Internationalisme statistique et recensement de la nationalité au XIXe siècle
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Dès le milieu du XIXe siècle, la statistique administrative fut l’objet de rencontres internationales régulières, d’où émanèrent des recommandations dotées d’une forte légitimité en vue de coordonner et d’harmoniser les pratiques des différents Bureaux. C’est ainsi que la nationalité – question politique si controversée durant cette période - se trouva, parmi d’autres matières» du recensement, dans l’agenda du Congrès international de statistique. Elle se heurta d’emblée aux désaccords des statisticiens, divisés sur la manière de la relever dans les recensements. Leurs désaccords prenaient leur source dans les différentes acceptions prises par ce seul terme de nationalité. Echo des oppositions entre les tenants d’une définition politique, pour lesquels elle était équivalente à la citoyenneté, – telle était la position des statisticiens français -, et les tenants d’une définition ethnoculturelle, distinguant la communauté nationale de celle des citoyens, ces dissensions traversaient en réalité l’ensemble de la profession. Les statisticiens français n’ont cessé de défendre la position juridique de l’affiliation à l’État; ils se retirèrent donc de ce débat, alors que les statisticiens des pays d’Europe centrale et orientale, qui étaient tenants de l’autre définition, continuèrent à discuter. L’article retrace cette histoire et montre qu’il n’existait pas davantage de définition unifiée de la nationalité que de méthodes stabilisées pour la mesurer mais seulement des conventions passagères.

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Langue Français

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Internationalisme statistique et
erecensement de la nationalité au XIX siècle
! Morgane Labbé*
eDès le milieu du XIX siècle, la statistique administrative fut l’objet de rencontres internationales régulières, d’où éma-
nèrent des recommandations dotées d’une forte légitimité en vue de coordonner et d’harmoniser les pratiques des
différents Bureaux. C’est ainsi que la « nationalité » – question politique si controversée durant cette période - se trouva,
parmi d’autres « matières » du recensement, dans l’agenda du Congrès international de statistique. Elle se heurta d’em-
blée aux désaccords des statisticiens, divisés sur la manière de la relever dans les recensements. Leurs désaccords
prenaient leur source dans les différentes acceptions prises par ce seul terme de « nationalité ». Echo des oppositions
entre les tenants d’une définition politique, pour lesquels elle était équivalente à la citoyenneté, – telle était la position
des statisticiens français -, et les tenants d’une définition ethnoculturelle, distinguant la communauté nationale de celle
des citoyens, ces dissensions traversaient en réalité l’ensemble de la profession. Les statisticiens français n’ont cessé
de défendre la position juridique de l’affiliation à l’État ; ils se retirèrent donc de ce débat, alors que les statisticiens
des pays d’Europe centrale et orientale, qui étaient tenants de l’autre définition, continuèrent à discuter. L’article retrace
cette histoire et montre qu’il n’existait pas davantage de définition unifiée de la « nationalité » que de méthodes stabi-
lisées pour la mesurer mais seulement des conventions passagères.
* École des hautes études en sciences sociales.e qu’on désigne par interna- l’attraction corrélative pour les chif-
1. Sur ce sujet négligé par les historiens de eCtionalisme statistique au XIX fres comme langage de description la statistique, signalons pour l’avant-guerre :
Harald Westergaard, Contributions to the siècle désigne d’abord une volonté d’un monde social en mutation soulè-
History of Statistics, London, 1932. Pour la
de coordination entre Bureaux de vent, aux yeux des statisticiens, des
période actuelle, Eric Brian a consacré plusieurs
statistique qui fut à l’origine de la problèmes de comparabilité qu’ils articles à ce sujet, dont : « Statistique adminis-
trative et internationalisme statistique pendant création du Congrès International de entendent résoudre en uniformisant
ela seconde moitié du XIX siècle », Histoire 1statistique, à l’initiative de Quételet . l’organisation de la statistique admi- et Mesure, 1989 ; « Transactions statistiques
eau XIX siècle. Mouvements internationaux de La multiplication des données statis- nistrative et notamment les procédu-
capitaux symboliques », Actes de la recherche
tiques dans les années 1830-1840 et res de dénombrement. en sciences sociales, 145, 5, 2002.
Carte de répartition des diverses nationalités en Autriche-Hongrie en 1914
Courrier des statistiques n° 127, mai-août 2009 39
Source : WikipédiaMorgane Labbé
C’est ainsi que la nationalité s’est mes), le projet d’une statistique des ethnographiques ». Or la statistique
trouvée, comme d’autres « matiè- nationalités, sous le titre : Statistique demande des termes et des rapports
res », dans l’agenda du Congrès. des différences ethnographiques de numériques sur les hommes ».
Sauf que cette « entrée en matières » la population d’un État, comprenant
était tout sauf évidente et conduit à se leur influence sur le bien-être, les Et il ajoutait : « M. Quetelet, notre maî-
3demander comment les statisticiens moeurs et la civilisation de la nation . tre, nous a appris dans son ouvrage
ont pu envisager dans une pers- Ce projet fut approuvé mais uni- « Sur l’homme » comment il fallait
pective de coordination internationale quement comme « base pour des procéder pour atteindre ce but ».
cette question de la nationalité, alors travaux futurs », il ne fut pas retenu
Pourquoi le directeur du bureau autri-si controversée. La nation, qui cause au titre des recommandations à l’at-
e chien, au demeurant grand réorga-à la fin du XIX siècle antagonismes tention des Bureaux. La raison rési-
et affrontements violents en Europe, dait dans la nature des propositions nisateur de ce service, lié au noyau
était pourtant au début de ce même de Czoernig : il ne proposait pas fondateur du Congrès, à Quetelet,
siècle, une idée positive liée au projet des questions, ni des critères, pour Legoyt, etc., et loin d’être réfractaire
d’émancipation des peuples contre dénombrer la population selon des au calcul puisqu’il avait mis en place
les régimes dynastiques. Pour les caractères ethniques, mais un inven- une statistique financière, avait-il sou-
statisticiens, qui se percevaient et taire des « races » ou « nationalités », mis un projet aussi peu conforme aux
agissaient comme des réformateurs et de leurs caractéristiques, linguisti- attentes du Congrès ?
de l’État, la nation fut une catégorie ques, culturelles, physiques. L’aspect
Le projet de statistique ethnogra-de référence et d’action qui conserva descriptif et détaillé du projet, l’im-
2 phique de Czoernig était en réalité longtemps cette force d’attraction .
plus élaboré que les « descriptions Mais si la nation , et le principe
pittoresques » dont on le rapprochait. des nationalités devinrent des princi-
Il s’appuyait sur une tradition savante pes légitimes indiscutables des régi-
précise : celle de la statistique dite mes politiques, aucun penseur, qu’il
euniversitaire, conceptualisée au XVIII soit philosophe, historien n’apporta
siècle dans les enseignements des une réponse unique à la question
Qu’est-ce qu’une nation ?, pas même professeurs de Göttingen, notamment
Renan comme on sait. Les statisti- ceux de Schlözer. Cette tradition uni-
ciens ont donc aussi ouvert la « boîte versitaire avait connu une large dif-
de Pandore » des nationalités quand fusion en Europe centrale et s’était
ils confièrent au Congrès la mission maintenue en Autriche. Descriptive
de statuer sur son relevé dans les et narrative, cette école allemande
234recensements. fournissait des règles pour observer
et agencer des données sur l’État,
généralement peu chiffrées. Schlözer
l’avait définie par rapport à l’histoire. La « statistique
Cette dernière rendait compte sur un ethnographique »
mode chronologique de la succession au Congrès international August Ludwig von Schlözer, tableau se trouvant
à l’ Université de Göttingen des événements passés, alors que la de statistique de Vienne
statistique s’intéressait aux faits tels en 1857
4qu’ils s’agencent dans le présent .
portance accordée à la distribution Étendant son raisonnement, il dis-Le Congrès organisé en sessions se
spatiale, et surtout le caractère peu tinguait ce qu’il dénommait « l’eth-réunit neuf fois entre 1853 et 1876
numérique rapprochaient ce projet nographie » comme une méthode dans des capitales différentes. Lors
des travaux encyclopédiques relevant permettant d’ordonner des faits sur de la troisième session qui se tenait
pour part de la statistique descriptive la genèse et la répartition des peu-à Vienne en 1857, la commission
edu XVIII siècle. Ce caractère singu- ples dans l’espace. C’est dans cette autrichienne présidée par le direc-
lier était d’ailleurs apparu aux mem- filiation que Czoernig avait conçu son teur du Bureau de statistique de ce
bres du Congrès et l’un d’eux avait projet pour la session du Congrès, et pays, Karl von Czoernig, avait mis
objecté : suivant le modèle de Schlözer il avait au programme (parmi d’autres thè-
défini l’ethnographie statistique.
« (Cela) pourrait faire croire qu’il s’agit
2. Voir par exemple Silvana Patriarca, Numbers ici de la description de certaines par- Ces réflexions ne lui étaient pas
and Nationhood. Writing statistics in 19th Italy,
ticularités de mœurs, usage

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