André Despérine part en Egypte
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Description

Ce texte a été écrit durant la performance « 6h non stop », lors du festival La nuit, j’écris, organisé à Paris, le 28 juin 2014, par l’association Les P’tites Frappes. Sans plan préétabli, et sous des contraintes imposées par le public du festival, voici le résultat de cette expérience.

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Publié le 03 juillet 2014
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Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Préfacede l’auteur
Le texte suivant a été écrit durant la performance «6h non stop», lors du festivalLa nuit, j’écris, organisé à Paris, le 28 juin 2014, par l’associationLesP’tites Frappes. Sans plan préétabli, et sous des contraintes imposées par le public du festival, voici le résultat de cette expérience. Évidemment, cette première mouture sera retravaillée par la suite pour prendre forme définitive.
Pour relever le défi,j’ai utilisé un de mes personnages de nouvelle, l’inspecteur André Despérine, déjà connu des lecteurs deLa Boîte de SchrödingerExp. 1, aux éditions numériques Walrus.
La première contrainte était un incipit : « Souvent, il fait le même rêve ». Elle donne le temps de narration du texte. Moi qui avais l’habitude d’écrire Despérine au passé simple, me voilà déjà bien servi.
La deuxième contrainte fut de placer des assonances en «ou »dans son texte. Une hérésie pour tout auteur, et bêta-lecteur, qui se respecte. Je crois que je m’en suis bien tiré.
La troisième contrainte, une péripétie sympathique: «Orage sur la ville, il pleut pendant 100 jours.» Despérine venait d’arriver au Caire. Joie.
La quatrième contrainte était une réplique à placer dans le texte: «Ah !Si seulement j’avais pensé à prendre mon nœud papillon.» Facile.
Au final, c’était bien marrant, tout ça. N’hésite pas à commenter, ou me
glisser un mot personnellement si tu as aimé cette histoire.
André Despérine
part en Egypte Souvent, il fait le même rêve. Il est dans une étrange montgolfière, au fond de la nacelle. Il fait chaud. En face de lui, accoudé au garde-corps, un homme habillé d'une queue-de-pie et d'un haut-de-forme regarde vers le sol loin au-dessous. Il tend sa main vers l'homme, accablé d'une énorme fatigue. Il l'appelle, mais l'homme ne se retourne pas. L'homme ne l'entend pas, il fume. Il a beau gémir le plus fort possible, il a beau héler, contracter ses muscles, pousser sur ses jambes, tirer sur ses bras, il est paralysé, incapable de se relever. Puis il suffoque, tousse, le souffle lui manque, la poitrine se comprime, et André Despérine se réveille coincé sous sa couverture.
Les nuits sont fraîches, l'été, dans le Valdecèze. Fraîches et sans nuages. Par la fenêtre de sa petite chambre, la clarté de la lune se répand sur le plancher de bois. L'inspecteur se lève, chaque nuit, l'esprit encore habité par son cauchemar. Il titube jusqu'à ses commodités pour se laver le crâne, remplir sa gorge à grosses lampées sous le robinet et oublier la chaleur écrasante du ballon dirigeable.
En regagnant son lit, Despérine traîne la patte. Il n'a pas envie de se rendormir. Il lorgne la couche de Mouchette, où la chienne ronfle. Il hésite à gagner la cuisine, faire un tour dans les placards, terminer cette dernière part de quiche. Mais il n'a pas faim et il n'a plus soif. Alors il s’assoit sur le bord du matelas et écoute la nuit. Au loin une chouette hulule, et Despérine ne se rend pas compte qu'il se rendort.
Le dirigeable file à travers un ciel bleu opaque. Le temps est à l'orage. Du fond du panier, Despérine ne distingue pas de nuagesmoins qu'ils soient tout autour. à L'homme en queue-de-pie l'ignore toujours, les volutes de son cigare se déforment dans l'air sous la vitesse de l'engin volant.
L'inspecteur panique de nouveau, impuissant, en pyjama, plaqué contre le cul de la nacelle, la tête entre un cordage de chanvre et un sac de sable à moitié vide. L'atmosphère est électrique. Il tente de contrôler sa respiration qui s'emballe et ces sons animaux qui sortent de sa bouche. Ses doigts se crispent, puis se tétanisent. Des sursauts parcourent son corps, épuisant les quelques forces qui lui restent. Ses sens s'entremêlent et, dans la confusion qui s'abat sur lui, sa main se referme sur un objet métallique. L'homme en queue-de-pie le foudroie du regard.
Son visage est creusé par le temps et les excès. Son nez difforme se pince d'horribles tics. Ses yeux sont remplis d'une haine sourde criant vengeance. Il se jette sur Despérine.
Vous me reconnaissez ? Dites-moi que vous me reconnaissez.
L'inspecteur secoue la tête, la voix éteinte. L'homme approche un peu plus sa gueule.
Regardez bien, Despérine. Regardez de plus près : je ne suis pas mort. Mélion
vous a menti.
Gontan ? L'inspecteur Despérine reconnait son ancien supérieur, l'inspecteur principal René
Gontan, dévoré par un fauve lors de ses dernières vacances en Afrique.
Je suis vivant, répète le fantôme du revenant. Venez me chercher. Servez-vous de ça.
Despérine louche sur l'objet qu'il serre dans sa paume : c'est un briquet à amadou
dont la mèche est immaculée. L'inspecteur réprime un éclat de rire et manque de
répondre «non »à son ancien chef de brigadel'assassinat d'Hébiart et depuis
l'horrible mort de Mélion, il était le seul maître à bord du commissariat du petit
département du Valdecèze. Mais il se réveille de nouveau.
Mouchette, au pied du lit, le fixe avec des yeux étonnés. Voyant son maître bondir de sa couche, le berger belge remue la queue et aboie de joie. Il ne faut pas trois secondes pour que le voisin de palier frappe à travers le mur. Par pure habitude, André Despérine attrape son chien par le cou et lui ordonne de se taire.
Assise, Mouchette. Tu vas réveiller l'immeuble.
Rassurée par les chuchotements caverneux de Despérine, la chienne cesse son vacarme, mais loin de rester assise, elle file tourner dans sa couche. Despérine l'observe avec dépit : il ne veut ni se rendormir ni contempler comme un sourd son animal de compagnie roupiller devant lui. Il entreprend donc de lui faire la conversation.
J'ai fait un rêve bizarre, Mouchette. J'étais dans un ballon volant et Gontan était là. Enfin, ce que je crois être Gontan. Il me dit être en vie. Il me demande de venir le sauver. Je fais quoi, moi, Mouchette ?
Mouchette penche la tête sur le côté, les oreilles en alerte, mais incapable de comprendre le moindre mot. Elle pousse un petit bruit, l'envie de communiquer à fleur de babines. Despérine, prenant son attitude pour un encouragement, continue son monologue.
Je ne veux pas me rendormir, vois-tu ? Ce voyouqui n'est pas Gontan, j'en suis persuadécapable de me mettre la corde au cou. Il faudrait partir, serait alors. Oui, mais pour où ?
L'inspecteur détourne son regard une minute et vise sa grande armoire et la valise qu'il y avait rangée.
L'Afrique ? C'est loin.
Dehors, la chouette monosyllabique lui répond avec étonnement. Les paupières d'André Despérine s'engourdissent et l'inspecteur s'assoupit de nouveau.
Gontan attrape Despérine par le col et le soulève pour qu'il se tienne au garde-corps. Il lui montre le vide, et le désert loin au-dessous.
Là, vous voyez ? Regardez ces dunes comme elles sont étranges. Tout est étrange dans ce pays de zouaves. Il faut que vous veniez, là. Suivez les mamelouks et n'oubliez pas le briquet.
Le briquet à amadou ?
Évidemment. Sinon, comment voulez-vous repartir d'ici ?
L'inspecteur fouille le paysage à la recherche des indices cités par Gontan, mais il ne voit rien de ressemblant, rien que des fleurs en bouton sur l'horizon, ou des champignons. Puis, les vagues de sable se meuvent et roulent en tous sens. Despérine cligne de l’œil, sa vision se transformant en kaléidoscope au flou gaussien. Des éclairs zèbrent le ciel. L'inspecteur se réveille en sursaut.
La pluie s'est abattue sur Sacqueroy, chef-lieu du Valdecèze. Couvert d'un imperméable beige assorti à Mouchette, Despérine attend le premier bus pour rejoindre Dijon sous son parapluie rouge. Il est tôt, beaucoup trop tôt pour une journée de travail. Mais quitte à choisir entre dormir, cauchemarder et se mouiller l'échine, l'inspecteur préfère ce dernier choix.
À huit heures et trente-deux minutes, l'autocar qui relie Dijon-Ville, puis son aéroport, déboule sur la chaussée pleine de nids-de-poule de la rue principale. Il s'arrête quelques mètres avant l'inspecteur, lui évitant d'être aspergé par les gerbes de boues que soulevait son passage.
André Despérine monte à l'avant, remercie l'intelligence du chauffeur moustachu et s'assoit sur le siège derrière lui, le bus étant vide, ce samedi matin. Au premier carrefour, le chauffeur se retourne vers lui.
Vous n’êtes pas le nouvel inspecteur ? Vous allez où comme ça?
Égypte. L'Afrique noire m'a toujours attiré. Mais méfiez-vous...
Pourquoi donc ?
Comme on dit, la nuit, tous les chats sont gris. En Afrique, c'est pire.
Devant la remarque piquante, Despérine ne répond rien et le trajet se déroule sans aucune autre conversation. Puis, à l'aéroport, il ingurgite une douzaine de cafés pour tenir le coup à bord du charter, sans s'endormir, au-dessus de l'Europe et de la mer Méditerranée, jusqu'au Caire.
Le Caire. Son soleil couchant, ses pyramides, ses odeurs fluviales, sa misère à chaque coin de rue. André Despérine ne s'y sent pas à l'aise. Il a déjà récupéré Mouchette dans un piteux état en sortie de soute et, de loin, il voit déjà les nuages noirs de son cauchemar s'approcher. Sa chienne jappe et mord le vide comme si quelques mouches lui suçaient le cuir, signe d'un stress inhabituel. Despérine se met en route.
Trouvons un abri pour la nuit.
Il n'a pas fait deux pas qu'un Bédouin l'accoste en lui écrasant le pied.
Non, pas d'abri ! fit-il dans un français très approximatif. Tu dois me suivre.
Qui donc êtes-vous ? Vous m'avez fait mal.
J'ai ça pour toi.
Le Bédouin lui tend un briquet à amadou. Despérine reconnaît celui de ses rêves : la mèche est blanche, le manche en étain serti d'un morceau de marcassite pure, la pierre à feu du Sahara. La barbe du nomade s'agite encore.
Tu n'as pas le temps. La tempête va s'abattre sur le Caire d'ici peu. Il pleuvra pendant cent jours. Viens vite.
Où ? Suis-moi !
L'arabe le traîne à vive allure dans les rues les moins fréquentées de la capitale égyptienne, puis dans des ruelles glauques et mal famées. Ils débouchent enfin sur une place au centre de laquelle trône un puits couvert. Saute ! Mais non !
Saute, je t'ordonne.
Despérine ne bronche pas. Il regarde son guide improbable, déjà mécontent de l'avoir suivi contre son gré. Quelques gouttes de pluie viennent soulever la poussière déjà lourde du sol. L'atmosphère est électrique. Le Bédouin roule des yeux, empoigne l'inspecteur et le jette dans le puits. Mouchette saute après lui dans l'obscurité. Ils s'écrasent dans une eau rance et peu profonde, mais dans un espace bien plus vaste que le boyau vertical.
Il faut plusieurs secondes à l'inspecteur pour que ses yeux s'habituent aux ténèbres. La citerne pue la pourriture et le rat crevé ; le voilà recouvert de cette odeur immonde. Despérine en regretterait la pluie qui tombe à la surface, mais, levant les yeux vers l'ouverture, il aperçoit la tête du Bédouin qui le fixe.
Continue. Tu n'as plus le temps.
Au fond du réservoir d'eau, une issue semble le mener vers d'autres dimensions. D'un geste adroit, il allume son briquet à amadou et, déchirant le col de sa chemise, place la braise dans le tissu, qui s'enflamme. L'eau d’égout à mi-genoux, Mouchette
surnageant entre les détritus, il entreprend une longue descente dans les profondeurs obscures du Caire souterrain.
Despérine ignore combien de kilomètres sirupeux il titube, combien de rats affamés il croise, combien de fois il doit rallumer sa braise, découper sa chemise. C'est torse nu, la valise à bout de bras, l'imperméable noué en bandoulière, et exténué qu'il arrive enfin au bout du conduit. Du moins, ce qu'il pense être le bout, puisqu'une lumière vacillante et les bribes d'une musique symphonique lui parviennent. L'inspecteur émerge dans une cuve gigantesque au dôme de verre, sous lequel s'élève une montgolfière aux couleurs chatoyantes. Sous son ébahissement, une voix l'interpelle :
Que faites-vous là, aspirant Despérine ?
L'inspecteur n'a pas besoin de se retourner pour identifier cette articulation pleine de dédain. Pourtant, une force étrange le traverse et il ne peut s'empêcher de redécouvrir celui qui fut, jadis, son supérieur hiérarchique. Gontan porte un chapeau haut-de-forme et une redingote noire à longues basques. Son visage est déformé par mille cicatrices. Le personnage, perché sur une rampe d'accès métallique, a perdu de son ventre, mais il n'en reste pas moins charismatique à ses yeux.
Je ne suis plus « aspirant ». Que vous est-il arrivé ?
À votre avis.
On a parlé d'un fauve.
Un sacré lion, oui. Je n'aurais jamais dû faire ce safari. Je me croyais trop bon chasseur.
Vous l'étiez.
Cette bête avait quelque chose d'humain dans le regard. On aurait dit de la
haine. Ne parlez plus de moi au passé.
Gontan s'approche, descendant du promontoire qu'il a aménagé en petit appartement ouvert à tout vent. Despérine observe un mouvement de recul, par précaution.
Vous viviez ici, reclus ?
Que vouliez-vous que je fasse ?
Rentrer en France. Vous êtes Inspecteur principal du département du Valdecèze, sous l'autorité directe du Préfet de police de Dijon. Vous auriez pu être rapatrié.
Gontan explose d'un grand rire.
J'étais mort. Sans identité, aucune douane ne m'aurait laissé passer. Je suis resté coincé 3 ans dans ce pays sous-développé.
Et vous m'avez appelé.
Je n'ai rien fait.
Gontan fronce des sourcils, l'incompréhension frappe son visage comme un coup de tampon sur un ticket de gare. Puis, il semble se rappeler d'unrêve, se dit Despérine.
Je suis là, pourtant. Un arabe m'a mené jusque-là. Il m'a poussé dans ce puits.
Il n'est pas arabe. Mesurez vos paroles, les temps ne sont plus auAkim ? racisme affiché.
C'est vrai. Alors comment expliquez-vous...
Avez-vous l'objet ? le coupa Gontan.
L'objet ?
Celui qu'Akim devait vous remettre.
Le briquet à amadou ?
Oui. Il va nous servir à sortir d'ici. Voyez ce dôme ? Il est amovible.
Despérine lève la tête. L'écho de la pluie qui s'abat sur le verre lui parvient s'il tend l'oreille. Il distingue aussi l'eau qui roule le long des parois translucides.
Nous sommes toujours au Caire ?
Évidemment. Vous n'avez pas gagné un seul neurone en trois ans.
Ne vous sentez pas obligé de me rabaisser.
Fermez-la et sautez à bord. La nacelle n'attend plus que nous. La météo n'est pas encore à son paroxysme, nous avons encore une chance. Vous ne souhaitez pas rester ici pendant cent jours, n'est-ce pas ?
Non. Y'aura-t-il assez de vent ?
D'un geste fatigué, l'inspecteur envoie son barda à bord du ballon. Du coin de l’œil, il remarque que Gontan actionne un lourd levier qui met en branle le dôme. Celui-ci s'ouvre alors, petit à petit.
C'est un dirigeable. Voyez ces moteurs ici et là, de chaque côté du ballon ? Ils
vont nous propulser. Diable, je voulais prendre une photo. Où ai-je mis l'appareil ?
Êtes-vous sûr que nous avons le temps pour ça ?
Il y a des priorités dans la vie, aspirant Despérine. Venez ! Un cliché. Si seulement j'avais pensé à prendre mon nœud papillon. Trente-six mois que je suis coincé ici. Cette sortie doit être immortalisée.
Gontan presse son sous-officier contre son sein, déclenche l'appareil à distance, l'ampoule-flash saisit l'instant. Il pousse ensuite Despérine dans le panier pas plus large qu'une vieille cage d'ascenseur et largue les amarres. Le ballon décolle dès la première étincelle du briquet.
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