Autoportrait d un inconnu
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Autoportrait d'un inconnu

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Publié le 26 mars 2013
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Autoportrait d'un inconnu
Terrible gueule de bois ! Qu'avais-je ingurgité ? je me
souvenais du Martini, du Porto et… et plus rien. La mémoire
ne tient pas l'alcool et sombre vite sous les flots de Whisky…
ah ! oui, il y avait aussi du Whisky ! Quelle stupidité, ces
paris d'ivrognes ! Mais le bar est situé sous mon appartement
et on m'y raccompagnait chaque soir de cuite. On me
rapportait, serait un terme plus approprié. Quatre étages sans
ascenseur, quatre-vingt kilos et quelques litres d'apéros à dos
de poivrot. Les copains du bar, j'avais vraiment confiance en
eux, jamais raté une marche ensemble.
Ce matin opaque, je me suis retrouvé au pied de mon lit, sur
le chemin d'une énième résurrection quotidienne. Sans me
cogner, j'ai évité la porte de la chambre entr'ouverte. Toujours
entr'ouverte cette porte, avec angle agressif. Attention, porte,
danger ! Remarquable comme réveil-méninges, ça actionne
des réflexes de commando dès potron-minet. Avant,
j'employais la technique dite de trouve-pantoufles pour que
mon cerveau active ses neurones et mes pieds à la recherche
des égarées. Mais pas assez de motivation. La porte elle, si on
la prend une fois dans le nez, on doit s'en souvenir. Le tout
c'est que personne ne modifie son orientation dans la nuit.
Mais aucun risque, je vivais seul. Très seul. Ensuite, la salle
                                                            Autoportrait d'un inconnuAutoportrait d'un inconnu 1de bains pour éclabousser visage et carrelage, le salon pour
lancer un CD de Rameau et la cuisine pour brancher la
machine à café. Rameau, ça grandiose les matins tristes, ça
virevolte les débuts de journée d'un tourbillon de violons.
Rameau, c'est bon pour tous les matins du monde. Le soir,
avant de descendre au bar, j'étais plutôt Pink Floyd.
Ce matin-là, j'ai écourté mon cheminement et je suis resté
dans la salle de bains sans les Indes galantes et les Musiciens
du Louvre. Mais pas sans conséquence ! Chaque jour est
éternité née. Et l'éternité, faut pas la contrarier ! Un nouveau
jour sans café, ça peut se faire, un début d'éternité sans
Rameau, impensable ! Ce fut pourtant ainsi. Quelque chose
capta mon attention et contraria mon rituel matinal.
Les mains appuyées sur le rebord du lavabo, j'ai approché
mon visage de la glace en décollant mes paupières
ensommeillées et je suis parti à la recherche du blanc de mes
yeux. Comme chaque matin, je n'y ai trouvé que voile
d'eau-de-vie et traces de beuveries. Habituellement, à cet
instant, je soupire fortement, referme les yeux avec grande
lassitude et m'asperge d'une fraîcheur rédemptrice. Mais j'ai
gardé les yeux ouverts. Attirés par leur double dans le miroir,
hypnotisés par l'image d'un homme fatigué de ses trop courtes
nuits. Un homme lâche, usé, vaincu. Un étranger qui s'invitait
chaque jour dans ma salle de bains, se présentant comme un
                                                            Autoportrait d'un inconnuAutoportrait d'un inconnu 2acolyte de fête. Une image à renier. Et acceptée. Delirium ?
Non, sa consistance me faisait face, il installait son existence.
Notre oxygène devenait commun, la glace s'épaississait, les
ombres s'enfuyaient et les reliefs se creusaient. Nos traits se
copiaient, blêmes sous la lumière blafarde que je m'étais
promis de changer tant de fois. Pourquoi m'être attardé sur ce
noir reflet ? Une soirée plus arrosée ? Un sursaut de
conscience ? Ou l'âge, qui rend languissants les matins
d'automne. Pourtant, quarante ans, ce n'est pas vieux. Sauf
quand on se ridiculise dans un bar en pleurnichant sur les
misères de sa vie. Une garce vous quitte pour un fumier ; un
fumier, pas le même, vous harcèle au boulot avant de vous
virer ; une garce, autre, de l'ANPE, qui se moque de vos
recherches de travail. Enfin, quand le monde entier ne vous
aime pas, on se sent vieux. A tout âge.
Mais tout cela ne pouvait expliquer cette longue pause
imprévue face à ce monde hostile qui tentait de s'approprier le
mien. En pensant aux univers parallèles de Murakami, j'ai
essayé de secouer ma tête, qui ne voulait bouger.
Hé ! double de toi, réveille-toi, tu somnoles dans ton lit,
lunettes et livre en vrac sur le visage ! Non, la migraine
tambourinait toujours sa chamade avec rancœur sur mes
tempes. Et l'autre m'observait toujours. Ses yeux s'orbitaient
de condescendance. Il semblait s'amuser de cet individu au
regard inquiet dont il remuait la lâcheté. J'ai vu alors ma peur
                                                            Autoportrait d'un inconnuAutoportrait d'un inconnu 3embuer la glace. Entre nous le tain s'est obscurci. Il a
frissonné, plusieurs fois. Pas froid pourtant dans nos salles de
bains. La pitié s'invitait au chaos de mes émotions. Que
cachait donc ce regard qui craignait tant à se refléter ? Quelle
peine purgeait-il ? Quel juge intransigeant l'incarcérait dans
cette détestable copie d'homme ?
Des pensées affolées se bousculaient dans ma tête. Rameau,
la porte entr'ouverte, le café, les copains, tout s'évanouissait.
Mon être se désintégrait lentement. De l'autre côté du miroir,
son corps devenait mien. Un corps ravagé, bedonnant,
essoufflé dès le deuxième étage ; un corps qui en fait
m'importait peu. Mais mon âme, toute tâchée de jus d'alcool
qu'elle fût, pas question de l'abandonner ! Avant, elle était
belle, mon âme, pure même. Je revendiquais toujours son
passé, je clamais ses jours heureux. Ceux des genoux
écorchés, ceux des acnés de jeunesse, de la première paume
sur la rondeur d'un sein adolescent, des premières claques de
filles, de profs, de flics. Ces jours d'avant, seule sauvegarde
du disque usé de mon quotidien, je les rappelais souvent avec
nostalgie. Parfois avec honte, de les avoir trahis. Lui pas, qui
ricanait, déjà assuré de sa perte. Je me suis approché pour
l'intimider. Pour le repousser, pour décrocher cette ternissure
qui voilait mon avenir. Il en fit de même, habitué aux vaines
promesses, aux plaintes répétées.
                                                            Autoportrait d'un inconnuAutoportrait d'un inconnu 4Tout est dans le regard, philosophait souvent le poivrot du
troisième tabouret du bar d'en bas. Les yeux sont reflet de
l'intérieur, répétait-il avant de s'écrouler. Foutaises ! Une âme
regard qui dit bonjour, qui avoue son chagrin, qui éclate de
rire, qui aime ? Rêveries sentimentales ! Je n'avais toujours
vu que des yeux pleurer, briller, se moquer, parfois envier,
souvent s'éteindre. Rien d'autre ! Je sais maintenant mon
erreur. Accepter un regard offert, c'est pénétrer une propriété
privée, contempler une nudité, effleurer la vérité. Découvrir
une malle aux trésors, ou une boîte de Pandore. Tout est dans
le regard, insistait mon compagnon de bouteille. In vino
veritas.
Dans ma salle de bains, raison et folie s'affrontèrent ce
matin-là. Arrête ce jeu stupide ! Résiste, ne baisse pas le
regard ! Veni, vidi. Je suis resté. J'avais tout mon temps.
Personne ne m'attendait. Sauf l'ANPE. ANPE ! un mot de vie
réelle ça. Ma raison combattait donc encore. Je me suis
rapproché du miroir, limite presbytie. Cet homme m'effrayait.
M'attirait. Sa tête, c'était moi, ses yeux, encore moi, son air
abattu, moi. Mais je n

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