la déconstruction philosophique de l humanisme occidental dans les écrits pacifistes de Giono
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La déconstruction philosophique de l’humanisme occidental dans les écrits pacifistes de Giono Par Rachid Zaouri Giono, comme d’autres écrivains de sa génération intellectuelle, est le témoin du naufrage fracassant des grands mythes progressistes de l’humanisme occidental qui, depuis les Lumières a fait confiance à la Raison quant à la possibilité de rompre avec les servitudes de l’état de la nature. L’Histoire devient cette odyssée où l’homme devient le maître du Sens, qui projette les possibilités de son accomplissement et de sa perfectibilité à travers les grands récits émancipateurs et messianiques. La bourgeoisie libérale et son antithèse- mais aussi son correctif- marxiste ont cela en commun qu’elles constituent deux versions concurrentes d’une même volonté d’ouvrir la temporalité humaine vers des lendemains meilleurs ; une même foi dans un futur divin qui verra l’homme, non seulement affranchi de la misère qui l’assiège, mais devenir l’architecte souverain de l’éden du progrès et de la liberté. Toutefois, les utopies globalisantes et révolutionnaires du XIX siècle, constate Giono dans ses écrits politiques entre les deux guerres, ont trouvé leurs réalisations cauchemardesques dans les systèmes totalitaires et cette guerre du matériel dont parle si bien Ernest Jünger.

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Publié le 14 mai 2014
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Langue Français

Extrait

 Ladéconstruction philosophique de l’humanisme occidental dans les écrits
pacifistes de Giono
Par Rachid Zaouri
Giono, comme d’autres écrivains de sa génération intellectuelle, est le témoin dunaufrage
fracassant desgrands mythes progressistes de l’humanisme occidental qui, depuis les
Lumières a fait confiance à la Raison quant à la possibilité de rompre avec les servitudes de
l’état de la nature. L’Histoire devient cette odyssée où l’homme devient le maître du Sens, qui
projette les possibilités de son accomplissement et de sa perfectibilité à travers les grands
récits émancipateurs et messianiques. La bourgeoisie libérale et son antithèse- mais aussi son
correctif- marxiste ont cela en communqu’elles constituent deux versions concurrentes d’une
même volonté d’ouvrir la temporalité humaine vers des lendemains meilleurs ; une même foi
dans un futur divin qui verra l’homme, non seulement affranchi de la misère qui l’assiège,
mais devenir l’architecte souverain de l’éden du progrès et de la liberté. Toutefois, les utopies
globalisantes et révolutionnaires du XIX siècle, constate Giono dans ses écrits politiques entre
les deux guerres, ont trouvé leurs réalisations cauchemardesques dans les systèmes totalitaires
et cetteguerre du matériel dontparle si bien Ernest Jünger. Au libéralisme naissant qui se
félicitait de la chance historique inouïe de pouvoir enfin transformer la société des guerriers
du Moyen-âge en société de travailleurs, le XXème siècle a opposé une fin de non-recevoir et
a mis un point d’honneur à fusionner la figure du travailleur et celle du guerrier en une figure
inédite, promise à une sinistre postérité, celle du soldat-automate, ni bon ni méchant, et dont
la caractéristique essentielle est d’obéir aux mots d’ordre de la mobilisation totale. Ce
nihilisme occidental qui se conclut dans les noces macabres du sang et du feu, a eu l’effet
d’un ébranlement dans l’Arcadie bucolique et pastorale que Giono s’est mis à peindre, dès les
1
premiers jets de son écriture romanesque. Et c’est en pacifiste que Giono est descendu à la
rencontre de l’Histoire ; une rencontre qui prend des allures drôlement quichottesques puisque
la civilisation moderne est tout sauf pacifiste. Toutefois, si l’engagement pacifiste tombe à
l’eau, il ne s’agit pas de conclure hâtivement à la duperie de l’écrivain. Giono est en effet un
conteur qui n’aime pass’en faireconter. L’intérêt des écrits pacifistes est de nous donner
une image radicalement autre de Giono, celle du romantique révolté et nostalgique certes,
mais aussi celle du psychologue nietzschéen, armé d’une lucidité et d’un pessimisme dignes
des grands moralistes classiques français – surtout dansDe Homère à Machiavel.Tout
exactement comme Nietzsche, il évalue la civilisation moderne en termes de décadence ou de
puissance, de maladie ou de santé. Son diagnostic débouche sur le constat d’une civilisation
qui se meurt ; elle se meurt car elle est malade de violence. La violence, si l’on suit la pensée
de Giono dans tous ses méandres, n’est pas seulement une caractérisation axiologique d’un
système qui bascule dans les horreurs de la guerre; elle est aussi l’impensé des Temps
modernes qui s’affirment dans des choix culturels et philosophiques sur lesquels s’est fondé
l’Occident prométhéen. Prométhée est en effet la figure tutélaire de l’homme moderne qui a
décidé de répondre à la limite et à la mesure inscrites dans le cosmos par l’enjambée, la
vitesse, la transcendance.
 Dansson livreLe voile d’Isis, distingue deux attitudes fondamentales qui ont caractérisé,
depuis l’Antiquité grecque jusqu’aux Temps modernes, le rapport de la pensée occidentale à
la nature. La première est qualifiée de prométhéenne en ce sens qu’elle« veut découvrir avec
1 ruse et violence les secrets de la nature ou les secrets des dieux»se. Cette qualification
réfère au mythe de Prométhée qui a voulu libérer les hommes et améliorer leur condition en dérobant le secret du feu à Zeus. A l’opposé, l’attitude orphique adopte un autre regard en ce sens que :
1 Pierre HADOT,Le voile d’Isis, Paris, Gallimard, 2004, p.135. 2
 «Ce n’est pas par la violence, mais par la mélodie, le rythme et l’harmonie qu’Orphée
pénètre les secrets de la nature. Alors que l’attitude prométhéenne est inspirée par l’audace,
la curiosité sans limites, la volonté de puissance et la recherche de l’utilité. L’attitude
orphique est, au contraire, inspirée par le respect devant le mystère et par le
2 désintéressement. »
Dans sa lecture historique, et au fond très subjective du moment inaugural des Temps
nouveaux, Giono remonte jusqu’à cet aspect prométhéen qui caractérise, à ses yeux, la
Renaissance professorale et intellectuelle qui a dirigé les consciences et désattelé les chevaux
de l’esprit pour partir à l’assaut des nouvelles Babels. L’Homme qu’elle a exalté et magnifié a
un mépris souverain pour tout ce qui est chair et finitude, puisque son idéal est avant tout
surhumain. Les nouveaux systèmes philosophiques ont voulu tout simplement transférer à
l’Homme les attributs divins de la toute-puissance et de l’omniprésence, pour en quelque sorte
faire de lui l’égal de Dieu. L’humanisme de la Renaissance a, selon l’auteur, arraché l’homme
à la chaude et humble litière du sens commun pour le propulser vers les hauteurs vertigineuses
de l’Olympe. A l’humilité de l’appartenance, vient succéder cet orgueil typiquement moderne
de l’affranchissement, de la radicalité, du libre arbitre et de l’illusion de l’auto-fondation.
DansDe Homère à Machiavel, Giono explicite d’une lumière tranchante la dimension
prométhéenne de la Renaissance :
« Notreépoque est celle de l’ambition exacerbée. Depuis que nous nous sommes
libérés des disciplines du Moyen Age, nous n’avons plus changé d’idée: c’est toujours la
même que nous poursuivons. Nous cherchons Dieu sur terre et celui qui nous paraît le plus
valable, c’est nous-mêmes. Nous croyons à un pouvoir de l’homme sans limite ; ce qui serait
peu de chose ; mais nous croyons à une valeur de l’homme. Non pas à une valeur quelconque,
mais à la valeur de l’homme. Nous dressons des plans pour une super-humanité. Nous
2 Ibid. p.136.
3
3 dressons des plans orgueilleux. Nous sommes dans le paroxysme de l’ambition humaine.»
(HM,pp.179-180)
 Al’évidence, il n’est pas trop difficile d’entrevoir dans ces lignes une référence à un des
puissants récits démiurgiques de l’homme et de la création qui contient en germe toutes les
philosophies de l’Histoire que ce soit dans sa version hégélo-marxiste ou celle des Lumières.
Ce récit, à bien des égards, fondateur de la sensibilité moderne, acquiert toutes ses lettres de
noblesse chez Pic de La Mirandole dans sonDiscours sur la dignité de l’homme. Selon ce
penseur incontournable de l’humanisme de la Renaissance, et déjà précurseur de
l’existentialisme sartrien, la dignité de l’homme ne vient pas de son inscription définitive dans
un ordre naturel ou une totalité cosmique ni de son obéissance à une quelconque
transcendance divine; ce qui fait la dignité de l’homme c’est son pouvoir de s’affranchir de
toute idée de prédétermination ou de prédestination. L’homme n’est pas une essence figée qui
tire ses normes d’action du ciel des archétypes divins mais fondamentalement une liberté, une
singularité qui s’accomplit dans le désir illimité de recréation de soi et du monde, lequel n’est
plus désormais que le corrélat de cette même volonté. A l’idée d’une nature humaine, De La
Mirandole préfère plutôt parler de celle de la liberté. En termes sartriens, on pourrait déjà dire
qu’au XVIème siècle l’existence précède l’essence. Pour mieux asseoir sa thèse, le philosophe
revisite le récit biblique de la création pour lui conférer une signification tout à fait inédite.
Dieu s’adresse ainsi à Adam :
 «Je ne t’ai donnéni place déterminée, ni visage propre, ni don particulier, ô Adam, afin
que ta place, ton visage et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-
même. La nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi que ne limite
aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-
même.[…] Je ne t’ai fait ni céleste ni terrestre, ni mortel, afin que, souverain de toi-même, tu
3 GIONO,De Homère à Machiavel, Paris, Gallimard, 1986, pp.179-180. 4
achèves ta propre force librement, à la façon d’une peintre ou d’un sculpteur. Tu pourras
dégénérer en formes inférieures comme celles des bêtes, ou, régénérer, atteindre des formes
4 supérieures qui sont divines. »
Et c’est bien cette aspiration à pouvoir se recycler dans une haute essence qui guide la
nouvelle idée de l’homme. La modernité, dans son essence secrète, est la mise en chantier de
toutes les entreprises qui ont pour but de rendre l’homme maître et possesseur de la nature.
L’homme veut être une transcendance à travers ce que Marc Richir appelle
« l’immanentisation de Dieu en l’homme ».
« Leprofessorat,écrit Giono, qui avait commandé
et dirigé les âmes humaines depuis la fin de la Renaissance,
les avait engagés sur de faux chemins avec la terreur de
revenir en arrière. Tant de confiance en soi-même tuait à
chaque fois le monde naturel. Le devenir humain était
représenté comme une ligne droite, imperturbablement
dardée vers quelque inconnaissable hauteur sans air ni
lumière, et quiconque prétendait regarder humblement les
fleurs de la terre était considéré comme l’assassin des
5 véritables gloires humaines. »
 Eneffet, l’auteur fustige violemment cette posture anthropocentrique qui s’affirme dans
l’orgueil, la démesure et le mépris de la condition charnelle de l’homme perçu d’abord
comme un mortel ménageant son humble séjour et réalisant perpétuellement sa condition
cosmique en s’ajointant aux lois immuables de cette grande Cité qu’est l’univers. Dans sa
radicale exigence de la refondation du Sens sur la base de la table rase à l’égard de toutes les
4 Pic de la MIRANDOLE,Œuvres philosophiques, trad. O.Boulnois et O. Tognon, Paris, PUF, 1993, p.9. 5 Le Poids du ciel,OC,Gallimard, p. 671.
5
tutelles du passé et de tout ancrage naturaliste de l’essence humaine, le projet de la modernité
a institué un nouveau rapport au monde, une nouvelle conception du temps humain. La
science galiléenne s’est constituée en un seul mot d’ordre: dépouiller la nature de son
manteau sacré, réduire l’épaisseur charnelle des matières et des qualités à un symbolisme
mathématique stérile. Regarder le monde avec les yeux d’Orphée est désormais une gaucherie
qui fait rire les nouveaux dieux du progrès et du mouvement. Le temps cyclique des saisons et
des jours n’est plus à même de rythmer l’action humaine; celle-ci reçoit en effet un
coefficient de la démesure et de la puissance. La courbure du cosmos est délégitimée au profit
de la ligne droite, de la flèche conquérante. Ce désir de la puissance qui anime l’homme
moderne est indissociable d’une nouvelle façon d’écrire le récit de l’Histoire. Il y a dans cet
ordre des choses, une rupture fondamentale avec l’antique vision du monde. Comme
l’explique Luc Ferry :
« C’est par rapport à l’ordre global du monde, au
cosmos considéré dans sa totalitéque la plupart des
penseurs grecs situaient la vie bonne, et non seulement
par rapport à la
subjectivité, à l’idéal de
l’épanouissement personnel ou au libre arbitre de
chaque de chaque individu comme nous avons
spontanément à le penser aujourd’hui. Pour Platon ou
Aristote, mais aussi pour les stoïciens, il allait de soi
qu’une vie réussie
supposait que l’on tirât les
conséquences de son appartenance à un ordre de réalité
extérieur et supérieur à chacun d’entre nous. Non
seulement les êtres humains n’étaient pas considérés
comme les auteurs et les créateurs de ce cosmos, mais ils
6
partageaient le sentiment de n’être qu’une infime partie,
d’appartenir à une totalité dont ils n’étaient en
rien « maîtreset possesseurs», mais, qui, au contraire,
les englobait et les dépassaient de toute part. Ils
n’étaient donc pas appelés à inventer le sens de leur vie
au sein de l’univers, mais, plus modestement à le
6 découvrir. »
 L’idéologieprogressiste de l’Histoire est la seule à être célébrée par l’engeance rebelle de
Prométhée ; elle s’installe définitivement. Sacrilège est toute tentative de daigner admirer des
pâquerettes dans ses pas degéant. Orphée est interdit de séjour dans le royaume des ombres,
et Eurydice à jamais perdue. Il est impératif de sortir de la caverne pour voir les véritables lumières du dieu Progrès. Comme l’écrit très bien Alain Finkielkraut dansNous autres modernes :
 «Sous l’impact des premiers succès de la pensée scientifique, l’être perd sa
prééminence ontologique au profit du devenir, et l’humanité bascule dans l’élément de
l’Histoire. Non plus l’histoire mais l’Histoire; non plus le fablier de l’humanité mais
l’itinéraire qu’emprunte le genre humain pour accomplir une vocation que nulle frontière ne
limite, nulle définition n’incarcère.« Qu’est-ceque l’Histoire? »,demande un personnage
au Docteur Givago. Et voici sa réponse: «c’est la mise en chantier des travaux destinés à
7 élucider le mystère de la mort et de la vaincre un jour. »
 Gionone partage pas cet enthousiasme du Docteur Givago car il est foncièrement anti-
moderne. Selon Antoine Compagnon, les écrivains anti-modernes sont ces modernes en
délicatesse avec la modernité; ils se caractérisent par les figures suivantes: 1. La contre-
6 Luc FERRY,Qu’est-ce qu’une vie réussie ? Paris, Grasset, 2002, p.55. 7 , p.21. Alain FINKIELKRAUT,Nous autres modernes, Paris, Gallimard 7
révolution (une figure historique) 2. Les anti-Lumières (une figure philosophique) 3. Le
pessimisme (une figure morale) 4. Le péché originel (une figure religieuse) 5. Le sublime
(une figure esthétique) 6. La vitupération (une figure de style). Pour Giono, l’humanité a
perdu la tête quand elle s’est mise à écrire l’Histoire, c'est-à-dire l’orienter, l’humaniser et lui
assigner des fins dernières pour en faire une anthropodicée. Cette mise en intrigue du temps
humain débouche ainsi sur un méta-récit chargé d’utopies messianiques. Le progrès devient
dès lors une forme laïcisée de l’eschatologie religieuse, renvoyant à la posthistoire d’une
société, transparente, émancipée et pacifiée. Ecorché vif, horrifié par la nausée du XXème
siècle, Giono mesure toute l’étendue de la mystification sur laquelle repose toutes les utopies
progressistes du XIXème siècle :
seul mot d’ordre depuis l’ivresse de la fin du« Le
 Ou encore :
XIXème siècle, c’est d’aller de l’avant. Tout cela est bel et
bon quand on sait en premier lieu qu’aller de l’avant c’est
8 retourner en arrière»
 «Ce chemin des anges que l’homme veut toujours
prendre et fait prendre à tout ce qu’il domestique et rêve de
domestiquer, cette ligne droite, oblique, dressée dans le
ciel, cette sorte de javelot lancé vers dieu, c’est la marche
du progrès, la route de la civilisation, le chemin où monte
l’œuvre créatrice de l’homme. Sans qu’il puisse savoir où
ça s’arrêtera de monter […]. Alors qu’est-ce que ça fera, ce
chemin des hommes, dressé en l’air, sans but, sans soutien,
8 Triomphe de la vie,OC, Gallimard, p.672.
8
sans logique, perdu au fond d’un ciel de plus en plus
pesant ;ou quand on sera arrivé au bout du chemin il
9 faudra, ou descendre, ou sauter dans la mort.»(PC, p.376)
 Ily a ainsi quelque chose de luciférien dans l’humanisme des Modernes nous dit en
substance Giono. L’homme prométhéen veut êtrecausa sui, cause de soi, à l’image du Dieu
de Spinoza. D’être naturé, obéissant à la loi du Tout, il aspire à être naturant, devenir un
apprenti-sorcier des mystères de la création. Il aun mépris glacial pour toute forme de
10 connaissance théorétique. Il ignore ce que Heidegger appellel’habitation poétique du
11 mondeet qui consiste à se mesurer au Divin dans la quadrature essentielle du Geviert – ciel
et terre, mortels et immortels. La connaissance qu’il vise est d’un tout autre ordre, elle a partie
liée avec un projet de maîtrise. Les fins que la connaissance galiléenne se donne ne sont plus
domiciliées dans le cosmos. Elle ne vise plus ce désintéressement devant le bel
ordonnancement du monde qui débouche sur une éthique de la mesure en vertu de laquelle
l’homme est un microcosme où se condensent les reflets de trois cités harmonieuses : la cité
intérieure ou l’âme, la cité des hommes ou la communauté et la grande cité ou l’univers :
9 Poids du ciel, op.cit.,p.376. 10 L’acte théorétique consiste en unevision extatique du divin, « du mot theoria, littéralement : theion orao, « je vois le divin », c’est-à-dire, pour les grecs, non un tel ou tel Dieu particulier, mais le juste et bel ordonnancement du monde au sein duquel je suis appelé à me situer. »,op.cit., p..57.
11 Nous employons cette expression au sens de Heidegger qui, commentant Hölderlin, affirme : « L’homme en tant qu’homme s’est toujours rapporté à quelque chose de céleste et mesuré avec lui. […], « l’homme se mesure avec la divinité». Elle est «la mesure» aveclaquelle l’homme établit les mesures de son habitation, de son séjour sur la terre, sous le ciel. C’est seulement pour autant que l’homme de cette manière mesure et aménage son habitation qu’il peut être à la mesure de son être. L’habitation de l’homme repose dans cette mesure aménageante qui regarde vers le haut, dans cette Dimension où le ciel, aussi bien que la terre a sa place. »Essais et conférences,Gallimard, Paris, 1958, p.234.
9
sommes des hommes « Nous, écrit Giono, et ce nom
qui nous désigne, si, pendant tout le temps où nous croyions
qu’il y avait en haut l’Olympe et en bas la terre, ilavait un
sens de l’humilité, il a maintenant un sens de suprême
orgueil. Légitime. Nous répétons, légitime. […] Par rapport
au reste du monde animé nous occupons la place que dieu
occupait par rapport à nous. Nous disposons à notre gré du
miracle. Et ce qui prouve bien que nous montons à toute
vitesse vers l’Olympe, c’est que dieu n’occupe plus la place
12 qu’il occupait par rapport à nous. »
A défaut d’être un habitant du monde, l’homme de l’auto-imposition, aspire
13 à être l’artisan du monde; au lieu d’être le berger de l’Etre, pour parler
avec Heidegger, il veut être le seigneur de l’être.
« C’est alors qu’on pourra vraiment dire : l’Homme et
non plus les hommes. Les constructeurs de la Babel ont été
précipités sur la terre parce qu’ils se trompaient: on
n’atteint pas les dieux avec une tour de pierre; on les
atteint avec une tour de chair. Dans ce que nous concevons,
elles sont entassées les unes sur les autres, gâchées en des
12 Triomphe de la vie, op.cit.,p. 719. 13 « Pour Heidegger, l’homme n’est pas le propriétaire ou le maître de l’être ; il est « le berger de l’être » […]. Le berger a conscience du troupeau mais il ne le possède pas, il n’en est pas le maître mais il en est le responsable, il le découvre progressivementpour mieux le servir. Ainsi, la connaissance de l’être, ou connaissance ontologique, est une contemplation de la réalité qui se dévoile, une monstration où l’homme laisse la différence ontologique se manifester à lui plutôt qu’une démonstration cartésienne très utile pour la maîtrise des étants ou connaissance ontique des mécanismes quotidiens. » Emilio BRITO,Heidegger et l’hymne du sacré, Louvain, Peeters, 1999, p.61.
10
mortiers dont nous avons le secret, armées de jeunes
espoirs que nous aurons trempés à notre manière; et
l’homme que les hommes auront ainsi construit, divinement
plus puissant que les hommes construits par dieu, atteindra
14 dieu et notre cœur coïncidera avec le cœur de dieu. »
 Mesuréeà l’antique vision du monde qui préserve la pudeur de la nature et sanctifie
l’Olympe de l’apparence, la connaissance galiléenne est un sacrilège et une hubris. Comme
l’explique Nietzsche dansLa Généalogie de la morale:
 « Mêmeencore mesurée à la mesure des anciens grecs,
toute notre manière d’être moderne, si tant est qu’elle ne
soit pas une faiblesse mais puissance et conscience de
puissance, fait l’effet d’une pure hubris et d’impiété ; car ce
sont précisément les choses opposées à celles que nous
honorons aujourd’hui qui ont eu le plus longtemps la
conscience de leur côté et Dieu pour Gardien. Est hubris
notre entière attitude d’aujourd’hui à l’égard de la nature,
notre façon de la violenter à l’aide de machines et de
l’inventivité sans scrupule de nos ingénieurs et techniciens ;
15 est hubris notre attitude à l’égard de Dieu. »
 Cedébat entre l’attitude prométhéenne et l’attitude orphique est au cœur de l’esthétique
gionienne. Dans lesVraies Richesses,la pratique de l’essai s’assouplit et s’infléchit au profit
14 Triomphe de la vie, op.cit.,p.724. 15 Op.cit.,p.237.
11
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