Meute de sang, t. 1
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Description

Chapitre 1 : la tempête 16 octobre 1997, 21h45 Le vent ne cessait de souffler sur la plaine, emportant en un ballet infernal les fragiles constructions humaines et dénudant un peu plus les arbres de leurs fines feuilles. Les éléments déchaînés avaient pour effet de faire marteler en cadence la porte de cette grange dans laquelle Kirk Hackenbury se réfugiait, trop lâche pour affronter la tempête, si soucieux de préserver sa minable existence. Au loin, un volet claquait en cadence, faisant invariablement sursauter le malheureux garçon qui s’était tapi dans cette bâtisse aux toutes premières secondes de ce violent orage. Les yeux posés sur le champ lui faisant face, il maugréa quelque peu en voyant l’averse redoubler d’intensité, détrempant les prés pour finir par former une boue collante et répugnante. Courbant l’échine au moindre craquement de quelques planches pourries pourtant bien inoffensives, le garçon clignait des yeux face à la puissance des éclairs, frissonnant à chaque fois qu’une goutte de pluie s’écrasait sur le rebord de la fenêtre fracassé à laquelle il se tenait. Ses bras étaient détrempés par la pluie et il faisait peine à voir.

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Publié le 12 février 2015
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Licence : Tous droits réservés
Langue Français

Extrait

Chapitre 1 : la tempête
16 octobre 1997, 21h45
Le vent ne cessait de souffler sur la plaine, emportant en un ballet infernal les fragiles constructions humaines et dénudant un peu plus les arbres de leurs fines feuilles. Les éléments déchaînés avaient pour effet de faire marteler en cadence la porte de cette grange dans laquelle Kirk Hackenbury se réfugiait, trop lâche pour affronter la tempête, si soucieux de préserver sa minable existence. Au loin, un volet claquait en cadence, faisant invariablement sursauter le malheureux garçon qui s’était tapi dans cette bâtisse aux toutes premières secondes de ce violent orage. Les yeux posés sur le champ lui faisant face, il maugréa quelque peu en voyant l’averse redoubler d’intensité, détrempant les prés pour finir par former une boue collante et répugnante. Courbant l’échine au moindre craquement de quelques planches pourries pourtant bien inoffensives, le garçon clignait des yeux face à la puissance des éclairs, frissonnant à chaque fois qu’une goutte de pluie s’écrasait sur le rebord de la fenêtre fracassé à laquelle il se tenait. Ses bras étaient détrempés par la pluie et il faisait peine à voir. Une fois de plus, il n’avait nullement souhaité se trouver ici, comme partout où il finissait par atterrir bien malgré lui (comme à l’école par exemple), perdu au milieu des champs de maïs dans une bâtisse vermoulue, endroit de tous ses cauchemars, peuplée d’araignées, de rats et certainement d’autres créatures moins agréables à évoquer. Mais bon sang, cette satanée tempête l’avait poussée à se réfugier là-dedans, il ne pouvait tout de même pas courir sous la pluie en pleine nuit, sans aucun moyen de se repérer qui plus est ?! Oh bien sûr, il aurait dû prévoir que l’obscurité s’abattait plus rapidement ici qu’en tout autre endroit, comme il aurait dû savoir qu’on ne part pas à l’aventure sans carte ni boussole et certainement pas en omettant de prévenir un proche de sa soudaine absence. Toutefois, il avait beau se sermonner, la situation ne s’améliorerait pas pour autant : Kirk Hackenbury était né par hasard (certains auraient plutôt affirmé « par accident », mais ces personnes ne méritaient à coup sûr aucune considération), affublé d’une cruelle distraction perpétuelle et d’un sens pratique bien peu efficace. Pour résumer, le garçon avait toujours été considéré comme le plus nul d’entre les nuls aux yeux de ses semblables. Refusant pourtant de céder à une panique bien légitime, il décida d’allumer tranquillement une cigarette afin de réfléchir plus clairement à la situation qui n’était peut-être en fin de compte pas si désespérée. Lentement, il fouilla ses poches à la recherche d’un briquet, ustensile indispensable pour assouvir son envie pressante de tabac, mais en vain : décidément, il ne pourrait jamais corriger son éternelle distraction. « Pas de feu, pas de cigarette, lança-t-il d’une petite voix craintive, effrayé par cette obscurité malsaine. » C’est alors que surgit devant ses yeux angoissés par la pesante atmosphère qui régnait dans la grange une image tout d’abord floue puis de plus en plus nette, manifestation de sa mémoire trop souvent active depuis peu : une allumette et son étui enfouis dans son porte-monnaie. Il s’agissait là d’une idée de ses parents au cas où leur fiston chéri se retrouverait perdu dans la nuit, situation qu’il redoutait tant depuis son plus jeune âge, effets indésirables de cauchemars répétés dont il n’avait d’ailleurs plus souvenance au réveil. Une fois de plus ses proches lui sauvaient la mise, pensant pour lui, mettant en évidence ça et là quelques mains secourables pour leur progéniture trop souvent égarée au milieu d’incroyables problèmes.
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D’une main tremblante, il saisit l’objet salvateur et se dépêcha de gratter cette source de lumière inattendue qui allait servir à bien autre chose : allumer une cigarette qui ne lui apporterait rien d’autres qu’un plaisir limité. Qu’importe, il devait réfléchir, se calmer, se reposer et se détendre. Ainsi, il saurait quoi faire, comment repartir en direction de Cessy et rejoindre son lit douillet peuplé de splendides femmes imaginaires à l’appétit sexuel déluré. La petite flamme dansa quelques instants devant ses yeux, dessinant de fantasques tâches colorées sur son visage enfantin, illuminant un bref moment l’imposant décor qui n’avait de cesse de l’écraser. Puis, alors qu’il lançait un rapide regard vers la grossière charpente de bois qui surplombait sa tête, Kirk crut y percevoir l’ombre maléfique d’un chat aussi noir que la nuit, présage de biens des malheurs qu’il se refusa pourtant à croire matériel, bien que les battements de son cœur aient trouvé intelligent d’augmenter leur rythme pour le terroriser davantage. Seule sa cigarette devait le préoccuper à présent et il fallait éviter de s’inquiéter dans cette obscurité morbide alors que le décor auparavant rassurant semblait changer soudainement de façon radicale. « Concentre-toi sur le paysage, observe cette tempête et tais-toi bon sang, se murmura-t-il comme pour mieux se convaincre, une pointe d’anxiété dans la voix, ignorant sciemment l’écho que lui renvoyaient ses paroles peu assurées. » Oui, cela ne servait à rien de s’alarmer : cette journée n’était pas plus étrange que toutes les autres vécues jusqu’alors. Car depuis son arrivée à Cessy, il lui avait déjà semblé que les habitants de ce village dans lequel il était censé passer de paisibles vacances en compagnie de ses parents, cachaient un grand secret. Leurs mines renfrognées lorsqu’ils étaient en présence d’étrangers, leurs regards fuyants, leur incessante façon de sursauter à chaque voix inconnue avaient tout de suite mis l’adolescent mal à l’aise. Au début de son séjour, Kirk avait décidé de n’y attacher aucune importance, mettant ces manifestations étranges sur le compte d’une certaine gêne, voire d’une rudesse toute campagnarde. Mais au fil des jours, il ne put continuer ainsi à se voiler la face : l’attitude de ces quelques autochtones était par trop bizarre. Excité comme un enfant, se rappelant ses aventures juvéniles où chaque événement sortant un tant soit peu de l’inhabituel donnait naissance à une enquête « très sérieuse » et à une aventure fantastique, Kirk prit la décision d’entamer quelques recherches, plus dans le but de se distraire que pour chercher vraiment à comprendre le pourquoi du comment. Il erra tout d’abord quelques heures au milieu des bâtisses baignées de soleil, évitant soigneusement tout contact avec les jeunes du village, personnages aussi banals que tous les autres, de simples voyous à ses yeux qui ne chercheraient qu’à lui subtiliser ses lunettes ou encore à lui filer quelques bons coups de pieds comme tous les adolescents de cette fichue planète : les pauvres gars porteurs de lunettes en savaient quelque chose, il en allait de même partout, sous toutes les cultures et toutes les latitudes. Il prit le temps d’observer également les gestes et les habitudes des villageois, se recueillit sur quelques tombes, véritables encyclopédies historiques et jeta de furtifs coups d’œil au travers de fenêtres grandes ouvertes : sa conclusion ne changea pas, il se passait effectivement quelque chose d’étrange à Cessy. Rien n’y était plus anormal qu’ailleurs : les anciens semblaient tous posséder un fusil, beaucoup d’entre eux vivaient avec des chiens, des bergers allemands pour la plupart, personne ne rôdait dans les rues dès la nuit tombée, les bars fermaient très tôt, le village était entièrement baigné de lumière lorsque le crépuscule apparaissait. De plus une procession aux flambeaux, suivie d’une chasse presque surnaturelle, se déroulait à chaque pleine-lune comme pour conjurer un mauvais sort (c’était du moins ce que racontait un quotidien réputé dans les légendes et les coutumes de la région). Kirk trouva également une multitude de gravures représentant des loups
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dans de vieux manuscrits datant du Moyen-Age, eux-même déposés à la Bibliothèque municipale. Et lorsqu’il prit la décision de se rendre à Comp pour y acheter une tasse du même modèle que celle cassée par sa mère le matin même, on lui conseilla de ne pas retourner à Cessy et d’avertir sa famille : « ce village est maudit » lancèrent ces « anges gardiens ». Il ne parvint pourtant jamais à en savoir plus quand il interrogea ces derniers, si ce n’était que la pleine-lune allait à nouveau refaire son apparition et qu’un grand danger les guettait tous. Kirk, en parfait défenseur de la thèse de Saint-Thomas, à savoir que tant qu’il ne voyait rien il ne pouvait croire en d’éventuels phénomènes terrifiants, ne tint pas compte de ces mises en garde et retourna à Cessy, la tasse précieusement emballée dans du papier brillant, nullement effrayé par tant de mystères. En poursuivant ses investigations, il tomba alors sur un article du journal local daté de 1994 où le reporter écrivait sous un titre très évocateur :
La chasse a été bonne
Nos vaillants Anciens ont à nouveau remporté leur combat : la bête n’a pu que se rendre compte de notre détermination et tomber sous les coups vengeurs des courageux chasseurs. Son corps a été ramené vers 6h00 sur la place publique où chaque citoyen a pu cracher sur sa dépouille.
Le mystère s’épaississait, comment en trouver la clé ? Avide d’en savoir plus, il avait demandé le plus naturellement du monde à son père s’il était au courant d’événements qualifiés de mystérieux agitant ce village dans lequel il venait d’acheter une villa de vacances au charme ma foi fort plaisant. Mais la réponse fut bien évidemment négative : le promoteur immobilier responsable de la vente ne s’était nullement vanté de leur proposer un marché alléchant dans un lieu à l’aspect inquiétant. Les affaires restaient les affaires... Et le 16 octobre, au terme d’une enquête qui n’avait pas abouti, soudainement convaincu que personne ne voulait réellement prendre conscience de l’énigme qui planait dans les ruelles étroites de Cessy, la tête chargée d’images affolantes, les sens en alerte, certain de voir surgir à tout instant une horrible créature des délicats taillis de la maison de vacances, Kirk décida alors de s’en aller flâner sur les chemins déserts qui jouxtaient les environs du village. Il croyait ainsi être plus à l’aise pour réfléchir. Mais il n’en eut jamais vraiment l’opportunité puisqu’à chaque contour son attention fut détournée par quelque événement cocasse : un groupe de moineaux défendant certainement un nid plongèrent sur sa pauvre tête, envoyant valser ses lunettes dans la boue, plus loin un arbre abattu l’obligea à passer aux travers de ronces, lacérant son t-shirt préféré. Et enfin, alors que la nuit n’allait pas tarder à tomber et que le ciel se faisait de plus en plus menaçant, des vaches échappées de Dieu seul savait où lui bloquèrent le passage, le forçant à couper à travers champs pour regagner plus rapidement le village par l’est. Une demi-heure plus tard il dut bien admettre qu’il était perdu : sa boussole interne n’avait jamais été très fiable il est vrai. C’est alors que la tempête éclata, violente, terrifiante, l’obligeant à trouver refuge dans cette grange qui se dressait misérablement au milieu d’une clairière sombre.
Avec un petit grésillement, la cigarette se consuma un peu plus, raccourcissant au point d’évoquer la fin d’une vie, le commencement de nouvelles expériences, cet inconnu tant redouté par Kirk, synonyme de soucis et d’angoisse, la perte définitive du contact avec ce rivage si rassurant. En acceptant de partir avec ses parents en vacances à Cessy, il avait ainsi décidé de rompre avec son quotidien d’étudiant, de mettre temporairement un terme à la merveilleuse idylle
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qu’il entretenait avec ses livres, de se remettre en question. Au fil du temps, il n’avait cessé de réfléchir au bien fondé de sa vie, cherchant des réponses à de trop incessantes interrogations : il était l’heure à présent de crier « stop » et de faire le point. Ce séjour lui avait semblé être propice à ce genre de réflexion. Perdu au milieu de nul part, loin de ses attaches, loin de ses habitudes également, il s’était alors sentit obligé de penser, de chercher un but à sa vie inutile, de comprendre pourquoi en toute occasion Kirk Hackenbury n’était qu’un objet aux yeux de la foule grotesque d’animaux à deux pattes qu’il côtoyait chaque jour. A force de se voir rejeté, humilié, bafoué, il s’était bâtit un rempart d’écorce autour de son être pourtant si fragile, patiemment, inlassablement, rejetant toute forme de sentiment, n’attachant plus aucune importance au sort des uns et aux malheurs des autres, pas plus qu’à l’infâme injustice de ce monde. Errant dans cette société complexe tel un fantôme, se traînant de-ci de-là, Kirk poursuivait tranquillement son chemin, sans chercher à comprendre l’imbécillité de ses semblables. Mais par ce comportement, il était aussi devenu incapable d’éprouver le moindre sentiment pour autrui, ressemblant sans cesse un peu plus à une machine dénuée de toute pitié, sans bonheur et sans but, obligé de fonctionner par habitude. Assouvissant sa soif de connaissance, s’abreuvant à la fontaine des acquis, il se jeta corps et âme dans ses études, ne voyant au travers des autres que des silhouettes sans intérêt. Le monde avait cessé d’exister depuis bien longtemps à ses yeux. Et en venant à Cessy il n’avait guère trouvé de réponse à ses interrogations.
Un éclair lézarda le ciel, l’éblouissant violemment et l’obligeant à fermer un instant les yeux. Ce simple fait le fit rejoindre pour quelques secondes les angoissants ténèbres de ses souvenirs douloureux. Au milieu de sons peu rassurants, les battements de son cœur se perdant dans le ruissellement d’une pluie rageuse, il se revit, petit être nu comme un ver, dans les vastes douches de son lycée. Sur le sol, sa culotte achève de se détremper, déchirée par ses « camarades » de classe trop heureux de le voir pleurer, une fois de plus. « La Larve » ne mérite que cela, « La Larve » n’est pas propre, « La Larve » pue, « La Larve » les dégoûte, « La Larve » n’est pas comme eux et ne mérite pas de l’être, « La Larve » doit payer pour l’horreur qu’elle peut leur inspirer. Qu’importe le mal que l’on peut lui administrer, qu’importe ses sentiments, qu’importe ses supplications, ce sale con ne doit plus exister : il évoque bien trop d’idées abominables à leurs yeux, eux les gens normaux, délicats élèves de troisième année, futurs dirigeant de ce pays de vainqueurs. Cette chose prostrée dans les douches, une main sur le sexe comme pour se protéger de coups qui ne viendront pas, pourrait être chacun d’eux, faible, moche, répugnant. Mais « La Larve » ne doit rester qu’un mauvais cauchemar. Pourtant n’est-elle pas une angoissante éventualité qu’il faut combattre ? Se débarrasser de ce type signifie se débarrasser de cette hypothèse. Alors agissons tout de suite, frappons-le jusqu’à ce qu’il en crève, personne n’en saura rien, tout le monde s’en fout de toute façon. Liquidons-le ici dans ces douches et laissons pourrir son corps dans cette eau sale. Ou humilions-le jusqu’à ce qu’il n’ait plus qu’un seul désir : se suicider. Mais qu’il le fasse vite par pitié : devoir supporter sa présence chaque matin devient trop insoutenable, trop dégoûtant... Kirk ferme les yeux, l’esprit en charpies, une crainte insurmontable montant par vagues successives au sein d’un corps meurtris, dans l’attente du prochain coup. Mais seul le silence lui répond, solitude pesante trop souvent présente au fil de ses jours de noire déprime. Résigné, réduit à l’état d’animal traqué, il sait qu’en osant se lever chaque matin il aggrave sans cesse sa situation et se soumet à la loi impitoyable de ses ennemis, l’humanité au grand complet, êtres
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soi-disant intelligents qui ne pourront jamais accepter que Kirk déclare appartenir à leur clan, leur tribu d’égoïstes. Se présenter à leur vue est une insulte à leur supériorité, il le sait. Mais comment empêcher un petit garçon de 7 ans de rechercher un peu de tendresse, une simple marque d’intérêt autre qu’une claque ou un coup de pieds asséné avec force dans les parties génitales (et destiné à l’empêcher de procréer et ainsi de donner naissance à un monstre pire que lui) ? Kirk n’est pas un sadomasochiste, il ne cherche nullement à collectionner les humiliations ou les raclées, il ne se complaît guère plus dans cette atmosphère de haine, il ne veut que vivre, évoluer au sein de cette société comme tout le monde, comme le garantit toute Constitution, comme le voudrait sa condition d’humain. Et il ne peut comprendre pourquoi ses « camarades » n’acceptent pas cela. De quel droit se permettent-ils de bafouer son existence et d’annihiler totalement ses chances de survie ? Qu’a-t-il fait de si odieux pour mériter pareil traitement ? Oh, sa mère l’avait bien averti au moment d’assumer son devoir d’écolier et de se retrouver ainsi engagé pour 9 ans dans cet enfer que peut être une cour de récréation : « Tu verras Kirk, la vie ne te fera aucun cadeau, sois le plus fort, défends-toi ou tes copains te domineront en chaque occasion. N’accepte pas l’humiliation, ne te couche pas devant les difficultés, affronte les souffrances dignement. » Conseils que jamais il ne suivit, pleurant à chaque insulte, hurlant à chaque douleur, se transformant en boule de chair résignée lorsque les coups pleuvaient, donnant toujours une bonne raison à ses ennemis de recommencer leurs agissements, sans le moindre remord. Et pire que tout : sous les yeux de professeurs trop enchantés de participer à ce massacre par quelques remarques bien placées et des sourires plus que narquois. Jour après jour, semaine après semaine, Kirk Hackenbury a du survivre aux insanités, se forger une armure faite de passivité et poursuivre son chemin. La plupart du temps il a tendu l’autre joue comme le lui avait appris un autre martyr nommé Jésus Christ, recrachant un peu plus de sang à chaque fois, toujours muet, toujours tête basse. Et lorsqu’il se retrouve en ce jour glacial de novembre 1990 dans les douches de l’école, ses habits déchirés jetés en boule sur le sol, la tête cognant à tout rompre, il ne hurle pas davantage quand ses « camarades » le fouettent durant plus d’une demi-heure avec leurs linges mouillés entortillés de façon à faire plus mal. Il ne sort toujours aucun mot lorsqu’il doit rentrer chez lui, couvert de bleus et de brûlures, gelant dans un vent si froid, les vêtements troués et lacérés. Il ne pleure pas lorsque ses parents le giflent pour être rentré dans un tel état et ne pas les avoir contacté par téléphone pour qu’ils viennent le chercher dans le but évident de leur éviter ainsi l’ire des voisins qui avaient assurément dû beaucoup rire en le voyant dans cet accoutrement des plus offensants. Il ne manifesta pas plus de sentiments lorsqu’ils s’excusèrent un peu plus tard, maladroitement, tentant tant bien que mal de soigner ses blessures. A vrai dire depuis ce jour le malheureux petit Kirk prit l’identité d’une machine sophistiquée lâchée sur une terre hostile, se mouvant par habitude, ne recherchant plus aucun bonheur...
Relevant lentement les yeux vers le paysage torturé par les éléments, l’adolescent frissonna : la température venait de chuter de quelques degrés, les arbres ployaient à présent sous les efforts conjugués de la pluie et du vent, tandis que de sinistres craquements agitaient de toutes parts la vieille baraque. A quelque part un crochet de métal tapait en cadence contre une paroi, carillon de mauvais présage alors qu’une porte grinçait sans discontinuer, bêtement. Le garçon observa pensivement sa cigarette et comprit alors qu’il ne pourrait plus continuer longtemps à la faire durer. Il devait se résoudre à prendre une décision : soit il s’en allait pour tenter de rejoindre le village malgré la tempête et ainsi affronter le mauvais temps, soit il restait ici et dormait dans une
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bâtisse qui l’inquiétait. Eteignant la cigarette, il la lança d’un geste rageur au milieu d’une nature maltraitée et, tout en resserrant avec détermination les lacets de ses souliers, il murmura à haute voix comme pour mieux s’encourager, ayant pris la décision qui lui semblait la plus sage : « Allons-y, il faut se dépêcher de rentrer.»
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Chapitre 2 : l’attaque
16 octobre 1997, 21h53
Le garçon a bougé. Oui, il compte quitter la grange, mais il n’en aura pas le temps : la Bête est là, la Bête a faim, la Bête va chasser. Laissons-le espérer, laissons-le croire que rien ne l’attend dans le noir, laissons-lui un peu d’espoir... Bon sang quelle chaleur ! La Bête ne pourra rester ainsi prostrée derrière cette poutre, immobile, les sens aux aguets, la gueule ouverte et découvrant une rangée de dents affûtées qui étincellent dans la nuit. Elle a faim et sa seule envie est de se ruer sur cette proie, de tuer comme on le lui a appris, comme cela doit être, comme le veut sa nature de carnassier. Son corps l’élance, ses muscles sont trop raides, tous ses poils frémissent, c’est le moment : il n’est guère l’heure d’écouter le flot ininterrompu de ses idées, il n’est plus temps de réfléchir, il faut attaquer, lacérer cette faible chose. Et ce sera à nouveau la liberté, les courses effrénées dans la forêt, les jeux, ces odeurs si tentantes à pister, jusqu’à la prochaine pleine-lune... Alors là tout recommencera. Parce que sa quête ne peut avoir de fin. Son esprit le sait, son corps s’en contrefiche pour l’heure : il demande du sang, tout simplement. Mais ceci implique malheureusement toujours plus de risques, insensés, stupides. Des risques susceptibles de la tuer. Cette situation est pourtant si excitante. Que serait la chasse sans ce perpétuel défi ? Que serait sa minable existence sans un tel pouvoir ? Oh bien sûr au début elle a cherché à briser la malédiction - « ils » ne pensent tous qu’à cela -, puis « ils » comprennent la beauté de leur nouvelle vie, les joies de la traque, tout le bonheur qu’apporte cette liberté, l’excitation de laisser ses instincts prendre le dessus sur la raison. Oui, tous finissent par faire le bon choix, reniant leur ancienne vie dénuée de tout pouvoir et de toute puissance.
La pluie redouble d’intensité, le tonnerre roule avec fracas dans des cieux chargés de nuages, la grange craque, semble bouger sur ses fondations, se retourner, s’envoler. Mais rien de tout ceci ne paraît vraiment réel à présent. Au-dehors les bruits l’inquiètent, mais elle ne doit pas s’y intéresser, la distraction ne servira pas ses desseins. L’humain qui l’habite en a conscience, la bête qui la dirige à présent ne peut par contre saisir le fonctionnement de ce monde. Qu’importe, elle attaquera tout de même, ces sons si menaçants ne parviendront pas à l’effrayer suffisamment : la faim est la plus forte.
Kirk se retourna, renifla un bon coup et, après un gros soupir, releva le capuchon de son survêtement, prêt à sortir. C’est alors que dans un éclair il le vit. Son destin venait de s’engager sur les chemins obscurs du changement : en se réfugiant dans cette grange, le garçon avait accepté le contrat qui le lierait à jamais avec l’horreur. Nul ne pouvait désormais en modifier les termes... Un loup immense se tenait donc devant lui, prêt à bondir, ses crocs luisant dans les éclairs, les yeux animés par de maléfiques sentiments. De petits yeux cruels qui roulaient dans leurs orbites à chaque mouvement du gibier. Il se trouvait ainsi en présence d’un animal furieux et sauvage, représentatif de ce que la nature possède de plus atroce. Ses fines oreilles étaient rejetées en arrière, minces feuilles de parchemin laissant entrevoir de saillantes veines, ses poils bruns étaient
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parcourus par un invisible courant d’air qui dessinait de fantastiques vagues dans ce pelage majestueux. Ainsi l’animal paraissait si irréel dans ce décor campagnard, comme sorti d’un autre temps, d’une autre époque, là où les loups étaient aussi communs que les chiens ou les vaches.
Tout se passa très rapidement. La Bête, d’un coup puissant envoya valser le pauvre garçon contre la paroi de bois, son corps décharné brisant ça et là quelques planches dans un terrifiant craquement. L’horreur pouvait alors commencer. Incapable de se défendre, Kirk tenta bien de relever, mais il n’en eut pas le temps. Alors que les éclairs zébraient le ciel, révélant à ses yeux exorbités l’immonde faciès de l’énorme loup, trop près de son propre visage à son goût, Hackenbury comprit qu’il n’aurait aucune chance : les dents de ce monstre allaient le déchiqueter dans une grange à moitié pourrie et son corps ne serait retrouvé que bien plus tard, lorsque le propriétaire viendrait y ranger son tracteur enduit d’huile de vidange. « Oui, pensa-t-il dans un souffle alors que l’animal plongeait sur ses bras, babines retroussées dans un rictus qui n’était pas sans évoquer un sourire, il se passait bien quelque chose d’étrange à Cessy. La région est infestée de loups énormes, de cruels prédateurs avides de chair humaine... » La douleur fut inouïe, Kirk crut entendre ses os se disloquer un à un. Son corps fut ballotté en tous sens, traîné dans un nuage de sang et de poussière alors qu’un cri inhumain vrilla ses oreilles, son cri, éparpillant ses idées, semant la pagaille dans ses souvenirs qui, comme rendus fous, resurgirent devant ses yeux. Il se revit dans les douches de son école, ses « camarades » arborant un sourire moqueur sur la face, les linges cognant tant et plus sur sa peau nue, laissant à chaque fois une brûlure supplémentaire, une souffrance de plus. Il leur supplia d’arrêter, cria, pleura, se débattit. En vain, puisque les coups redoublèrent. Et la douleur s’intensifia jusqu’à ce qu’il ne sente plus rien, jusqu’à ce qu’il se croit flotter au-dessus de ces gamins cruels, jusqu’à ce qu’il vit apparaître un autre monde, une vision cauchemardesque de sa réalité quotidienne, image véridique de cette terre, verrue pourrissante censée représenter cette société. Crucifié, se tordant de douleurs au milieu de cette pièce sans consistance, la tête peuplée d’éclairs, il poursuivit son chemin dans ce paysage peuplé d’horreur, ne parvenant plus à entendre le moindre son, aveugle et muet, des larmes coulant en torrents sur des joues sans consistance. Tordu, fracassé, se sentant tomber, il ne fit rien pour lutter, offrant son corps ensanglanté aux éléments, tournoyant mollement au contact d’un vent trop froid.
Voici donc le souvenir cruel d’une enfance torturée qui eut le mérite de le sortir du tunnel dans lequel il s’était réfugié, attendant que vienne la mort. N’était-ce pas charmant ? Crachant du sang, hurlant tant et plus, Kirk tenta de repousser son adversaire, assénant quelques coups inutiles et mous, ne parvenant plus à mobiliser toute sa hargne contre cet animal terrifiant. Pourtant il réussit un instant à se dégager, rejetant le loup contre une poutre qui se brisa sous le choc. Mais la bête revint à l’assaut, tailladant profondément son front. Aveuglé par le liquide chaud qui dégoulina instantanément de cette plaie, il crut perdre définitivement contact avec la réalité. Mais ne désirant pas renoncer à la vie aussi facilement et fortement encouragé par le fait que la Bête ait reculé de trop courtes secondes, le garçon se reprit : un nouveau Kirk Hackenbury était né. Fini le frêle garçon aux lunettes perpétuellement vissées sur le nez, incapable de se défendre, de se battre, de réagir aux insultes. Il allait tuer cet animal et ramener son corps au village. Toute la population le féliciterait et il pourrait enfin se reposer, panser ses plaies, savourer sa nouvelle existence. Mais avant tout, il devait tenir son adversaire à distance de façon à mieux le contrôler,
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retrouver quelques forces et contre-attaquer lorsque le loup baisserait sa garde. Qu’importe la force herculéenne et la masse gigantesque de cette chose, l’homme possédait ses poings et sa rapidité, armes non négligeables. Reculant jusqu’à la fenêtre, la pluie caressant agréablement son dos lacéré, Kirk jeta un regard autour de lui : aucune retraite possible, pas une chance de fuir, à quoi bon de toute façon ? La Bête le rattraperait tôt ou tard dans les bois, sur son terrain. Rassemblant ses forces, ignorant tout ce sang répandu sur le sol de la grange (son sang bon sang !), il serra les poings et se rua tête baissée vers l’animal qui reprenait ses esprits après le choc enduré tout à l’heure. Le loup se trouvait à quelques centimètres d’une échelle qui menaçait à chaque instant de tomber, retenue de justesse par un crochet affûté. Se tenant sur ses pattes arrières, mesurant près d’1,70 mètre de haut, d’un pelage brun foncé, cette chose n’avait finalement rien d’un loup, pensa l’adolescent tandis qu’il avançait vers le carnassier, presque certain de reconnaître un humain dans cette grotesque réplique animalière, un de ces sales cons de « camarades » déguisé d’une peau de bête. Oui, « ils » étaient venus jusqu’ici pour le tuer. Il en était certain. Avec rage, hurlant comme un damné, Kirk enfonça littéralement les poings dans les entrailles de son adversaire, sentant même les os de ses côtes se briser sous ses mains ensanglantées. Tous deux furent cependant stoppés dans leur élan par un choc soudain : quelque chose venait de harponner la bête, lui arrachant un cri fulgurant, déversant un large filet de sang chaud sur la gorge et les bras de Kirk. Le loup lâcha encore un soupir, fixa une dernière fois sa proie de ses yeux malicieux, presque souriants, et ne bougea plus. « Le crochet retenant l’échelle..., pensa Hackenbury avant de s’effondrer à son tour sur le sol dans un geyser de lumière et de douleur. Le crochet l’a embroché comme une pièce de charcuterie... »
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Chapitre 3 : lorsque cesse l’orage
17 octobre 1997, 8h02
Louis Packard avançait avec peine vers sa grange, fièrement installé sur son tracteur flambant neuf, casquette des Philadelphia Flyers vissée sur le crâne (une équipe de hockey totalement inconnue pour lui, le logo lui plaisait voilà tout). L’orage avait été violent, les dégâts tout autant importants : ce satané chemin était détrempé et plusieurs fois Louis dut descendre de son engin pour glisser une planche sous les roues de ce dernier afin de poursuivre son chemin. Crotté, énervé, il reprenait pourtant espoir mètre après mètre. La grange était bien vieille et méritait de sérieux travaux de rénovation, mais il avait repoussé à chaque fois la décision de s’y atteler, comme apeuré par le seul fait d’approcher du vénérable édifice de bois. Il était trop tard à présent pour regretter pareil comportement : la tempête avait à coup sûr tout détruit, il n’aurait plus d’entrepôt où ranger son foin et ce dernier pourrirait certainement avant même qu’il ne trouve une solution de remplacement. Sale métier... Il aurait mieux fait après tout d’écouter les gens du village qui l’avait supplié de s’en aller, l’exhortant à choisir une autre exploitation agricole pour y exercer son art. Car selon ces derniers, l’ancien propriétaire était mort non loin de cette fameuse grange, déchiqueté par une bête bien trop grosse pour n’être qu’un animal sauvage du genre de ceux qui rôdaient dans le coin. Le vieux Samsons, l’alcoolique et la commère du coin, lui avait raconté que le gars n’avait quasiment plus de visage lorsqu’il avait été retrouvé : seules ses bottes avaient permis aux gendarmes de l’identifier, une paire de bottes bien particulières à ce qu’avait déclaré Samsons. N’ayant nullement envie de finir ses jours dans cette grange de malheur, ne possédant d’ailleurs aucune paire de bottes assez spéciales pour que l’on puisse reconnaître son cadavre lorsqu’il serait défiguré à son tour, Louis avait décidé d’ignorer ces bavardages inutiles. Tout simplement parce que la ferme qu’il venait d’acheter était une affaire en or. Et comme Packard n’était pas homme à trembler devant des histoires de bonne femme, encore moins lorsqu’elles étaient évoquées par de vieux croulants à la mémoire défaillante, il s’en était allé trouver le notaire de la région et quelques jours plus tard il s’installait à Cessy, dans sa propre exploitation, après avoir travaillé quinze ans en tant qu’ouvrier agricole pour un vieux con complètement déjanté qui lui payait un salaire digne des plus misérables pourboires. Cinq années étaient passées, sans qu’il ne rencontre de problème et qu’il n’ait à déplorer la moindre attaque de voraces prédateurs. Son crâne s’était dégarni, sa femme avait pris du poids, beaucoup trop de poids. C’est cela qui l’avait perdue : elle s’était éteinte en 1996 d’une crise cardiaque. Qu’importe, Louis se concentra sur son travail pour pallier son chagrin. L’argent ne dégringolait certes pas de ses silos, mais Packard pouvait se vanter de ne manquer de rien. Sauf peut-être de vacances et d’une nouvelle femme, une de ces superbes créatures qui ornaient les pages glacées des magazines cochons qui s’amoncelaient sous son matelas.
Le bâtiment apparut au détour du chemin, massif et fait de bois foncé, d’une teinte si lugubre. Les ouvertures sur sa façade étaient rares : seule une petite fenêtre donnant sur la clairière, sans compter les grandes portes, énormes battants grinçant horriblement à tout vent qui permettaient de pénétrer à l’intérieur. Le toit de bardeaux laissait apparaître pour sa part quelques trous
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sombres, dégâts provoqués par les efforts conjugués de l’orage et du temps, soucis supplémentaires pour un Louis Packard bien assez occupé comme cela. Un épais tapis de mousse faisait son apparition ça et là, recouvrant de larges étendues de bois vermoulu, confortant chacun dans l’idée que la baraque n’allait certainement pas tarder à s’écrouler si personne ne se décidait à la restaurer. Louis se surprit néanmoins à souhaiter qu’elle ne soit que ruine : la tempête aurait dû la détruire, il aurait ensuite pu en rebâtir une nouvelle, ailleurs, loin de ce lieu maléfique. Cette clairière pouvait bien sembler paradisiaque et très accueillante pour les étrangers qui s’y baladaient, mais elle ne parvenait pas à abuser le paysan : il savait ce qui s’y était passé et avec le temps il avait finit par admettre qu’il régnait en cet endroit une atmosphère pesante. Comme si un millier de yeux l’observaient. Parfois, il se croyait perdu au milieu d’un territoire qui ne lui appartenait pas, comme s’il était soudainement devenu étranger à cette terre qui était sienne, évoluant là où jamais il n’aurait dû se montrer. Et un jour la chose qui avait massacré l’ancien propriétaire reviendrait inévitablement régler ses comptes avec lui. C’était écrit, bien qu’il ait toujours fait exprès d’ignorer ce fait. Débouchant dans le dernier virage qui menait à la bâtisse, l’homme appuya un peu plus sur l’accélérateur pour donner davantage de puissance aux énormes roues du véhicule, passant ainsi avec facilité dans une flaque piégeuse. Enfin, évitant tel un virtuose du volant un arbre qui s’était échoué en plein milieu du chemin, il finit par approcher de son but dans un panache impressionnant de fumée lâché par l’échappement défectueux du tracteur. Louis freina doucement, évitant ainsi de déraper dans la boue humide. Puis d’un bond il regagna le sol, s’arma d’une lampe-torche et s’apprêta à pénétrer dans le bâtiment : il fallait bien vérifier les dégâts. Vus de l’extérieur les dommages n’avaient guère l’air importants, rien qui ne soit réparable avec quelques bonnes planches et de solides clous. Mais l’intérieur pouvait être en plus mauvais état : le toit avait pu s’effondrer là où il était tout simplement impossible de le distinguer. Après tout, la grange était pourrie des charpentes aux fondations. Marchant d’un pas leste, Louis arriva devant les grandes portes. Un poids étreignit alors sa poitrine : les battants étaient entrebâillés, lézardés de grossières marques de griffes et la serrure gisait fracassée dans la boue. Une vague de chaleur désagréable monta dans sa poitrine, serrant son cœur comme dans un étau (ce qui eut pour effet d’évoquer inévitablement dans son esprit la douleur qu’avait pu éprouver sa femme au moment fatidique de la crise cardiaque). Cette pensée lui coupa la respiration. Mais luttant contre l’effroi, l’homme reprit courage et retourna vers son tracteur pour s’emparer de son fusil qui ne le quittait plus depuis quelques temps. Pour tout avouer, depuis l’époque à laquelle il avait vu cette chose... Chassant cette pensée saugrenue et bien trop terrifiante de son esprit, il se dirigea à nouveau vers le bâtiment, pressé de chasser l’intrus qui avait eu la bonne idée de se réfugier dans SA propriété (car il en était à présent certain : quelqu’un avait pénétré dans l’édifice et s’y trouvait peut-être encore). Laissant échapper une longue plainte, la porte s’ouvrit, manquant presque de tomber. Louis se mit alors à avancer prudemment, habituant ses yeux à l’obscurité, n’allumant pas encore sa lampe. Pareil à un chasseur, les sens aux aguets, il inspecta tout d’abord la petite pièce sur sa droite, un réduit qui avait servi autrefois de chambre pour un quelconque garçon de ferme. La faible lumière que lui renvoyait un rayon de soleil s’immisçant par une fente dans le bois dessinait de superbes faisceaux étincelants sur le capharnaüm qui s’étalait dans cette annexe. Scrutant attentivement ce décor connu dans le but d’y percevoir une quelconque marque d’une main étrangère, l’agriculteur dut bien finir par admettre que tout semblait normal : il n’y avait pas le moindre soupçon de dégâts, encore moins d’individu planqué derrière les pelles, les pioches ou l’antique charrue qui
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