Le Cadeau mystère; ou l Ombre du Justicier.
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Le Cadeau mystère; ou l'Ombre du Justicier.

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Publié le 28 décembre 2011
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Langue Français

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Le Cadeau mystère; ou l'Ombre du Justicier
C'est une de ces nuits chaudes, brûlantes. De celles qui vous étouffent lentement et vous font
tellement suer que les draps se collent à vous. Ces enfoirés de draps. Une de ces nuits où le sommeil
semble s'être barré loin. Très loin. Oui. C'est une de ces nuits là. Et moi, comme un vieux con, je la
passe à boire dans un rade miteux, pareil à une antre, sombre, emplie d'étranges créatures. Des
monstres difformes, rampant dans de la vermine infecte, desquels s'échappent des relents
immondes, putrides. Certains paraissent discuter entre eux. D'autres semblent s'être perdu on ne sait
où. Moi, je crois être l'un d'eux. Je bois.
Bukowski l'a lui-même dit, « Maints braves hommes se sont retrouvés sous les ponts à cause
d'une femme. ». C'est con, mais c'est comme ça. Enfin, je crois.
Sa personne flotte délicatement dans mon esprit, en prend possession, pour ne plus le lâcher. Je
suis perdu
.
Je commande un autre verre. M'abreuve du liquide qu'il contient. Un liquide doux, chaleureux, qui
embrume ma conscience d'un voile éthéré recouvrant ma souffrance. Une de ces souffrances,
lancinantes, laissées par une femme lorsque celle-ci s'en va. Pour toujours.
Pourquoi les femmes se sentent-elles obligées de disparaître, comme ça, sans prévenir? Elles
s'immiscent d'abord, lentement mais sûrement, dans l'esprit d'un homme. Comme un ver sous
l'écorce d'un arbre. Un ver ignoble, gigotant à son aise, et qui, silencieusement, creuse d'énormes
trous. Un beau jour, le ver rentre dans son cocon, et lorsqu'il en sort, il est devenu un magnifique
papillon. Un divin papillon virevoltant oisivement, pour s'en aller. À jamais.
Merde.
Je regarde ma montre. Une Ravel. Vieille, la couleur argent d'origine s'est effacée. Comme si le
temps qu'elle matérialisait s'était déversé sur le cadran, pour en absorber sa vitalité. D'une matière
visqueuse, grasse. Un truc dans le genre sûrement.
Mon téléphone sonne, soudainement. Il me sort de mon état végétatif. J'étais bien. Dommage.
C'est un collègue qui m'appelle. Le corps d'une femme a été retrouvé. Morte la dame. Et je suis de
corvée. Fait chier. Je prends mon imper, pose un peu de monnaie sur la table et me barre. L'air est
frais dehors. Très frais. Je fourre mes mains dans mes poches et me mets à marcher en direction du
lointain parking où est garée ma voiture. Le soleil se lève, le ciel s'éclaire et les nuages se teintent
de rose. Léger.
Dans la rue, deux jeunes marchent. Une garçon et une fille. Blonde, la fille. Avec de plutôt grosses
lunettes. Elle est jolie, simple, naturelle. Les deux semblent rire aux éclats quand la fille bouscule le
garçon en lui criant « Bouffon !». Bizarre tout ça. Le garçon se laisse faire et rigole, ils ont l'air de
bien s'amuser. Apparemment. Je passe à côté d'eux, et en profite pour humer discrètement le parfum
de la jeune fille.
J'aime m'abreuver de la senteur d'une fille, lorsque celle-ci passe tout près du vulgaire être que je
suis. La belle créature me devient plus intime. Je me rapproche de son essence véritable et nous ne
formons alors plus qu'un Tout. Physique. Ou métaphorique. Je ne sais pas trop. Tout se mélange
infiniment. Plus rien n'existe. Inéluctablement. L'instant est éphémère, fugace. Infini.
Il fait froid. Salement froid. J'aperçois ma voiture. Une Cadillac coupée devil de 1976, beige. Un
peu ancienne, mais on s'en fout. Je sors les clés de ma poche droite, et rentre la bonne dans la fente.
Je m'installe, tranquillement, et allume la radio. Ils passent
Since I met you Baby
de BB King et
Gary Moore. Une bonne musique. Je démarre, et, me dirige vers le lieu où le corps d'une bonne
femme a été retrouvé. Fait chier.
Je hais les gens heureux
.
J'arrive sur la scène de crime. Mon collègue est là, à m'attendre avec trois autres flics. C'est dans
une petite ruelle sans issue. Un de ces habituels cul-de-sac. Barbant à la longue.
Je sors de la voiture, et vais les rejoindre. Ils me saluent.
« Alors ? Je demande.
-La femme est là bas, près de la benne. »
Je tourne la tête vers la gauche et observe l'intérieur de la ruelle. Je cherche la benne dans
l'obscurité ambiante. Je m'en approche, encore et encore, pénétrant les ténèbres, glacées par le petit
matin.
Je vois le corps. C'est une blonde, d'environ 35 ans. Enfin, je pense. Elle semble paisible, reposée.
Bizarre. Sa position l'est aussi. Elle me fait penser aux momies que l'on retrouvait dans leurs
tombeaux, il y a longtemps de cela. (Avec) les bras croisés.
« On a retrouvé un bout de sa langue à côté ! s'exclame un des policiers.
-Un bout de sa langue ?
-Ouais.
J'imagine le bout de langue, posté là, quelques instants plus tôt, à côté du corps. Un bout de
langue sanguinolent, humide, pareille à une limace. Une limace visqueuse, dégueulasse.
Complètement écrasée.
-On a trouvé ça aussi. »
Je regarde mon collègue. Il me tend une sorte de petite boîte. C'est une petite boîte en bois,
entourée d'un fin fil « kraft » rouge. Je la prends et l'ouvre. Il n'y a rien à l'intérieur. Rien à part un
vieux bout de papier plié. Je le prends, le déplie et l'observe. « Mystère » C'est ce qu'il y a écrit
dessus.
Mystère ?!
« Qu'y a-t-il écrit ? Me demande mon collègue.
-Mystère.
-Comment ça mystère ?
-C'est ce qu'il y a écrit. Mystère.
Il me regarde. Bizarrement. Je lui tends le papier et pars, en direction de ma voiture.
-Je rentre dormir. Continuez sans moi. »
Je suis fatigué. J'ai besoin de repos pour pouvoir réfléchir. Et là, il est temps que je me repose.
Je mets ma main droite dans la poche de mon imper, usé par le temps. De cette vieille poche,
sortent plusieurs clés, accompagnées de ma main. Elles s'entrechoquent et provoquent un faible
tintement. Fin, léger. Presque inaudible. Et ce son là résonne profondément en mon être. Sans ne
jamais s'arrêter. Tout est inexorable. Comme la Mort.
J'ouvre la porte de mon appartement. Je le loue pour pas cher. Un ami de la famille.
Tout est en bazar. Les armoires sont grandes ouvertes, laissant s'échapper de vulgaires monticules
d'habits froissés, délavés. On dirait des âmes, damnées, tentant de s'évader, de fuir leurs terribles
châtiments. Rampant minablement sur le sol. J'en entends presque leur triste complainte.
Je suis de nature plutôt bordélique. Flemmard aussi. Ça peut expliquer ce genre de choses.
Je jette mon imper sur le canapé de mon minuscule salon, et, déboutonne ma chemise. Je me
demande quelle heure il peut bien être. Oh et puis je m'en fous. Ce qui m'importe, là, à l'instant,
c'est de dormir. Dormir profondément. Tellement profondément que j'en dépasserai le Monde des
songes, et arriverai dans des limbes lointaines. Dans une sorte de néant du sommeil. Un vide total.
Obscur et reposant. Et là, en même temps que je m'affale sur mon lit, je plonge indubitablement
dans cette abysse étrange. Pour m'y perdre rapidement.
J'ouvre les yeux. Sur le mur d'en face, ma pendule affiche 19h14. Il fait déjà noir dehors. Déjà. Je
soulève ma couette, et la chaleur qui s'était alors accumulé, en l'espace d'une respiration, s'évapore.
Le froid arrive. Il se glisse lentement sur moi, me recouvre. Je sens ses caresses remonter peu à peu
tout mon corps. Pendant ce temps, je reste assis sur le lit. Je suis perdu. Le sommeil s'est emparé
d'une partie de moi et ne me la rend que par morceaux. Lentement. J'attends que tout se remette en
place, tranquillement, et finis par me lever. Je vais me doucher, l'esprit vide. Complètement.
L'eau est chaude. Brûlante. Je les aime comme ça, les douches, elles réveillent mieux. Du moins,
je trouve. Le temps semble se dilater. Une fois finie, je me dirige vers la cuisine. J'ouvre le placard.
Il ne reste plus qu'un paquet de chips. Je le prends, l'ouvre, et y plonge ma main. Il me faudra faire
les courses. Plus tard. Ce soir, j'irai sur la grève. Là où l’Océan, plein de rage, se jette furieusement
pour détruire la moindre parcelle de terre. Le terrible Océan.
Un bruit, vif, perce le silence. C'est le téléphone qui sonne. L’abcès de mutisme crève, et un pu
plein de métaphores, glaciales, s'en dégage. De terribles frissons me possèdent. Horribles. La
sonnerie ne fatigue pas. Elle continue, encore et encore. On dirait un glas, annonceur de mauvais
événements. Je reste paralysé. Je ressens la noirceur de mon âme. Le Chaos pur, intense, se déverse
en mon être pareil à une goutte d'encre se diluant dans une eau claire. Les perles d'une sueur froide
roulent délicatement sur mon dos. Paralysé. Complètement. Puis, tout se coupe. Comme ça. Le
répondeur prend le relais. Avec sa voix féminine. Sans même aucune chaleur intérieure propre. Le
« bip » sonore s'effectue, et un bruit étrange en émane. Plusieurs respirations, calmes. Profondes.
Mon cœur se met à battre plus fort. Les battements résonnent profondément dans les moindres
recoins de mon corps. Le Temps paraît s'arrêter. Doucement. Tout se mélange. Indubitablement. Les
respirations se mêlent à l’insondable écho de mon angoisse. Mes yeux se ferment. Le Monde ne
devient plus qu'un noir Néant, où ne bruissent que le souffle maudit d'un inconnu, et les haletantes
pulsions de mon cœur. Le Tout se dilate, se déforme, pour ne devenir qu'un Rien. Un Vide totale.
Un Vide pur, intense, dans lequel pas même mon
moi
serait autorisé à entrer. Comme dans un
temple sacré. Difforme. Puis, au bout d'un laps de temps qui me paraît infini, le message s’estompe.
Comme un rêve.
Je trouve le moyen de sortir de mon électrique torpeur, pour reprendre peu à peu mes esprits. Sa
fait deux fois en moins d'une heure. Que je reprends mes esprits. Merde. Il faut toujours que je m'en
remette. Ne pourrais-je simplement pas m'en aller? Dans le Néant profond. Si paisible soit-il, jamais
il n'aurait du me recracher de ses profondes entrailles. L'enflure. J'aurai du rester en lui, comme un
nourrisson séjourne dans le ventre de sa mère. Je me serais nourri, par l'intermédiaire de
métaphores, d'une solitude sans consistance et dont le goût ne me serait jamais parvenu. Une
solitude dénuée de sens véritable. Voilà ce qu'il aurait dut se produire. Bordel. L'existence est futile,
comme les espérances. Le Monde devrait être détruit, et la Souffrance, incommensurable, devrait
être reine.
Je prends mon imper et sors.
Au dehors, l'air est toujours aussi froid que ce matin. Voir plus. Il n'y a aucun nuage. La Lune. Ses
crocs percent l'obscurité. Violemment. Et la morsure infligée à la nuit est profonde. Tellement que
de nombreuses tâches de lumière s'en retrouve déversées, parsemées là, en plein milieu des
ténèbres. Mes pas raisonnent dans la ville, et de fines particules lumineuses nimbent placidement le
sol. Le Monde dort, paisiblement. Bien au chaud.
J'arrive sur la grève. Le flux du jusant se fait entendre. Sans cesse. On croirait entendre de
terribles murmures. Un violent apocryphe, irréel. Dans un continuel va-et-vient. Je m'assoie sur le
mur dont le but est de retenir, tant bien que mal, une puissante force de la nature. Et là, je sens sur
mon visage le vent prendre lentement en puissance.
Merde. Mon regard est vague. Il flâne ici et là, sur l'infinie étendue noire où se balance
sensuellement des morceaux lumineux de l'Astre s'étant autrefois échappés de leur noire prison
céleste. À quoi bon. Puisqu'ils sont à présent coincés ici-bas. Le Monde est triste, et on s'y ennuie.
Terriblement. On aurait du prévenir la Lune de ne pas laisser se déposer ici, les squames de son être.
Elle s'en retrouve piégée elle aussi. Dans ce terrible endroit. Peut-être devrais-je la libérer? Et puis
non, chacun a ses problèmes, métaphoriques ou non. Le vent me recouvre sensuellement. J'en
frissonne. Je la sens, la chaire de poule, couvrir mon corps. Cela me rappelle les douces caresses
que me faisait cette fille.
Un doux et lointain souvenir qui provient des entrailles de ma mémoire se matérialise, là, tout de
suite. Dans ma tête. Plusieurs éléments me reviennent. Son odeur, ses cheveux, sa peau. Son sourire
aussi. C'est fou. Quand était-ce déjà? Merde, je n'en ai plus aucune idée. Les souvenirs finissent
toujours par complètement s'effacer. Même ceux dont on pense qu'ils ne s'éteindront jamais. Ça
aussi c'est dingue. Peut-être parce que l'Homme ne devrait pas se morfondre dans son passé.
Possible. Mais je crois qu'il n' y a rien d'autre à faire que de s'y réfugier. Parce que nous ne sommes
pas capables de savourer l'instant présent tel qu'il doit l'être. Alors, nous succombons à ce que
certains appellent « nostalgie », ou encore « mélancolie », bien que ces deux termes aient des
significations différentes. Mais on s'en fout. Ce qui importe, c'est que ce sentiment de profonde
tristesse soit là, et nous oblige à nous replonger dans le profond gouffre de notre mémoire. Et de
totalement nous y noyer.
Le goût subtil de ses lèvres me revient. Le son d'une pluie qui tombe au petit matin aussi. Une
pluie forte, vigoureuse, qui donne l'impression de ne jamais vouloir s'arrêter. Elle avait un petit
grain de beauté, au niveau de son bassin, à sa droite. J'aimais m'amuser avec. Ça y est, je crois me
souvenir. C'était ma première fois. Il faisait froid dans la pièce, tandis qu'en contraste, une douce
chaleur régnait sous la couette. La pluie ne cessait de tomber. Et le bruit qu'elle faisait se déversait
délicatement, au travers de la chambre, rompant calmement le silence. Non. En fait, le bruit
s’immisçait sensuellement dans le silence, comme un ruisseau coule paisiblement dans son lit. Nous
nous caressions, placidement. Je me souviens lui avoir dit, que même morte, elle continuerait à
vivre à travers le souvenir que je lui porterai. Et je ne sais même plus comment elle s'appelle. Quel
con je fais.
Le vent mugit et une pluie fine se met à couler. Les vagues sont de plus en plus fortes. Je n'arrive
pas à me souvenir de son visage tout entier. Les sonorités de sa voix se font entendre dans une
étrange résonance. Dans un lointain écho, rassemblant et le bruit des vagues, et le bruit du vent. Son
visage ne m'apparaît toujours pas. Merde. Je ne suis donc qu'une vieille raclure. Je ne suis qu'un
vulgaire incapable. Un idiot fini. J'espère qu'elle me pardonnera.
J'ai froid. Et j'aimerai que le cours de mon existence s'achève là. Je n'ai jamais rien demandé en ce
qui concerne de vivre. Pourquoi donc dois-je vivre ? Toute cette merde n'est pas pour moi. « La vie
n'exige de toi que ce que tu ne peux qu'endurer. ». Et si l'on ne veut rien endurer ? Que nous reste-t-
il à faire ? Vivre en portant le fardeau misérable d'une existence futile, d'une errance pâle et livide,
pareille à un fantôme. Un truc chiant et sans consistance. Autour de gens submergés par de stupides
illusions, arborant tout au long de la journée, un gigantesque sourire niais. Je hais les gens heureux.
Je hais les gens heureux. Je me mets à le hurler, à l'Océan. Il s'en fout on dirait. Je me meurs
lentement. À petit feu. Je ne suis qu'un ectoplasme morne errant oisivement sur le continent de
l'existence. Un foutu ectoplasme.
Je hais les gens heureux
Ces hypocrites ne méritent que la Mort. Une Mort violente, qui fasse souffrir. Avec en prime une
torture de l'âme. Merde. Je les crèverais tous ces raclures. Une rage soudaine monte en moi, une
envie de meurtre. Qui me fait bouillonner. Ils veulent faire croire que le Monde est beau, et que la
vie vaut la peine d'être vécue. Ils ne font que créer le malheur autour d'eux, en rendant jaloux le
reste, ceux qui ne sont destinés qu'à une existence merdique. Je les hais. Je sers mes poings. Je sers
chacun de mes muscles. Je suis raide, dur. Totalement. Je suis là, comme un rocher brut, fouetté
immanquablement par le vent. «
Je vais rendre mon cœur plus dur et plus froid que la pierre. Je
vais arrêter de frapper à cette porte qui, je le sais, jamais ne s'ouvrira. Je vais grandir. Seul.
»
Je me lève. Marche. Je ne sais (pas) vers où. Je sais seulement que je marche. Je déambule ici et
là, sans réellement comprendre ce qu'il se passe. J'ai été confronté à la réalité, sans y être préparé.
Le microcosme qui s'était créé tout au fond de ma tête s'en est retrouvé brisé. En une infinité de
morceaux irrécupérables, et que l'on ne pourrait pas recoller. Comme un de ces précieux vases. Et
maintenant, je me retrouve à vaguer dans un Monde auquel je n'appartiens pas. Le Néant n'est qu'un
vieil enfoiré.
Ma conscience me revient. Comme ça. D'un coup. Sans prévenir. Et je me rends compte que je
suis sur la scène de crime. Celle où j'étais ce matin. Étrange. L'endroit paraît différent. Pourtant,
c'est le même. À coup sûr. Il n'y a que le jeu de lumière qui change. Les ténèbres qui déambulent
dans la ruelle se retrouvent transpercées par la lumière orange d'un réverbère. On dirait que les
particules de lumière creusent dans un sol complètement dur et noir. Sans véritablement réussir à le
forer. J'avance comme attiré par l'impénétrable ruelle. Le vent souffle. Puis s'arrête.
Je passe à côté de la benne, et là, d'un coup, les démoniaques respirations se refont entendre. Je
saute en avant et me retourne. Je n'aperçois qu'une sorte d'ombre, debout, sur la benne. Mon cœur
palpite. L'ombre bondit pour atterrir à environ trois mètres de moi. Elle est en plein dans le rayon de
lumière orange. En plein de dedans (
??)
. J'observe, sans comprendre ce qui se passe. L'être en face
de moi fait à peu près ma taille. Il porte une sorte de cape noire à capuche. Une grosse capuche,
profonde. Il fait un pas en ma direction.
« Salut.
Mes yeux s'écarquillent. Je réponds.
-Salut.
Rapidement, il me décoche une droite. Qui fuse directement dans la partie gauche de mon visage.
Je recule, déboussolé. Je n'ai pas le temps de comprendre ce qu'il m'arrive que je reçois son pied
dans le ventre, me plaquant totalement à terre. Un joli chassé. Je suis affalé sur le sol. Et lui, il me
prends par le col, me soulève de ses deux puissants bras et me plaque contre le mur. Violemment.
Le choc est horrible.
-Salut. Il me dit.
Je n'ai pas le temps de répondre ici non plus. Il me jette durement en direction de la sortie de la
ruelle. Je roule sur le goudron gelé, où siégeait une femme morte quelques heures plus tôt. Je le
regarde s'approcher de moi. Il retraverse la lumière. J'aperçois alors, sur son visage, un masque. Un
masque étrange. Comme de ceux portés lors des pièces de théâtre grecques classiques. Un masque
noir. Qui paraît dur. L'expression sur celui-ci est assez bizarre. C'est un sourire. Un horrible sourire.
Il nous donne l'impression de rire affreusement, d'un de ces rires démoniaques que font
habituellement les méchants dans les films. Un truc qui vous flanque la chair de poule. Je n'arrive
pas à apercevoir le moindre élément humain dans l'être qui se dresse en face de moi. Rien. Et
pourtant, il est bien réel. Ses coups aussi.
-Tu hais les gens heureux, n'est-ce pas?
Je reste ébahi, à terre.
-Répond ! Qu'il me dit.
Je me relève tant bien que mal. Mes mains me font mal. Je les regarde, elles sont toutes
égratignées.
-Je ne comprends pas très bien. De quoi me parlez-vous ?
-Ne fais pas le con avec moi ! Je te connais très bien, tu sais. Peut-être même plus que tu ne te
connais toi même. Maintenant, je veux te l'entendre dire. Tu hais les gens heureux ?!
Cet enfoiré hurle. J'ai mal à la tête. Je me décide finalement à répondre, il me lâchera peut-être la
grappe après.
« -Oui, je dis tout doucement, je hais les gens heureux.
-Parfait ! Parfait ! Tout cela me fait jubiler ! »
Il rigole. Et là, ça s'accorde parfaitement avec l'expression du masque.
« -Sais-tu qui je suis ? Qu'il me demande. Je hais les gens heureux, comme toi. Je hais le Monde,
et la Vie. Comme toi.
-En quoi cela me regarderait-il ? Je crois ne pas très bien comprendre.
Je reste poli. Dans cette situation, c'est sûrement la meilleure chose à faire.
-Tu ne comprends pas. Qu'est-ce donc le Monde pour toi, sinon une place gigantesque sur
laquelle, stupide être que tu es, tu ne fais qu'errer, prisonnier d'un Ennui total, et d'une jalousie sans
égale, envers des êtres ignares au sourire niais. Tu ne commences seulement qu'à éprouver ta nature
véritable. Ta Haine la plus forte, la plus pure et la plus noire. Tu ne fais que commencer à me
découvrir.
Je n'arrive pas à suivre. Je ne réponds pas. Et lui, il s'approche de moi. Ses pas raisonnent, quand
soudain, le lampadaire qui l'éclairait jusqu'alors s'éteint. Comme ça. D'un coup. Les faibles rayons
de la Lune prennent le relais. Pas aussi efficaces.
-Vois-tu ces ténèbres ? Ce sont celles que tu as trop longtemps gardé cachées je ne sais où dans
ton esprit. Je suis ce que tu redoutais du plus profond de ton être. Ta peur absolue, et le Chaos qui
t'habite.
« -T'es qui? Enfoiré.
Il me prend par le col de mon imper.
-Je ne suis pas, je deviens. Il faut savoir que tout dans l'Univers est une lutte, la Justice est un
conflit, et que tout le devenir est déterminé par la Discorde.
-Héraclite ?
Il me met une claque.
-Toi et moi ne formons qu'un. Je suis la Justice que tu souhaites porter en ce Monde. Je suis cette
part de toi que tu refoules depuis tant de temps. Je me suis échappé de la sombre prison où tu
m'avais enfermé. Celle dans un coin de ton vulgaire cervelet. Je m'en vais te venger. Détruire, et
faire souffrir. Je suis la frustration qui te fais haïr la Vie. Ainsi que les gens heureux.
-J'ai compris, je rêve c'est ça.
-Il y a des rêves symboliques, puis la réalité que ces rêves symbolisent. Ou bien, il y a une réalité
symbolique, puis les rêves que cette réalité symbolise.
-Murakami. Répond, je rêve ?!
Il me met une autre claque. Elle semble tout aussi réelle. Elle fait mal.
-Hais moi, et j'en deviendrai plus fort. La seule chose que tu désires le plus au monde, c'est que
l'on te haïsse. Tu veux que les gens s'éloignent de toi, t'isolent. Ce que tu veux, c'est la Solitude,
n'est-ce pas?
-Laisse-moi ! Laisse-moi !
J'essaie de partir, il me rattrape.
-Le combat entre le bien et le mal n'est qu'un leurre. Le Bien seul n'existe pas. Tout comme le Mal
seul n'existe pas. On ne peut concevoir l'un sans l'autre. C'est comme un système. Ou plutôt une
identité. Elle est sans cesse vraie. Et pour cela, les deux parties de l'identité s’équilibrent. S'il y a
trop de bien, les ténèbres doivent alors détruire de la Lumière. Et inversement. Et c'est pour cela que
je suis ici. Toi et moi allons faire de grande chose. Et on va commencer par rééquilibrer ton compte.
-Bordel, je pige rien.
-Ne t'en fais pas. Seulement, n'oublie pas. Le Monde doit souffrir.
Horriblement
. »
Il me soulève, d'un coup. Et son poing vient violemment embrasser mon nez. Je tombe. J'essaie
rapidement de voir où cet enfoiré est. Je lève la tête et scanne l'endroit. Rien. Nulle-part. Il a
disparu. Et moi, je pisse le sang. J'ai la tête qui tourne. Je décide de me lever et sors de la ruelle, en
titubant. Je demande de l'aide. Je crie. Puis j'arrête. Le Silence règne ici. Et la Lune brille. Je la
regarde.
Je suis seul, comme elle. Elle semble si pure, là-haut. Pendant que je l'admire, j'entends des
feuilles mortes racler le sol, poussées par le vent. Elles bruissent doucement. Sans rompre le calme
qui domine ici. J'avance sans savoir où aller. Complètement seul.
D'un coup, une sensation étrange me happe. De l'intérieur. Venue du plus profond de ma personne,
de la noirceur de mon âme. Sans relâche, elle m'absorbe. Lentement, mais sûrement. Je la sens me
tirer vers je-ne-sais-où. Un endroit lointain sûrement. Quelque part où il fait froid. Très froid. Une
cachette secrète, qu'elle seule connaît. Peut-être.
Je tombe.
C'est le Néant.
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