LE MIRACLE DE PÂQUES
15 pages
Français

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Description

Une Nouvelle éroticomystique pour le temps pascal. Avec quelques illustrations originales de l'auteur. Ceci est mon corps : prenez et lisez !

Informations

Publié par
Publié le 01 avril 2013
Nombre de lectures 82
Langue Français

Extrait

Michel Bellin




LE MIRACLE DE PÂQUES







Nouvelle éroticomystique

avec des illustrations originales de l’auteur


Si ma bibliothèque était en feu et qu’il fallait ne sauver qu’un seul
ouvrage, ignorant cette consigne par trop restrictive, au péril de ma
vie je commencerais bien sûr par les livres de mes auteurs préférés
(Alain, Baudelaire, Maupassant, Cioran… aujourd’hui Mirbeau et son
incomparable “Journal d’une femme de chambre”…). Puis, s’il me
restait quelques secondes avant de me transformer en torche vivante, à
l’évidence je m’emparerais de la Nouvelle de mon crû que je présente
aujourd’hui sur YouScribe. Parue il y a une dizaine d’années dans «
Communions privées » (opus aujourd’hui épuisé mais à nouveau
disponible en version numérique) et intitulée Les cloches du Paradis,
sans cesse reprise et remaniée, c’est un page essentielle où j’ai mis, je
crois, le pire et le meilleur de moi-même : ferveur et mécréance,
spiritualité et érotisme, réalisme et utopie. Qu’advienne pour moi cette
aube rayonnante !





LE MIRACLE DE PÂQUES


orsqu’il pénétra dans son église, située un peu à l’écart du bourg, Julien se
sentit glacé. C’était moins l’humidité du lieu (qu’on ne chauffait qu’au moment du culte, faute
de moyens) qu’un immense vide spirituel. Tout n’était en lui que froidure et désolation. A
vingt-huit ans, le prêtre se sentait déjà un vieillard et chaque fois qu’une fête s’achevait –
c’était le soir de Pâques – sa tumeur ontologique doublait de volume.

Tout s’était bien passé pourtant, comme à l’ordinaire, comme depuis 2000 ans, on
avait prié, on avait espéré ; son fidèle troupeau avait bêlé d’une voix morne : « Alléluia !
Nous sommes ressuscités ! » Puis ses paroissiens étaient repartis heureux vers leurs foyers en
agitant leurs cierges et en grignotant les œufs en chocolat vendus sur le parvis au profit des
lépreux. Au soir de ce frisquet dimanche d’avril, Julien, lui, se sentait plus seul que jamais,
plus désespéré. Depuis belle lurette, il ne croyait plus à ces sornettes, peut-être faute de
combustible : Julien n’avait jamais aimé, il n’avait jamais été aimé. Et son carburant à lui était
2 rare et introuvable dans le bled, c’était du super sans plomb spécial : Julien n’aimait, ou plutôt
n’aimerait, que les garçons. Hautement prohibé dans notre sainte mère l’Eglise ! Hautement
improbable dans le cœur et le corps du jeune homme : après tant d’années de piété et d’ascèse
vertueuse, tout n’était que potentiel, péché virtuel et fantasme de synthèse. Monsieur l’abbé se
consolait comme il pouvait : en faisant bien son boulot, fonctionnaire réglo, ventriloque très
pro d’un Bon Dieu à la réputation usurpée. Pour complaire à ses ouailles et en rajouter dans le
perfectionnisme, Julien avait même consenti à remettre une soutane. Au troisième millénaire,
il se disait que les cathos nostalgiques ont besoin de repères et que ce long fourreau noir serait
peut-être une armure adéquate contre les assauts de la tentation. Bref, en froc ou non, ce
fameux soir de Pâques, c’est un Julien anéanti qui poussa la porte massive de l’église : il
venait rejoindre son grand Ami tapi dans l’ombre du sanctuaire.

C’était un gisant dans une chapelle latérale, à gauche de la nef. Un Christ en marbre de
près de deux mètres. Les guides touristiques ne le mentionnaient pas, car la statue n’était
qu’une copie tardive, dans un mélange de style que les experts jugeaient décadent. Julien en
était à la fois dépité et ravi, se réjouissant in petto de cet ostracisme : c’était son gisant, son
Christ à lui, son grand Jésus chéri. Il venait pour la première fois le contempler de nuit, jamais
jusqu’à ce jour il n’avait osé, ça lui semblait inconvenant, peut-être trop risqué. Mais ce soir,
son désespoir était tel qu’il avait ressenti le besoin viscéral de le voir en toute intimité, de se
vider l’âme au pied du spectre de pierre. La plupart du temps, il se contentait, à la fin d’un
office (une fois que Berthe, la vieille sacristine, eût achevé ses interminables patenôtres) de
faire un léger détour par la chapelle latérale, de contempler la nudité incorporelle de son Ami.
Puis, très furtivement, après s’être assuré que l’église était vide, tandis que flottait encore dans
l’air un lourd parfum d’encens, il caressait du bout des doigts l’Homme-Dieu sublime, en
laissant glisser sa main depuis le front lisse jusqu’aux orteils glacés. La seule audace qu’il
s’autorisa un dimanche de printemps, l’an passé, juste après les vêpres (il n’avait jamais osé
avouer le sacrilège à confesse) : en geste d’hommage muet, il avait égrené une fleur de
pivoine sur le grand corps livide, avait parsemé un à un les pétales sanguins sur la poitrine et
le ventre opalescents. Mon Seigneur et mon Dieu ! Il en avait été si troublé, si violemment
remué, que les larmes lui étaient venues et que, sous son aube, il avait physiquement senti
l’Ascension précéder les Rameaux !
3

Peinture de Mantegna

Le Christ gisant était son ami et son confident. Le jour mais aussi la nuit. Julien en
était investi corps et âme. Cette proximité le ravissait en même temps qu’elle ravivait en lui
une énorme culpabilité. Presque chaque soir (bien que le jeune vicaire s’efforçât de ne pas
trop dîner pour ne pas faire de cauchemar), au cœur de la nuit, le fantasme marmoréen quittait
l’église et venait s’étendre au creux de son lit, moins gisant qu’à l’église, plus vivant que
jamais, enfin ressuscité ! Le miracle se déroulait toujours de la même manière : le Sauveur est
allongé sur la neige du drap, don de Dieu fait aux hommes, oblat immaculé sur le saint
corporal. Les mains le long du corps, doigts effilés et stigmates entrouvertes, visage grave,
paupières closes, ses longs cheveux bouclés épars sur l’oreiller. Julien est étendu à ses côtés et
ses lèvres, d’une lenteur ouatée, explorent cette chair de rêve : un Dieu fait chair. Lente
glissade sur le font qui tiédit, baiser respectueux dans le nid des paupières, promenade furtive
sur la crête du nez, sur la bouche – souffle léger éveillant l’autre souffle – sur la pointe du
menton où mousse une barbe dorée. La ventouse chaude butine maintenant l’épaule, ronde et
lisse comme un ostensoir, descend dans la plaine ondoyante, vers le val de Jessé, la terre enfin
promise où coulent lait et miel. Ombilic accueillant que la langue de Julien explore un court
instant. De là un sentier duveteux s’évase jusqu’à la selve ardente. Le pagne est écarté et le
prêtre pénètre enfin jusques au Saint des Saints. Ses lèvres folâtrent dans la blonde toison
parcourue d’un fumet de myrrhe et d’aloès. La langue se love sous la double custode. Sous cet
assaut espiègle, le goupillon de nacre se redresse, le gisant se ranime ! La bouche de Julien
remonte alors de l’escarcelle jusqu’au chaton vermeil. La pierre épiscopale brille de tous ses
feux. La pente est longue et douce. Soyeuse la peau juste sous l’améthyste. Le désir s’offre de
plus en plus. Résistance élastique sous les lèvres gourmandes ; longtemps elles musardent,
légères, sur la moire grenat. Sous la caresse, la crosse en majesté donne des coups impatients.
Alors, subitement, la bouche concupiscente la gobe, l’enfourne. Le long massage commence.
Chuintement régulier. Puissante ondulation. Soudain, tout va très vite : un cri, une plainte
4 cambrée, un abandon voluptueux. Giclées de sève, bonheur opalescent, exquis parfum de
rosée baptismale, tiédeur molle du sommeil qui referme ses ailes…

Le matin, au réveil, la vision christique était évanouie. Julien seul et dégrisé. Ne restait
plu

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