Imaginaire et théologie : le « cœur » chez Pascal - article ; n°1 ; vol.40, pg 285-295
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Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 1988 - Volume 40 - Numéro 1 - Pages 285-295
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 45
Langue Français

Extrait

Professeur Philippe Sellier
Imaginaire et théologie : le « cœur » chez Pascal
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1988, N°40. pp. 285-295.
Citer ce document / Cite this document :
Sellier Philippe. Imaginaire et théologie : le « cœur » chez Pascal. In: Cahiers de l'Association internationale des études
francaises, 1988, N°40. pp. 285-295.
doi : 10.3406/caief.1988.1694
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1988_num_40_1_1694IMAGINAIRE ET THÉOLOGIE :
LE « CŒUR » CHEZ PASCAL
Communication de M. Philippe SELLIER
(Paris)
au XXXIXe Congrès de l'Association, le 23 juillet 1987
Tout lecteur un peu attentif des Pensées prend rap
idement conscience de l'importance et de l'originalité de
la notion de « cœur » chez Pascal. Le cœur pascalien,
c'est l'âme en action, le dynamisme, la mobilité, la capacité
de jaillissement. De lui procèdent nos connaissances les
plus intuitives, qu'il s'agisse de la certitude des premiers
principes ou des fulgurations qui orientent de façon déci
sive l'existence des hommes. Mais de lui relève aussi tout
le domaine de l'affectivité : les désirs, conscients ou
inconscients. C'est en ce centre que se prennent les déci
sions vitales. Bref, le cœur représente la profondeur et
l'intimité de notre être véritable, par opposition à deux
autres facultés qui, dans l'anthropologie pascalienne,
demeurent irrémédiablement prisonnières de la surface :
l'imagination et la raison.
Ainsi s'explique que, dans la recherche de l'Absolu, le
cœur apparaisse toujours chez Pascal comme le lieu unique
de la rencontre avec Dieu, avec le Dieu d'Abraham et du 286 PHILIPPE SELLIER
Buisson ardent. « C'est le cœur qui sent Dieu, et non la
raison : voilà ce que c'est que la foi. Dieu sensible au
cœur » (1).
Le présent exposé ne vise ni à développer ces données,
connues depuis longtemps, ni à rechercher les origines de
cette conception (dans la Bible, chez S. Augustin, chez
Descartes, et sans doute chez bien d'autres). Je me propose
de montrer comment Pascal imagine cet espace intérieur
en sa profondeur. Au terme de l'analyse s'ébauchera une
question, assez délicate : la théologie pascalienne ne
repose-t-elle pas essentiellement sur un univers imaginaire ?
Apparemment toute proche de la pensée augustinienne,
si l'on compare les idées, ne s'en éloigne-t-elle pas si l'on
considère le contact premier avec le monde, les grandes
images dont, semble-t-il, les hommes vivent, même s'ils
sont théologiens ?
C'est à un poète que je dois le projet même de cette
enquête, à Henri Michaux, dont un texte saisissant explore
la représentation qu'il subissait de sa propre intériorité :
« Mes propriétés » (1929).
Dans mes propriétés tout est plat, rien ne bouge ; et s'il y a
une forme ici ou là, d'où vient donc la lumière ? Nulle ombre.
Parfois, quand j'ai le temps, j'observe, retenant ma respira
tion ; à l'affût ; et si je vois quelque chose émerger, je pars
comme une balle et saute sur les lieux, mais la tête, car c'est le
plus souvent une tête, rentre dans le marais ; je puise vivement,
c'est de la boue, de la boue tout à fait ordinaire ou du sable,
du sable...
Ça ne s'ouvre pas non plus sur un beau ciel. Quoi qu'il n'y
ait rien au-dessus, semble-t-il, il faut y marcher courbé comme
dans un tunnel bas.
(1) Fr.680-424. Les références aux Pensées renvoient la première à l'édition
du Mercure de France (1976), la seconde à l'édition Lafuma (Seuil, 1963). Sur
le cœur comme l'âme en action, Pascal a usé d'une formule caractéristique :
« L'âme... ne peut arrêter son cœur qu'elle ne soit rendue jusqu'au trône de
Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos » (Sur la conversion du
pécheur). « CŒUR » CHEZ PASCAL 287 LE
Ces propriétés sont mes seules propriétés et j'y habite depuis
mon enfance et je puis dire que bien peu en possèdent de plus
pauvres [...]
Et si je m'obstine, ce n'est pas bêtise.
C'est parce que je suis condamné à vivre dans mes propriétés
et qu'il faut bien que j'en fasse quelque chose.
Voilà donc la direction indiquée : qu'en est-il des
« propriétés » pascaliennes ? Est-ce que ça s'ouvre sur un
beau ciel ?
On pourrait croire à un ciel sans nuages, à entendre
chanter le cortège des vocables qui suivent si souvent le
mot « cœur », comme « sensible », « sentiment » ou
« douceur ». En véritable poète, Pascal rêve sur les mots.
A la raison/ roseau, qui plie à tous vents et à tous sens, à
cette raison que le crissement d'un charbon emporte hors
des gonds (2), il oppose l'éclat du cœur. « Ceux à qui
Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont
bienheureux... ». « Dieu change le cœur de l'homme par
une douceur céleste qu'il y répand », de sorte que « trou
vant sa plus grande joie dans le Dieu qui le charme, il s'y
porte infailliblement de lui-même, par un mouvement tout
libre, tout volontaire, tout amoureux » : il passe des
« délices » du péché au « supplice » qu'il éprouverait à
être séparé de Dieu (3).
La poétique du langage et la gravitation de certains
termes {sentiment, foi) autour de cœur n'agissent pas seules
dans cette apologie du cœur. En effet Pascal reprend avec
jubilation certaines des formules les plus célèbres de la
Tradition catholique, qu'il s'agisse du Deutéronome, des
prophètes, de S. Augustin ou de la liturgie (4). L'une
(2) Voir « Pascal et la philosophie : la dérision de la raison », dans les
Mélanges Moutsopoulos, Athènes, 1987.
(3) Fr. 142-1 10 ; XVIIP Provinciale, éd. Cognet, Paris, Gamier, 1965, p. 359.
(4) Fr.693-453 : « Dieu te circoncira le cœur » ; XVF Provinciale : « Pourquoi
ne demandez-vous pas comme eux [les théologiens de Port-Royal] que le cœur
de pierre et de glace de ceux à qui vous conseillez de s'en approcher [de l'Eu
charistie] soit sincèrement changé en un cœur de chair et d'amour ? » (éd.
Cognet, p. 318, où est signalée ajuste titre l'influence de Saint-Cyran, auteur
d'un petit traité Du cœur nouveau). 288 PHILIPPE SELLIER
d'entre elles, surtout, hante sa mémoire : il s'agit d'un
verset du Psaume 118, repris dans la liturgie, « Inclina
cor meum, Deus, in testimonia tua ». Qu'on en juge par
cette « variation » où Pascal multiplie les reprises en
s'inspirant de la technique des parallélismes hébraïques :
[Dieu] incline leur cœur à croire.
On ne croira jamais, d'une créance utile et de foi, si Dieu
n'incline le cœur.
Et on croira dès qu'il l'inclinera.
Et c'est ce que David connaissait bien : Inclina cor meum,
Deus... (5).
Plus profondément l'œuvre pascalienne se révèle comme
une célébration exceptionnelle de la joie chrétienne. Qu'on
songe, par exemple, au « Mémorial » ou à la lettre VII à
Charlotte de Roannez (décembre 1656) ! Le Dieu d'Isaïe
vient s'unir au fond du cœur des vrais croyants et les
constitue comme prophètes ; il « remplit l'âme et le cœur
de ceux qu'il possède ». Et cette présence divine est res
sentie comme un « charme », au sens d'envoûtement,
comme « délices », « suavité », « délectation », « plaisir »,
« bonheur ». Le cœur «jouit » de son Dieu. Comme celui
des pèlerins d'Emmaûs, le cœur chrétien est « tout brû
lant » quand Dieu l'habite. De là le cri du « Mémorial » :
« FEU » (6).
L'inattendu, c'est que sur cette toile de fond toute
lumineuse, épiphanique, ne cessent de reparaître des
ombres angoissantes, de puissantes images qui rappellent
(5) Fr.4 12-380 : j'ai souligné par des blancs la succession des reprises ; par
ailleurs le jeu des allitérations (c/r) et le règne du a manifestent, eux aussi,
l'ébauche d'un travail poétique. Grâce à la « pente » imprimée à la volonté, le
désir se di

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