Balai Pustaka et la République des Lettres : souvenirs d un auteur - article ; n°1 ; vol.44, pg 47-56
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Description

Archipel - Année 1992 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 47-56
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Achdiat Karta Mihardja
Balai Pustaka et la République des Lettres : souvenirs d'un
auteur
In: Archipel. Volume 44, 1992. pp. 47-56.
Citer ce document / Cite this document :
Mihardja Achdiat Karta. Balai Pustaka et la République des Lettres : souvenirs d'un auteur. In: Archipel. Volume 44, 1992. pp.
47-56.
doi : 10.3406/arch.1992.2849
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_1992_num_44_1_2849Karta MIHARDJA Achdiat
Balai Pustaka et la République
des Lettres : souvenirs d'un auteur
Un typhon avait obscurci le ciel de l'Asie et la Guerre du Pacifique menaç
ait d'éclater à tout instant. De son exil dans l'île de Banda, Bung Hatta venait
de lancer son appel solennel: le fascisme japonais allait sûrement attaquer
l'Archipel, et nous occuper. L'impérialisme fasciste, disait-il, était plus dur
et plus cruel que l'impérialisme du capitalisme libéral. Il nous invitait donc
à être vigilants et à nous opposer au nouvel occupant, qui était déjà derrière
la porte.
Je venais de fonder une famille - j'avais un enfant - et j'habitais la ville
de Bandung.
Si je travaillais? Non. Si je chômais? Non plus. Est-ce que j'avais des reve
nus? Oui, et pas négligeables.
C'était une belle après-midi de samedi. Je parcourais un livre sur la véranda
de la maison que je louais rue Yuda. Arriva un homme d'âge moyen, en cos
tume à gilet blanc fermé, un bendo (coiffe soundanaise en batik) perché sur
sa tête. Si aujourd'hui, sous l'Ordre Nouveau, le costume safari domine, à
l'époque le costume blanc avec bendo était la marque du fonctionnaire, même
s'il n'y avait pas de règlement obligeant à le porter. Les fonctionnaires jeu
nes et « modernes » préféraient être en veste et cravate, sans rien sur la tête.
Résolument à l'occidentale.
Comme j'avais déjà rencontré une fois ou deux mon élégant visiteur en
bendo à Jakarta (on disait encore Batavia ou Betawi), je le reconnus tout de
suite. Nous nous saluâmes à la soundanaise, avec cordialité. Raden Satjadi-
brata était un auteur soundanais réputé.
Il venait de Jakarta. Qu'est-ce qui l'amenait chez moi?
« Voici, Raden », dit-il en soundanais. Il m'appelait Raden, terme d'adresse
courant chez les Soundanais « féodaux » de l'époque; d'ordinaire, ce terme
était utilisé pour s'adresser courtoisement à plus jeune que soi. De fait, ce
fonctionnaire était dépêché par la direction de Balai Pustaka, à Batavia pour
me proposer un emploi.
Etre « fonctionnaire »?! Travailler pour le gouvernement colonial hollan
dais?! Çà, c'était une surprise. J'hésitai. Je fronçai les sourcils un instant.
Depuis le lycée, jamais je n'avais envisagé de devenir fonctionnaire. Un idéal 48
nationaliste parfois naïf et romantique imprégnait les jeunes étudiants de l'épo
que. Le Serment de la Jeunesse était encore proche, et l'exil des grands lea
ders comme Sukarno, Hatta, Sjahrir, Iwa Kusumah Sumantri, etc., alors
autour de la trentaine, n'avait pu éteindre le nationalisme et l'idéalisme de
la jeunesse.
Dès la fin de mes études secondaires (en section littérature et culture orient
ale), j'avais travaillé comme instituteur au Taman Siswa de Kemayoran, à
Batavia. Ensuite, j'étais devenu rédacteur dans des journaux quotidiens et
des revues. Puis j'avais ouvert une petite échoppe où je vendais du riz, du
bois de chauffe, du pétrole, du poisson salé, du sucre, du sel, du terasi et
d'autres produits de première nécessité. Je m'étais installé rue Kebon Manggu,
à Bandung. C'est là que naquit notre premier enfant. Nous finîmes par ache
ter une boulangerie-pâtisserie à un Chinois qui avait fait faillite après avoir
subi de grosses pertes au jeu. Parallèlement, je continuai à travailler comme
journaliste free lance et à écrire dans diverses publications, en indonésien,
en soundanais ou en hollandais.
Peut-être les gens de Balai Pustaka avaient-il entendu parler de moi par
mes articles. En tout cas, ils me proposaient un emploi.
C'est avec cette expérience d'une vie libre et idéaliste que j'accueillis
l'envoyé de Balai Pustaka. L'esprit de « non coopération » avec le gouverne
ment colonial était encore vivant. Mais dans le même temps, l'avertissement
lancé par Bung Hatta sur la menace de l'impérialisme japonais et sur le plus
grand danger de ce fascisme résonnait encore. J'étais en quelque sorte invité
à choisir le « moins mauvais parti » et à abandonner la « non coopération ».
Mais de fait, je voulais en savoir plus sur le contrat. Par exemple, quel
serait mon grade, combien je gagnerais, etc.
Le grade?! Au début je travaillerais comme volontaire (apprenti) avec un
« salaire » de 40 florins. Au bout de trois mois, je serais titularisé avec le rang
de rédacteur en chef adjoint et un salaire initial de 70 florins. Voilà ce que
m'apprit mon distingué visiteur. Mais sans manquer au respect que je lui
devais, je sortis mon carnet de comptes de la boulangerie-pâtisserie. Meneer
Satja eut du mal à en croire ses yeux quand je lui montrai les bénéfices nets
de la boulangerie. La moyenne mensuelle s'élevait à environ 150 florins. A
l'époque, c'était plus que suffisant pour faire vivre à Bandung une jeune famille
avec un nouveau-né.
Mais je finis par accepter son offre. Surtout sur les instances de ma mère,
qui souhaitait ardemment faire de son fils un fonctionnaire. Mère, et Père
également, descendaient de menak, c'est à dire non pas de petits fonctionnair
es, mais bien plutôt des membres de l'Administration Intérieure (Binnen-
lands Bestuur, B.B.), fonctionnaires d'élite jouissant de la plus haute consi
dération dans la société indonésienne féodale et coloniale. Le sommet de cette
hiérarchie était constitué des « régents » ou bupati, que les milieux soundan
ais traditionnels appelaient Pangagung ou Pangawulaan, ce qui signifiait tout
simplement qu'il fallait saluer bien bas ces hauts personnages, les porter aux
nues, et les escorter d'une ombrelle d'honneur s'ils marchaient à pied.
Certes, je pouvais deviner l'émotion de Mère et Père, eux qui avaient fait
tant d'efforts pour envoyer leur fils à l'école le plus longtemps possible, mais
avec pour seul résultat un poste d'instituteur au Taman Siswa à 20 florins 49
par mois, où il était constamment surveillé par les agents du pouvoir colonial;
puis il avait fait l'« écrivaillon » dans un journal, où il était toujours guetté
par la prison s'il écrivait de travers. Et finalement, de façon non moins débile,
il avait ouvert une échoppe; et ensuite, il s'était mis à vendre des gâteaux
et du pain. Eh oui! Rien de tout cela n'avait le moindre statut social, si l'on
se référait au modèle séculaire des hauts fonctionnaires ou priyayi qui, dès
avant le royaume de Pajajaran et jusqu'à aujourd'hui, constituaient la classe
la plus respectée. Oui, j'étais parfaitement conscient de cet idéal féodal. Mais
je ne l'étais pas moins de l'appel de Hatta.
A Batavia, nous louâmes une maison à Pejambon, puis à Petojo. Tous les
jours, j'allais en bicyclette à Balai Pustaka, derrière le ministère des finances
et la Société Concordia, à côté de la place Singa, maintenant appelée place
Banteng. Oui, en bicyclette! Tout le monde se déplaçait par ce moyen. C'était
un transport sûr, et bon pour la santé. La circulation n'était pas aussi embout
eillée que dans le Jakarta des années 90. Ou alors je prenais le tram, sans
problèmes. Ou encore j'allais à pied, pour les petites distances.
Nous travaillions dans une vaste salle au toit élevé, entourée de grandes
fenêtres, dont les grilles avaient des barreaux aussi épais que le gros orteil.
Elles étaient toujours grand ouvertes; de sorte que l'air circulait sans diffi
culté, ce qui donnait à l'endroit une agréable fraîcheur, propre au travail de
l'esprit et à la rêverie. Je me suis laissé dire que le lieu avait servi d'écurie
à la cavalerie de l'armée coloniale hollandaise dès l'époque du gouvern

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