisant un régime d'autonomie des colonies basé sur le
développement séparé entre races pour le Club Massiac.
— En un régime d'assimilation des colonies basé sur
57 l'association progressive des affranchis puis des esclaves au développe
ment de la colo

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