Une revanche
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Description

Les RustiquesLouis PergaudUne revancheC’était le dernier-né, le chien-nid, comme on disait, d’une famille de paysans duJura. Il était prénommé Victor, mais comme il est coutume de donner aux plusjeunes des sobriquets d’amitié et qu’il était retors et rusé comme un renard, onl’avait surnommé le Tors.Il avait grandi dans le giron de la famille, entouré de la tendresse de tous et dès qu’ilavait porté culotte, partagé son temps entre l’école, l’hiver, et la garde du bétail,l’été.Il avait poussé rude et sain dans la grande pâture enclavée dans les bois de sapinsqui balançaient au vent leurs fuseaux gracieux et avait acquis, avec la santé, cetterude indépendance de caractère et cette énergie têtue qui font les brutes ou leshéros.Choyé par les siens, protégé par ses aînés, il avait conquis l’assurance, l’arrogancepresque de ceux qui se sentent forts, et, comme ses petits muscles étaient solideset nerveux, les discussions avec les camarades se réglaient toujours à la manièreantique, par des bordées d’injures qui précédaient le crêpage en règle destignasses.Il aimait les champs et les bois et professait, hormis la famille, pour toutes lesinstitutions sociales qui sont la base des régimes  : l’école, l’église, la propriété,celle des fruits en particulier, un mépris qui n’avait d’égal que le soin qu’on prenait àles lui faire admettre.L’école, il la subissait tout de même, parce qu’il y retrouvait les camarades, que lemaître n’était pas trop vache, disait-il, ...

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Langue Français

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Les Rustiques
Louis Pergaud
Une revanche
C’était le dernier-né, le chien-nid, comme on disait, d’une famille de paysans du Jura. Il était prénommé Victor, mais comme il est coutume de donner aux plus jeunes des sobriquets d’amitié et qu’il était retors et rusé comme un renard, on l’avait surnommé le Tors.
Il avait grandi dans le giron de la famille, entouré de la tendresse de tous et dès qu’il avait porté culotte, partagé son temps entre l’école, l’hiver, et la garde du bétail, l’été.
Il avait poussé rude et sain dans la grande pâture enclavée dans les bois de sapins qui balançaient au vent leurs fuseaux gracieux et avait acquis, avec la santé, cette rude indépendance de caractère et cette énergie têtue qui font les brutes ou les héros.
Choyé par les siens, protégé par ses aînés, il avait conquis l’assurance, l’arrogance presque de ceux qui se sentent forts, et, comme ses petits muscles étaient solides et nerveux, les discussions avec les camarades se réglaient toujours à la manière antique, par des bordées d’injures qui précédaient le crêpage en règle des tignasses.
Il aimait les champs et les bois et professait, hormis la famille, pour toutes les institutions sociales qui sont la base des régimes : l’école, l’église, la propriété, celle des fruits en particulier, un mépris qui n’avait d’égal que le soin qu’on prenait à les lui faire admettre.
L’école, il la subissait tout de même, parce qu’il y retrouvait les camarades, que le maître n’était pas trop vache, disait-il, et qu’en dehors des heures de classe, il pouvait vider les querelles entamées et dépenser en coups de poing son activité musculaire ; mais il éprouvait à l’endroit de l’église, où ses parents l’envoyaient chaque dimanche, une invincible répulsion.
Il ne pouvait supporter l’immobilité ; il lui répugnait de se mettre à genoux et, comme il n’avait pas — oh ! mais pas du tout ! — l’esprit mystique, il trouvait parfaitement ridicule d’entendre le curé brailler des choses « qu’on n’y comprenait rien ».
C’était d’ailleurs par l’église qu’il avait la première fois fait connaissance avec les misères et les vicissitudes de la vie, sous forme d’une taloche administrée par sa mère pour avoir déchiré une culotte neuve en s’accrochant au banc d’œuvre.
Des associations d’idées s’étaient, là-dessus, faites en lui naturellement, et bien malin eût été celui qui l’aurait pu convaincre que l’église est le vestibule d’un lieu de délices appelé « Paradis ».
Il avait huit ans lorsque, certain dimanche où il s’était, paraît-il, montré plus turbulent encore que de coutume, Bédouin, le garde-champêtre, ainsi désigné parce qu’il avait fait la campagne d’Afrique, Bédouin, vêtu d’un pantalon de gendarme, d’un habit rouge, coiffé d’un bicorne et nanti de sa hallebarde de suisse, vint le prendre à son banc, et, de force, le contraignit à se mettre à genoux au milieu de la nef.
Le Tors fit une belle résistance en décochant de toutes ses forces au digne fonctionnaire des coups de pied dans les jambes, mais ce fut inutile et il dut se résigner à l’humiliation de cette exhibition publique à ce pilori paroissial.
Il ne pleura point, mais il jura de se venger.
Tout le temps qu’il fut là et longtemps, longtemps après, son petit cerveau rumina les vengeances les plus féroces et les plus invraisemblables.
Ah !s’il avait pu crêper la toison de ce vieux ramollot ! mais le digne garde et suisse attitré de la commune ne pouvait offrir à la jeune violence de ses petites mains qu’un crâne depuis longtemps dénudé, et, à la réflexion, le Tors se rendait parfaitement compte qu’il n’était pas le plus fort.
Il rejeta donc un à un bien des projets qui lui parurent impossibles à réaliser et se résolut, en fin de compte, quand les fruits seraient mûrs, à profiter d’un jour où son ennemi serait en tournée quelque part, dans le finage, pour mettre à sac son potager et ses arbres, opération qui lui parut à la fois juste et profitable.
C’était sage en effet, mais l’on n’était qu’en juin et, sauf pour les poires de moisson qui mûrissent en août, il fallait encore attendre longtemps avant de savourer concurremment les pommes du verger et la vengeance désirée. Le Tors s’y résigna cependant, certain que son jour viendrait. Un après-midi que ses bêtes ruminaient, couchées à l’ombre, et qu’il charmait la solitude de la pâture en édifiant soigneusement avec un peu de marne extraite d’une tourbière voisine et des bouses de vaches à demi-fraîches, des constructions ingénieuses, à la façon des bébés qui, dans les jardins publics, s’amusent à faire des châteaux de sable, il vit à l’horizon se dresser la haute silhouette de son ennemi qui revenait sans doute de visiter son collègue, le garde-forestier de la Joux, un vieux briscard comme lui avec qui il aimait à rappeler le passé et à choquer le verre. Le Tors résolut de ne pas le voir et de le laisser passer sans rien dire, affectant à son égard l’indifférence dédaigneuse qui lui parut le mieux convenir à sa dignité offensée. Mais le représentant de la loi ne l’entendait pas ainsi. L’âme dilatée par l’horizon grandiose, sans doute, et peut-être aussi par les chopines de rouge, les rincettes et surincettes qu’il avait ingurgitées, il voulut être aimable avec son jeune et farouche tributaire et vint droit au gosse qui, les mains dans la… matière, affectait, non sans grandeur, une contention d’esprit digne des plus grands ouvrages. Le Tors gardait un silence obstiné, mais l’autre était tenace et voulut bavarder. Aussi, après avoir toussé trois coups vigoureusement, il prit la parole : — Qu’est-ce que tu fais là, mon petit ami ? — Charogne ! pensa le Tors, qui ne desserra pas les dents. — Tiens, tiens ! Mais tu fais l’ingénieur, « l’architèque » à ce que je vois. Très bien! très bien! — !! ! — Et qu’est-ce que ça représente, ce bâtiment-là ? — Ça, fit le Tors entre ses mâchoires, c’est not’ mâson. — Ah bien! Et ceci ? — C’est l’école, fit-il, laconiquement. — Bon, et cette grande bâtisse avec ce petit bacul ? — C’est l’église et la maison du béd… du suisse. — Et ce grand piquet-là ? — C’est le curé.
— C’est vraiment très bien, mais je ne vois pas le garde !
Alors, avec un petit air innocent qui jurait à côté de l’éclair de triomphe des yeux, un sourire qui aurait voulu être niais et se plissait malicieusement et qui voulait dire : « Tu sais, mon vieux Bédouin, c’est sans préjudice de l’affaire du verger ! » le Tors répondit de sa voix la plus angélique :
— Le garde, je n’ai pas assez de m… pour le faire !
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