A l ombre de la clarté française - article ; n°1 ; vol.75, pg 5-21
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Description

Langue française - Année 1987 - Volume 75 - Numéro 1 - Pages 5-21
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

P. Swiggers
A l'ombre de la clarté française
In: Langue française. N°75, 1987. pp. 5-21.
Citer ce document / Cite this document :
Swiggers P. A l'ombre de la clarté française. In: Langue française. N°75, 1987. pp. 5-21.
doi : 10.3406/lfr.1987.4662
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1987_num_75_1_4662P. SWIGGERS
FNRS beige
A L'OMBRE DE LA CLARTÉ FRANÇAISE
que échapper précautions l'apanage ne « doit Aucune la nôtre, jamais sans de langue minutieuses notre et cesse perdre ne langue demande sans » (d'Alembert). la exception pour clarté en dans ce être de seul ceux n'est vue, entendus. sens qui comme plus qu'un en sujette Ainsi font étant écrivain usage à la prête l'obscurité clarté français plus à est lui de
O. Introduction
Pour le linguiste il n'est pas, sans doute, de notion plus obscure que
celle de « clarté ». Concept scientifique (ou scientifiquement utilisable),
fantasme ou mythe? Mais où faut-il tracer — surtout en sciences humaines
— la frontière entre mythe et réalité? La plupart de nos concepts « tech
niques » reposent sur un fonds « ethnoscientifique »; Whitehead n'allait-
il pas jusqu'à dire que la science n'est rien d'autre qu'une systématisation
- certains diraient sophistication — du sens commun (dont on admettra
qu'il existe sans pour autant le considérer comme la chose la mieux
partagée au monde)? Il suffit de penser à quelques idées - ici reçues, là
rejetées — auxquelles la pratique linguistique n'a pas été imperméable :
la langue comme truchement de la pensée; l'écriture comme la trans
position (fidèle ou perfide) de l'oral; l'évolution « organique » des langues;
le fil (supposé ou clamé) rouge entre langue et race (consanguinité battue
en brèche par Boas) ; l'identité universelle du langage. Nous avons inscrit
dans le titre de ce texte une opposition chromatique — celle du clair-
obscur —, non par goût d'antagonisme, mais par acquit de conscience
(historique) : l'ambivalence n'est-elle pas inscrite au cœur même du lan
gage - objet et instrument d'appropriation et d'aliénation 1 —, dont la
dualité reflète celle (1) de la constitution anatomique et neurologique de
* Je dédie ce texte à la mémoire d'un maître de la pensée claire et distincte : Alphonse De Waelhens.
1. Aliénation, le langage l'est toujours par rapport à la réalité, cf. De Waelhens (1972). (2) de l'organisation des sociétés 2, et (3) des interprétations Findividu,
et constructions résultant d'une activité humaine 3. Ambivalence qui s'est
repliée sur le langage, et cela dès les temps les plus anciens : qu'on se
souvienne du débat opposant les « analogistes » aux « anomalistes ». Cette
interrogation porte à la fois sur la structure du langage - à travers
celle(s) d'une langue, le grec ancien — et sur (les pièges de) son inter
prétation : le « régulier » n'est-il pas là parce que nous recherchons le
systématique et, d'autre part, « l'irrégulier » pourrait-il exister s'il n'y
avait pas de règle? L'élaboration d'une science n'échappe pas à la cir
cularité, ni à l'alternance des approches (privilégiant très souvent à tour
de rôle les pôles d'une relation logique de complémentarité : régulier vs
irrégulier, particulier vs universel). Mais ce qui se surajoute à la dyna
mique des sciences c'est le réseau conceptuel, en constante évolution —
sous l'effet de facteurs « extérieurs », sociaux, professionnels, etc. —, auquel
se rattachent ces prises de positions globales, et l'appareil argumentatif
qu'elles mettent en œuvre.
Il importe donc de se faire d'abord l'historien d'une problématique;
muni de cette expérience, on pourra se tourner vers la réflexion méthod
ologique. C'est la démarche qu'on adoptera ici, afin de voir clair dans
un problème qui n'en est peut-être pas un.
1. La clarté française : une histoire de lumière(s)
La clarté est indissociable du mouvement d'émancipation
de la langue : celui-ci s'ébranle au XVIe siècle dans le contexte de l'h
umanisme et peut s'appuyer sur un état de langue en voie de codification.
Parmi les défenseurs de la « précellence du langage françois » une place
de choix revient à Henri Estienne, qui n'hésite pas à vanter au roi
Henri III les qualités du français officiel en l'opposant à l'idiome qui
risque de le corrompre :
« Nostre langage est aussi, plus que les autres, propre aux affaires
d'Estat»; [les plus grands négociateurs italiens] «se trouveroyent bien
empeschez, quand il leur faudrait en leurs despeches user de façons de
parler non moins succinctes que graves, non moins claires que succinctes,
et telles (...) qu'on les voit aujourd'huy sortir de la plume de messieurs les
secrétaires d'Estat (...) Mais que respondront-ils touchant l'autre mal qu'
amené en aucuns mots ceste depravation d'escriture et de prononciation ?
J'enten l'ambiguité qui s'y voit : comme atto peut aussi bien signifier apte
que un acte; et mesme plus souvent ha ceste signification-la que ceste-ci.
Ainsi addotto peut signifier non seulement adductus pour adotto, mais aussi
adoptavit, il adopta, pour adopto 4. »
2. Cf. l'antagonisme des dans dans les sociétés primitives; voir à ce propos la puissante synthèse
d'Ivanov (1978 : chapitre II).
3. Qu'on pense aux structures binaires en arithmétique, en cybernétique, en linguistique, etc.
4. Cité d'après l'édition dans L. Humbert (éd.), La Défense et Illustration de la lanaue française
par J. Du Bellay, suivi du Projet de l'œuvre intitulée De la Précellence du langage françois par H. Estienne,
Paris, s.d., p. 228. Sur les conceptions linguistiques d'Henri Estienne, voir Clément (1898). une affirmation qui s'appuie sur l'unicité sémantique des signifiants Voilà
(graphiques) français — ou plutôt sur leur avantage de plus grande unicité
à l'égard des signifiants italiens 5 : argument assez faible, mais intéressant
dans la mesure où il confirme la notion d'arbitraire du signe. Cette
arbitrarité est exploitée, d'une part, de façon négative (ambiguïté, neu
tralisations dans la forme); d'autre part, elle est la condition essentielle
pour un emploi transparent, par la raison, de la langue. C'est sur cet
aspect que va s'axer la discussion, au xvir siècle, autour du signe.
Les textes centraux ici sont ceux des Solitaires de Port-Royal : Arnauld,
Lancelot et Nicole °. Pour ces auteurs, l'arbitraire du signe linguistique
est un principe axiomatique :
« La troisième division des signes est, qu'il y en a de naturels qui ne
dépendent pas de la phantaisie des hommes, comme une image qui paroît
dans un miroir est un signe naturel de celuy qu'elle représente; & qu'il y
en a d'autres qui ne sont que d'institution & d'établissement, soit qu'ils
ayent quelque raport éloigné avec la chose figurée, soit qu'ils n'en ayent
point du tout. Ainsi les mots sont signes d'institution des pensées, & les
caractères des mots » (Logique, I, IV, vol. 2, p. 65) 7.
La transparence du langage réside dans l'emploi, en pleine conscience,
de la totalité des signes linguistiques, arbitraires au niveau de leur consti
tution : un système sémiotique entier est utilisé, intentionnellement,
comme champ référentiel. Cette vue, qui fait du locuteur l'analyste de
sa propre pensée — idée qui sera pensée à bout, subversivement, par
Condillac —, permet de comprendre pourquoi les Port-Royalistes ne se
posent pas la question du bien-fondé de la grammaire générale : comme
le système des signes linguistiques a été constitué en fonction de Гех-
pression des pensées et qu'il est utilisé intentionnellement dans cette
fonction-là, il est évident qu'on ne saurait avoir des doutes sur la confor
mité des segmentations respectives. Tout ce que le grammairien (phi
losophe) fait, c'est réarticuler le contrôle exercé par tout locuteur sur le
système de signes qu'il utilise (et qui lui a été transmis) 8.
Le signe, dont l'essence consiste à exciter l'idée de la chose repr

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