L affaire Sougraine
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Description

Léon-Pamphile Le May était un homme de lettres québecois du XIXe siècle, dont l'oeuvre comporte des traductions, des romans et des poésies.
Avec l'affaire Sougraine (1884), il effectue la reconstitution littéraire d'une affaire judiciaire de son époque, une affaire de meurtre dont le principal suspect est un Amérindien du nom de Sougraine.

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Publié le 23 mars 2011
Nombre de lectures 145
Langue Français

Extrait

L'AFFAIRE SOUGRAINE Léon-Pamphile Le May PROLOGUE : LES DEUX FUGITIFS Il y a vingt ans les chemins de fer ne sillonnaient pas, comme aujourd'hui, les immenses prairies de l'ouest, et les voyageurs traversaient, à cheval ou à pied, la zone étonnante qui se déroule des bords du Mississipi aux montagnes rocheuses. Tantôt, dans la glauque prairie sans bornes, une caravane passait comme un tourbillon et s'estompait sur l'horizon, comme le bronze d'un bas-relief sur la corniche d'un temple; tantôt un chasseur, débarrassé du joug qu'impose la société des hommes, cheminait seul, au hasard, buvant à la fontaine et dormant sur le foin vert, à la merci du ciel, avec les fauves et les oiseaux. Les blancs sortaient de leurs villages et les indiens sortaient de leurs montagnes, pour venir dans ces plaines chasser le buffle roux, et quelque fois des combats singuliers, plus souvent des engagements terribles, entre les bandes jalouses, arrosaient de sang le sol encore vierge. Nul écho ne répétait les clameurs des combattants, les éclats des mousquets, les plaintes des vaincus, les chants des vainqueurs. Tous les bruits s'éteignaient dans l'air morne; la solitude gardait ses secrets. Cependant le trappeur qui collait son oreille au gazon, pour interroger le désert, entendait d'étranges murmures, et des tas d'ossements blanchis proclamaient, en ces lieux comme ailleurs, la malice des hommes. Un jour du mois de juillet de l'année 18- , un indien s'en allait à travers la prairie, le fusil sur l'épaule, le regard fixé sur la chaîne des montagnes rocheuses dont les pics s'enfonçaient comme une dentelure noire dans la lumière du ciel. Une jeune fille le suivait. Elle marchait avec peine et se laissait distancer souvent. Il l'attendait de moment en moment, sans murmurer, mais sans lui dire ces paroles d'encouragement qui font tant de bien à l'âme. De temps en temps la jeune fille pleurait et, du revers de sa main, elle essuyait les larmes du chagrin qui se mêlaient aux sueurs de la fatigue. Elle pouvait être l'enfant de cet homme qu'elle accompagnait, mais la blancheur de son teint, l'éclat de son oeil bleu, la régularité de ses traits, disaient qu'elle n'était pas indienne. D'où venait-elle et pourquoi si jeune et tout étrangère aux coutumes et au langage de l'habitant des bois, avait-elle laissé sa famille et son village pour suivre les pas de ce chasseur ? Il n'était point beau. Son visage plat et sans barbe, sa bouche largement fendue, sa peau cuivrée, ses cheveux rudes qui tombaient en mèches inégales, n'en pouvaient faire un séducteur bien redoutable. Avait-il, par force ou par ruse, ravi cette fille à ses parents ? Avaitelle volontairement déserté le toit paternel pour vivre la licencieuse existence sauvage ? Il était bien coupable ou elle était bien perverse. Le soleil semblait toucher déjà l'une des cimes éloignées, et lui faire un nimbe d'or. Ses reflets moins chauds glissaient obliquement sur les flots de verdure qu'agitait le souffle du soir. La prairie rayonnait comme une mer profonde où n'apparaît aucune voile. Pas un bruit, pas un chant, pas une plainte, sauf le frémissement léger des tiges de foin sec qui s'emmêlaient dans leur bercement. Les deux voyageurs s'arrêtèrent au bord d'une fontaine, allumèrent du feu avec l'herbe aride et firent rôtir une tranche de bison, mets délicieux de ces sauvages endroits. - Les montagnes n'approchent pas vite, commença l'indien, et si tu ne marches plus, va, le soleil se lèvera deux fois sur la prairie avant qu'on dorme sous les grands arbres. - Je suis épuisée, répondit sa compagne. - Il faut accoutumer tes pieds aux longues marches, Elmire, car l'homme de la forêt ne s'arrête guère. Et puis l'on a bien fait de mettre un long espace entre le Saint-Laurent et nous. On informe, on fait des recherches là-bas peut-être. - Le souvenir de ta femme me poursuit sans cesse comme un remords, Sougraine. Tu n'aurais pas dû l'abandonner, cette malheureuse, par le temps qu'il faisait, seule, sur la grève de St. Jean. Elle ne serait peut-être pas morte. - Elle voulait mourir; tu sais, elle le disait; seulement, va ! l'indien ne se pardonnera jamais l'imprudence qu'il a faite en laissant au cadavre la corde qui lui servait de ceinture. Elmire- c'était le nom de cette jeune personne- pencha la tête sur sa poitrine et resta longtemps absorbée dans un rêve douloureux. Les dernières lueurs du jour s'éteignirent peu à peu, les ombres s'étendirent comme des voiles de deuil sur les champs infinis et le sommeil vint fermer les yeux des fugitifs. Au milieu de la nuit ils furent éveillés par un bruit semblable au grondement du tonnerre. C'était le feu qui dévorait la prairie. Le vent soufflait et les torrents de flamme, roulant comme des vagues en fureur, se précipitaient vers eux. Des tourbillons d'aigrettes ardentes, formées des grappes de foin, s'élançaient de tous côtés, et la rafale les semait pour allumer de nouveaux incendies. Le torrent poussait plus vite ses deux extrémités comme pour former un cercle implacable autour des malheureux. La clameur, sourde d'abord, devenait éclatante, le sol tremblait, l'air était brûlant et des panaches de fumée noire montaient vers le ciel. L'indien et sa compagne, pris de terreur, se mirent à fuir devant le fléau. De temps en temps ils tournaient la tête pour voir si le danger grandissait. La peur leur donna d'abord de nouvelles forces. Bientôt, cependant, ils s'aperçurent qu'ils faiblissaient et que leurs pieds perdaient de l'agilité. Leur poitrine haletante ne suffisait plus à aspirer l'air chaud qui les enveloppait, leurs mains se crispaient comme pour saisir un appui, leur gorge râlait, leurs paupières cuisantes et rougies s'ouvraient sinistrement. Ils couraient toujours et trébuchaient dans les sinuosités du terrain. Le feu courait plus vite. L'indien, espérant d'abord se sauver avec sa compagne, n'avait pas voulu l'abandonner; mais à cette heure que le danger était grand, il songeait à se sauver seul et la laissait en arrière. En vain, d'instant en instant, elle lui jetait un cri désespéré, il ne l'entendait plus; il ne voulait plus l'entendre. La crainte de la mort tuait son amour. Elmire retourna la tête une dernière fois et comprit que le salut était impossible. L'océan de flamme lui jetait déjà ses bouffées ardentes. Elle eut une pensée pour sa mère lâchement abandonnée, pour son humble village si calme et si heureux, puis elle s'affaissa. Dans une gorge tortueuse et profonde des montagnes rocheuses, une petite troupe de voyageurs canadiens cheminait avec précaution. Elle venait de la Californie. La soif de l'or l'avait attirée dans cette région lointaine, le besoin de revoir les rives natales la ramenait au bords du Saint Laurent. Elle avait bravé mille dangers pour atteindre les mines célèbres où s'est précipité le monde des travailleurs aventureux, elle en bravait mille autres pour retrouver les joies de la famille et les charmes indéfinissables de la patrie. Parmi les gens qui composaient cette troupe se trouvaient Léon Houde, Ovide Beaudet et Casimir Pérusse, de Lotbinière. Houde, marié et père de famille, les autres, garçons. Tous étaient durs à la fatigue, gais compagnons et bons amis. La troupe allait bientôt sortir de l'âpre chemin qu'elle avait heureusement suivi à travers les montagnes. Une dernière nuit dans les ravins, à l'abri des rochers, et la partie la plus redoutable de l'immense route serait traversée. On entrerait dans la prairie. Les sioux, ces terribles indiens de l'Ouest, n'avait pas découvert la marche des blancs et nul combat ne s'était engagé. A l'approche du soir, la tente fut dressée au pied d'une muraille de roches coupée en zigzag par un filet d'eau, et les voyageurs se couchèrent sur un lit de feuilles. Ils s'endormirent tour à tour de ce bon sommeil qu'apporte la fatigue, et leur esprit s'envola, sur l'aile capricieuse de l'imagination, vers les régions qu'ils avaient quittées, vers les plages qu'ils allaient revoir. Une sentinelle veillait à la porte de la tente, pour donner l'alarme au moindre bruit inusité. Il ne fallait pas s'endormir dans une confiance funeste et perdre, au dernier moment, le fruit d'une longue prudence. On se relèverait d'heure en heure, car il n'eût pas été juste qu'un même homme veillât toute la nuit. Le premier désigné par le sort vint s'adosser à un arbre, le revolver au poing, l'oreille attentive, puis, une heure écoulée, il céda sa place et s'en alla dormir. Il était minuit. Casimir Pérusse sortit de la tente et se mit en faction à quelques pas, au bord du torrent. La nuit était très noire, surtout au fond de cet abîme on reposaient les voyageurs canadiens. Un silence presque lugubre régnait partout et le torrent lui-même, trouvant en cet endroit un lit de sable, se taisait. On n'entendait que la source voisine qui murmurait en descendant du rocher où elle s'était creusé un lit capricieux. Pérusse tira son briquet et fit sortir le feu de la pierre. Le tondre en brûlant répandit une odeur agréable. Quand il eut fumé quelque temps il secoua les cendres de sa pipe sur des feuilles sèches, à ses pieds, et une flamme légère se mit à vaciller gaiement. Il prenait plaisir à regarder le rayonnement du feu sur les angles des rochers et sur les feuilles des arbres. Une douce mélancolie enivrait son âme. Il songeait à sa mère qui l'attendait en priant, à son père qui recevrait une bonne poignée d'or, aux amis d'enfance qu'il étonnerait par ses récits merveilleux. Et la flamme grandissait, et son pétillement devenait vif. Une voûte noire, dont l'oeil ne pouvait percer la masse ténébreuse, pesait de plus en plus sur la ravine. Pérusse ne voyait rien à cause de l'éclat de la flamme qui l'éblouissait. L'imprudent, s'il eut pu voir, il aurait aperçu, de l'autre côté du ruisseau, quelques ombres menaçantes qui se glissaient sans bruit et s'approchaient toujours. Il achevait sa faction et se disposait à éteindre, avant de se retirer, le feu qu'il avait allumé, quand, soudain, des sifflement
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