Il faut y aller, maman.
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courte nouvelle sentimentale (ou non)...

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Publié le 11 juin 2012
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Langue Français

Extrait

Valentin 2012
 Ilfaut y aller, maman. Bonjour maman, comment ça va aujourd’hui? Ça va, ça va doucement. Tiens, je t’ai ramené des nouvelles fleurs, des tulipes, tu aimes les tulipes? Oui, mais je les préfère rouges.Mais c’est bien, quand même, jaunes, ça change... Certainement ! Cette semaine, c’était des camélias et la semaine dernière,je t’avais apportédes roses. Il faut savoir changer à un moment, de fleurs ou…de service.Patricia, tu ne vas pas recommencer ! Pas longtemps,maman, promis. Mais en venant ici, j’ai croisé dans le couloir le directeur. Il me confirme que ce serait bien pour toi de changer de service mais il ne reste plus beaucoup de place. Je suis très bien, ici. Oui, mais il y a plus de confort dans l’autre service, et Julie va bientôt entrer en faculté. Comment elle va ma petite fille ?Ça faitbien longtemps que je ne l’ai pas vuTu sais maman, elle n’a pas arrêtédernièrement, entre le bac, l’inscription à l’université, son job d’été, le permis de conduire…et moi aussi. Vivement les vacances ! Vous partez quand, déjà ? 1Il faut y aller, maman.
Valentin 2012
Samedi prochain. Paul a réservé une quinzaine à La Baule, et pour une fois depuis longtemps, Léa nous accompagne. Ah c’est bien…toute la famille sera réunie.Oui, et on a hâte. Elle traverse une mauvais passe, Léa, en ce moment. Sa séparation avec son vaurien de compagnon, sa perte de boulot…On a dû gérer tout cela de loin. Ce n’est pas facile pour nous, maman, je te prie de me croire. Jen’en doute pas, Patricia. Léa a toujours été très jolie, c’est une jeune femme à présent. Ça lui fait quel âge, déjà ? Vingt cinq ans. Oh oui, vingt cinq ans…Tu l’embrasseras pour moi? Je n’y manquerai pas…Les vacances vont nous faire beaucoup de bien, et toi, ça ira ? Oui, commed’habitude. En tout cas, je suis bien contente d’avoir maintenant des fleurs dans ma chambre chaque semaine. Ça met un peu de vie. Pour sûr, maman, il n’y a rien de mieux que des fleurs pour égayer une pièce. Allez, à la corbeille les camélias, et place aux tulipes. Très bien, très bien. Tu as raison, Patricia, le jaune, ça change. Et ça va parfaitement avec la lumière du matin.Le directeur m’a dit que si tu changeais de service, tu aurais une chambre plus grande, avec vue sur le parc. Et ce que je nesavais pas, c’est que tu aurais aussi un petit balcon, rien que pour toi. Tu pourrais prendre ton petitdéjeuner au soleil et admirer le paysage. Regarde, de cette chambre, tu ne vois que l’immeuble d’en face. Et le bruit, ça ne te gêne pas le bruit ? Non. Depuis le temps, je m’y suis habitué.Moi, j’aurais du mal avec ce bruit continu des voitures. Ça me fait un peu d’animation. Tu sais, Patricia, dans cette maison de retraite, je ne vois quasiment personne, à part les dames de service. Et encore, elles n’arrêtent pas de changer.Mais maman, rappelletoi, l’été dernier, tu crevais de chaud et tu avais du mal à t’endormir la fenêtre ouverte avec ces bruits incessants de voiture. Ah, ça, c’est vrai.Ce qui manque, c’est la climatisation.Qui est installé dansl’autre service. Et làbas,c’est le chant des oiseaux que tu entendras. Oui, mais c’est juste pour un an. Et un an, c’est court…C’est douze mois, quatre saisons, des journées qui ne se ressembleront pas comme les tiennes actuellement. Et tu auras la télévision. Elle ne te manque pas la télévision ? Si, je dois bien l’avouer. Le temps est long parfois. Mais ici, je pourrais l’avoir, la télévision. Elle est en option…Maman, avec la crise aujourd’hui, le chômage de Léa, le boulot de Paul qui neva pas fort…
Il faut y aller, maman.
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Ah c’est malheureux pour les jeunes, tout de même. Et Paul, comment vat il ? Il fait aller, il travaille beaucoup, il stresse de temps en temps, mais on se débrouille. Mais les temps sont durs, maman, et on ne peut vraiment pas te payer l’option, tu comprends ? Oui, bien sûr.  Tu ne nous en veux pas ? Non, Patricia, que vastu t’imaginer?! Merci ! Je t’aime, maman.Moi aussi, ma fille. C’est pourquoi tu nous rendrais service si tu disais oui.Patricia, un an, c’est extrêmement court! Je suis ici depuis trois ans et je me sens en pleine forme. A part les yeux, les reins et le cœur…Evidemment, je ne suis plus de première jeunesse, j’aitout de même épuisé quatrevingt trois printemps. Quatrevingt quatre. C’est vrai, tu comptes bien, Patricia. Je le sais, car avec la nouvelle loi, tu aurais pu changer de service l’année dernière. Auparavant, il fallait avoir au minimum quatrevingt cinq ans. Ça te gêne tant que cela que je ne veuille pas y aller ? Disons que ce n’est pas très astucieux. Dans un an, les successions seront plus lourdement imposées, près des troisquarts. Et c’est vraiment fini les donations de son vivant? Je te l’ai répété maintes fois, maman. Oui, c’est terminé, définitivement.Et nous, on galère. On travaille, on paie. Et pour nos retraites à nous, maman, on n’aura même pas tout de que tu as eu.Et tu seras mieux dans l’autre service, au dernier étage, la vue est plus dégagée et la nourriture bien meilleure. Ça, c’est vrai. Suzanne m’a ditque leur ordinaire n’avait rien à voir avec le notre. Elles sont mieux suivies, aussi. La nuit, on entend les dames de service monter dans l’escalier, alors, que nous, on a beau sonner, personne ne vient. Tu vois ! Tu auras tout le confort et tu rendras service à la famille, car même pour Pierre, ce n’est pas facile.Pierre…cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu mon fils.Il est venu te souhaiter la bonne année, maman, sois raisonnableC’est vrai, il n’oublie jamais. Mais j’aimerais bien le voir plus souvent.Il habite à trois cents kilomètres et il a son travail, ses enfants. Tiens, je t’ai amené des photos des garçons. Là, Quentin et ici, le jeune Gabin. Qu’ils ont grandis! Je me souviens de Gabin quand il était un gamin. D’ailleurs, j’ai toujours trouvéça bizarre, Gabin, comme prénom. Pas toi ?
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Non,moi, j’aime bien…Et si tu es d’accord pour opter pour le nouveau service, je te promets que nous viendrons tous te voir à Noël. Même Pierre ? Même Pierre et ses deux garçons, tes deux petites filles, Paul et moi. Toute la famille réunie, il ne manquerait plus que Georges. Tu le reverras, papa. Et ça ne peut pas être plus de douze mois ? Non, ce serait trop beau. Mais tu profiteras de trois cent soixante cinq jours uniques. Chaque date sera la dernière et à savourer autrement que les interminables journées que tu passes à te morfondre. Et on se verrait plus souvent également car si on ne vient pas plus, c’est qu’on pense qu’on a le temps et on reporte. Là, on saurait que tu es présente douze mois, et pas plus. Et comment ça se passe aubout d’un an? Le dernier jour, le docteur vient te voir dans la chambre et te fait une toute petite piqure. Et tu t’endors à jamais, sans souffrance et dans la plus grande sérénité. Et pour les papiers ? Tu signes un contrat optant pour le service « tout confort » et un avenant est signé par toi, moi, le docteur et le directeur pour le « départ volontaire dans la dignité». Et dans ce cas, la succession n’est pas imposable. Ça nous donnera un peu d’air.J’hésiteencore, ce n’est pas une décision facile à prendre. Je te l’accorde bien volontiers, mais je pense que c’est ce qu’il y a de mieuxà faire pour tout le monde.Tu as le cœur fragile, maman, et si ton cœur lâche, tu partiras sans avoir pu profiter pleinement de tes derniers jours et presque tout ce que vous avez gagné avec papa au cours de votre vie de travail ira à l’état. Mais c’est toi qui décides…Alors, qu’estce qu’on fait, maman ? Eh bien, allonsy…si tu penses que c’est mieux. De toute façon, il faut bien y aller un jour. Comme ça, je rejoindrai ton père. Arrête, tu vas me faire pleurer, tu sais comme je suis sensible... Mais tu fais le bon choix, maman, sincèrement. Tu seras bien mieux que dans cette chambre minuscule. Sachequ’après signature, tu as sept jours pour te rétracter. Je ne le ferai pas. Tu as sans doute raison, après tout. A un moment, il faut savoir y aller…Très bien. Je vais aller voir le directeur et je reviens avec les papiers. A notre retour de vacances, je viendrai te voir avec les filles et on pendra la crémaillère pour fêter ta nouvelle chambre, au champagne ! J’aimais bien le champagne, avant.Je le sais, maman. Bon, j’y vais à présent. Je te laisse avec tes nouvelles fleurs, elles te plaisent ?
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Elles sont très jolies, Patricia, et c’est vrai qu’on s’habitue au jaune. Tu sais ce que ça signifie des tulipes jaunes ? Je ne sais plus…le luxe, la prospérité, je crois.Pas seulement Patricia. L’amour sans espoir également.Eh bien, ce n’est pas notre cas à nous, je t’aime, maman.Moi aussi, ma fille. Valentin
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