Kidnapping - Extrait
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Description

Qui se cache derrière la façade respectable d’Henri Lethuillier ?
Ce fringant retraité de la Compagnie du Gaz, auteur de guides pratiques à succès, se promène tous les jours paisiblement sur les chemins de Plessy-sur-Blières. Et pourtant, un après-midi de juin, il est victime d’un kidnapping.
Qui en est l’auteur ? Le voisin, Lucas Guérin, qui regarde son épouse Adèle Lethuillier d’une drôle de manière ? Le mari de sa maîtresse, la pharmacienne ? L’un de ses fans ? Et surtout que font Jacques et Annabelle, ses enfants disparus un an plus tôt, dans toute cette histoire ? Séquestré dans une grange, Henri ne tardera pas à l’apprendre. Face à lui-même, il devra répondre de ce dont on l’accuse.
Ce premier roman de Maryline Gautier dresse le portrait d’un pervers narcissique ordinaire qui martyrise son entourage en toute bonne conscience. Roman psychologique à suspense, il nous entraîne dans les méandres d’un cerveau malade incapable de se remettre en cause.

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Publié le 10 août 2015
Nombre de lectures 3
Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Maryline Gautier
KIDNAPPING
roman
La Ligne bleue
ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE
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Ce jour-là, Henri marchait sur sa route. Sa route, oui. Depuis qu’il est à la retraite, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il grêle, on peut l’y trouver tous les jours, de quatorze à seize heures. Il met tant d’assiduité à suivre le même itinéraire qu’il considère cette route comme sienne. Chaque arbre, chaque clô-ture, chaque poteau électrique lui est familier jusqu’à l’écœurement. Nulle contrée n’est moins accueillante pour les promeneurs. La terre est spongieuse, gorgée d’eau neuf mois sur douze. Non qu’il pleuve plus ici qu’ail-leurs, mais les chemins restent meubles plusieurs jours après l’orage. Ses bottes s’enfoncent dans la glaise, y laissent leur empreinte. Il ne retire aucun agrément de cette promenade. Il aime aller à rebours des choses, c’est dans sa nature. S’il avait habité un pays fait pour la marche, il est probable qu’il se serait terré chez lui. Après la sapinière, il emprunte une sente ravinée qui mène vers un fouillis d’épineux et de taillis dans
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lequel il disparaît pendant une bonne heure. Sa volupté à s’enfoncer dans ce maquis s’accompagne d’un fond d’inquiétude depuis que Jean Tellier occupe la mairie. Car le nouvel élu a décidé de réformer le vieux bourg. À l’entrée du village, une pancarte : « Plessy-sur-Blières, découvrez les plaisirs d’hier ». Pour relancer l’activité touristique, un camping municipal, inauguré en grandes pompes l’année précédente, a été installé. L’euphorie du maire n’a pas fait long feu quand sont arrivés les romanichels, en processions silencieuses. Le maire espérait d’aimables touristes, il se retrouvait aux prises avec des voleurs de poules. Avec la complicité cupide des paysans, il a divisé les champs alentour en lots à bâtir. Des hangars noircis d’épines, à moitié effondrés, ont été rasés par les bull-dozers. Les chemins défoncés, anqués de murs d’épi-neux, ont disparu sous le bitume. Des maisonnettes sorties d’un magasin de jouets – murs blancs, tuiles rouges, clôtures vertes – sont apparues en quelques mois. Hommes, femmes, enfants ont suivi. Et des chiens bien sûr. Il déteste les chiens. Lui qui ne craint rien, ni personne, il a peur des chiens. Son itinéraire a été épargné par la frénésie immo-bilière du nouveau maire car Henri déambule sur les terres de son voisin, Lucas Guérin, le seul à résister encore aux sirènes ïnancières des édiles. Il paraît que Tellier a fait monter les enchères pour le champ près du
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carrefour de la Croix de bois. Henri est au courant des ragots. Adèle, sa femme, les lui rapporte au retour de la messe du dimanche. Dès l’hostie avalée, les langues se délient sur le parvis de l’église. Les rumeurs vont bon train. La dernière en date : Tellier projetterait la construction d’une patinoire. Personne n’a cherché à vériïer l’information, mais les esprits se sont enam-més et le mot de pétition a circulé parmi les dévots du dimanche. Adèle a été choisie comme émissaire au-près de la seule personne du bourg capable de rédiger les doléances : Henri. Comme son métier est d’écrire, ceux du bourg le considèrent comme l’écrivain public. – Tu es d’accord ? – Nous verrons ça. Il a déjà les mots de la pétition en tête. Il l’écrira, leur papier. Pas par bonté d’âme ni conviction. Il se ïche de la patinoire, comme des autres idées loufoques de Tellier. Si le maire voulait repeindre le village en rose, il n’y trouverait rien à redire. Le village, son vil-lage, n’existe plus que dans ses souvenirs, embelli à souhait. Ce qu’il en reste l’indiffère. Il rédigera la péti-tion pour montrer son inuence souterraine sur les af-faires du bourg. Du fond de son antre, silencieusement et sans se mêler des projets locaux, Henri Lethuillier veille. Mais qu’on ne compte pas sur lui pour occu-per un rôle public. Car il n’aime pas à paraître, encore moins depuis qu’il connaît un certain succès grâce à la
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publication de ses livres. Pour vivre heureux, vivons cachés ; voilà sa devise où les sots voient une preuve de modestie et les moins sots la marque d’un orgueil démesuré. À l’heure où le monde s’exhibe, il se cache pour nimber sa personne de mystère. Il ne met plus les pieds à l’église où il se rendait en trois occasions – Noël, Pâques et la Toussaint – pour s’assurer une place au paradis. Il laisse désormais à Adèle le soin de sau-ver leurs deux âmes. On ne le voit plus au Molière, un bistrot où il lui arrivait de déjeuner quand il travaillait au Gaz. Bref, il ne va plus nulle part. Sauf sur sa route. Il n’y croise guère que Lucas Guérin. Lui que la légende villageoise dit riche à millions a la mise d’un hippie : des cheveux qui lui tombent dans le cou, une casquette vissée sur la tête, un jean serré dans des bottes, un blouson de cuir. Comme s’il s’apprêtait à chevaucher une moto plutôt que son tracteur. Quand il est revenu dans la ferme familiale, après la mort de sa femme, Guérin s’est mis à la culture céréalière. Dans ce pays de betteraves, le prétentieux, anobli de son diplôme d’ingénieur agronome, a décidé de cultiver le sarrasin, le blé et le quinoa. Toujours ce besoin de se distinguer, songe Henri. Déjà, sur les bancs de l’école, il était le seul à résis-ter à sa dictature enfantine. Sans violence, ni agres-sivité, juste une façon de rester à l’écart du troupeau. Henri aurait de loin préféré un combat de chefs à
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cette morne résistance. Car l’âme forte du petit voi-sin ébranlait son assurance. Il l’observait à travers les maigres sapins qui séparaient leurs deux jardins, en train de construire des mangeoires pour les oiseaux et d’arroser ses eurs. Quarante ans plus tard, rien n’a changé. Quand ils se croisent, Henri soulève son chapeau et Lucas touche sa casquette. Henri enrage comme autrefois. Il sait que son voisin n’a de considération qu’envers ceux qui suent sang et eau pour gagner leur croûte et que, du haut de son tracteur, il ne voit en lui qu’un jeune retraité désœuvré. Sans doute compte-t-il pour rien la publication de ses livres. Son statut d’écrivain doit lui apparaître comme une marque d’excentricité, ce que conforte son allure. Depuis la sortie de son premier guide, Henri a décidé de ressembler à un écrivain, ou plutôt à l’idée que les gens d’ici se font d’un écrivain, c’est-à-dire un être à part, mystérieux, solitaire, un rien original. Un habit noir lui a semblé le costume le mieux adapté ; barbe et moustache sont venus compléter la panoplie. Et puis un chapeau, un feutre noir qui ne le quitte plus et, comme il n’ose pas déambuler sur les chemins poussiéreux une canne à pommeau à la main, il a un bâton pour ouvrir des passages dans les taillis et, si besoin, effrayer les pro-meneurs. Certains jours, il lui plairait de faire tâter de son bâton à Guérin.
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Est-ce qu’Adèle et Lucas parlent de lui dans son dos ? Lui a-t-il dit qu’il avait surpris Henri en train de faire la sieste dans un champ ? C’était en avril dernier. Il était sorti de ses sentiers battus pour bifurquer vers un modeste coin de verdure où le soleil perçait à peine sous les frondaisons. Un tapis de verdure rendait ces quatre mètres carrés si accueillants qu’Henri, qui jamais n’avait fait la sieste ailleurs que dans son lit, s’était s’al-longé au pied moussu d’un chêne. Deux images bor-naient sa sieste : un geai sautillant sur sa branche, et, au réveil, Guérin. D’abord ses bottes crottées puis lui tout entier, debout, mains dans les poches. « Belle journée », avait-il dit en tournant les talons. Est-ce que Guérin en a parlé à Adèle ? Il les entend parfois rire ensemble. Ces deux-là s’entendent à merveille. Adèle est solide, sait manier la fourche et la bêche. Guérin ne se prive pas d’utiliser cette main-d’œuvre bon marché. Henri s’est souvent demandé si Monsieur l’ingénieur agronome ne fantasmait pas sur sa pieuse épouse.
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Une pétarade sifante coupa le ïl de ses pensées. Il se retourna sur une camionnette blanche, cahotant sur sa route. Des touristes au mois de juin ? Les enva-hisseurs arrivaient de plus en plus tôt. Il fallait croire que la publicité tapageuse de Tellier portait ses fruits.
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Plessy n’avait pourtant rien qui vaille le coup d’œil et la mer se trouvait à plus de dix kilomètres. À en juger par l’état du véhicule, sûrement une bande de jeunes cherchant le camping municipal. La camionnette freina brutalement et s’immobilisa quelques mètres derrière lui, comme s’il avait été natu-rel que ce fût lui, l’autochtone, qui se portât vers eux. Ces gens-là, sous prétexte qu’ils sont en vacances, se comportent comme des brutes, pensa Henri. Sans hâte, il ït les quelques pas qui le séparaient du véhicule, se réjouissant à l’avance à l’idée d’expédier les malotrus à l’autre bout du canton. Il comptait montrer à l’étran-ger qu’au pays des bouseux vivent des gens courtois et élégants. Le visage du conducteur était noyé dans l’ombre d’un chapeau. Il ôta le sien et prit sa voix la plus suave : – Bonjour, mon ami. Vous cherchez sans doute le camping ? Vous n’y êtes pas du tout. Vous lui tournez même le dos. Il pointa un doigt au-delà de la sapinière. – Faites demi-tour. Tout droit pendant une dizaine de kilomètres jusqu’à ce que vous atteigniez le cal-vaire, la Croix de bois, c’est ainsi que nous appelons l’endroit. Là, vous… Ce furent ses derniers mots d’homme libre.
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Couverture : Jean Mineraud. Photos : © 2014-2015 Fotolia LLC.
© SNELA La Différence, 30 rue Ramponeau 75020 Paris, 2015.
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