Ces bonnes vaches aux yeux si doux - article ; n°1 ; vol.74, pg 217-237
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Description

Communications - Année 2003 - Volume 74 - Numéro 1 - Pages 217-237
Les vaches existent ordinairement sous trois formes : celles des souvenirs enfantins, abondamment reprises dans la littérature ; celles dont les images envahissent les espaces publicitaires ; celles enfin, beaucoup plus discrètes, qui vivent leur vie réelle dans des exploitations agricoles. Une quatrième forme est apparue récemment sur les écrans de télévision : des carcasses poussées dans des charniers par des bulldozers après la destruction des troupeaux pour cause de contamination par un funeste et mystérieux prion. Ce sont ces dernières images qui, en ce qu'elles ont fait voir ce qui était devenu invisible, sont le motif de cet article. Après qu'il eut décrit dans le détail la vie ordinaire d'une vache réelle, et émit l'hypothèse qu'on pourrait la considérer comme un « être vivant technicisé », l'auteur propose de comprendre l'ampleur prise par le phénomène de la vache médiatisée comme étant le prolongement de cette « industrialisation ». Le réseau socio-technique comme condition de possibilité d'existence de la vache réelle doit être étendu au réseau socioculturel qui, en parallèle, tente de faire durer une représentation symbolique largement nostalgique et de plus en plus éloignée des pratiques coqncrètes. Jusqu'à ce que la folie de la vache interroge celle des hommes.
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2003
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mr André Micoud
Ces bonnes vaches aux yeux si doux
In: Communications, 74, 2003. pp. 217-237.
Résumé
Les vaches existent ordinairement sous trois formes : celles des souvenirs enfantins, abondamment reprises dans la littérature ;
celles dont les images envahissent les espaces publicitaires ; celles enfin, beaucoup plus discrètes, qui vivent leur vie réelle dans
des exploitations agricoles. Une quatrième forme est apparue récemment sur les écrans de télévision : des carcasses poussées
dans des charniers par des bulldozers après la destruction des troupeaux pour cause de contamination par un funeste et
mystérieux prion. Ce sont ces dernières images qui, en ce qu'elles ont fait voir ce qui était devenu invisible, sont le motif de cet
article. Après qu'il eut décrit dans le détail la vie ordinaire d'une vache réelle, et émit l'hypothèse qu'on pourrait la considérer
comme un « être vivant technicisé », l'auteur propose de comprendre l'ampleur prise par le phénomène de la vache médiatisée
comme étant le prolongement de cette « industrialisation ». Le réseau socio-technique comme condition de possibilité
d'existence de la vache réelle doit être étendu au réseau socioculturel qui, en parallèle, tente de faire durer une représentation
symbolique largement nostalgique et de plus en plus éloignée des pratiques coqncrètes. Jusqu'à ce que la folie de la vache
interroge celle des hommes.
Citer ce document / Cite this document :
Micoud André. Ces bonnes vaches aux yeux si doux. In: Communications, 74, 2003. pp. 217-237.
doi : 10.3406/comm.2003.2137
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2003_num_74_1_2137André Micoud
Ces bonnes vaches
aux yeux si doux
AVERTISSEMENT
La vache, sous sa forme folle, est venue tout à coup envahir notre
actualité. Et c'est cette irruption qui nous a fait reprendre ici un ancien
projet d'écriture resté depuis plusieurs années dans des cartons, et où
nous nous posions la question : mais qu'est-il donc arrivé aux animaux
industrialisés ? La réponse vient d'être donnée : quelques-uns deviennent
fous. Jusqu'à ce que, peut-être, certains d'entre nous, atteints à leur tour
par la maladie de Creutzfeldt-Jakob, les suivent dans cette déraison.
A moins que cette déraison, d'une autre manière, n'ait commencé depuis
longtemps déjà.
Reprenant le dossier pour une revue qui s'intéresse à la communication,
il nous est apparu que, de ce point de vue, on pouvait distinguer trois
sortes de vaches.
OU IL EST QUESTION
DE TROIS CATÉGORIES DE VACHES
La première catégorie concerne les vaches qui, bien qu'invisibles aux
yeux de chair, sont innombrables en ce qu'elles peuplent les souvenirs
nostalgiques des plus que quinquagénaires. Elles s'appelaient Margot ou
Fleurette et leurs yeux étaient infiniment doux. Elles étaient celles du
grand-père auprès de qui on allait passer des vacances, et le soir, à l'étable,
dont on buvait le lait bourru qui écume dans les seaux. À peine sont-elles
évoquées que l'envie vient de les faire revivre. Burlesques, quand elles
devaient déguerpir à travers prés en jetant vers le ciel leur arrière-train
disgracieux. Placides, quand leurs ruminations pouvaient inspirer des
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méditations métaphysiques interminables. Impudiques, quand leurs bous
es s'esclaffaient dans la cour de la ferme ou quand leurs chevauchements
contre nature intriguaient les petits enfants curieux et craintifs. Et tendant
leurs museaux baveux comme pour quêter un baiser impossible... On
pourrait, dans cette veine, aligner les textes fort nombreux d'auteurs des
générations passées qui se sont essayé à ces efforts de reviviscence ; on en
trouve de beaux extraits dans VAnthologie des textes littéraires sur la
vache x. Qu'il nous soit permis de citer seulement les quelques lignes par
lesquelles Georges Picard, dans Le Vagabond approximatif, commence
un court récit consacré aux vaches du Berry :
On trouve ce que l'on veut dans le regard des vaches. C'est sans doute
pour cette raison qu'elles suscitent la sympathie humaine. Leurs gros
yeux sont des miroirs de compréhension et d'affection. Les vaches
acceptent et pardonnent tout, écoutent les confidences, ménagent notre
susceptibilité et, telles de plantureuses matrones pour lesquelles la vie
est sans complications psychologiques ni détours existentiels, elles n'ont
que leur chaleur animale et leur bon sens champêtre à échanger2.
Toutefois, aussi nombreuses qu'elles puissent être, les vaches de cette
première catégorie resteront toujours secrètes. Leur existence n'est que
celle de l'intimité qui a su les accueillir et qui en garde le souvenir. ,
Tel n'est pas le cas de la deuxième catégorie de vaches : les vaches en
images. Celles-là sont bien visibles. Leurs représentations envahissent de
plus en plus les campagnes... de promotion, non seulement des fromages
et du lait, des yaourts naturels et autres produits fermiers, mais aussi des
terroirs authentiques, dès qualités de la profession d'éleveur, de l'honnêt
eté des grands distributeurs... Beaucoup d'observateurs l'ont déjà remar
qué : la vache, en images, est de plus en plus présente, partout sur les
murs des villes ou dans les magazines.
Dans ces apparitions d'un nouveau genre, un œil plus exercé pourrait
cependant distinguer deux sous-catégories. La première, toujours sur fond
de nostalgie, représente à satiété la vache mythique ou éternelle. Image de
la tranquillité rassurante et de l'abondance toujours renouvelée, elle est là
pour combler l'enfant goulu de son pis généreux. L'accompagne souvent
la crémière accorte qui, quelques mollettes de beurre dans son panier ou
une biche à lait au bras, gambade vers la laiterie. La maternité, la prime
enfance, la jeunesse insouciante, tels sont les ingrédients que l'on trouve de
façon récurrente sur les étiquettes commerciales. Toujours dans cette pre
mière sous-catégorie, « passéiste » pourrait-on dire, est venue s'ajouter
récemment la vache « naturelle ». Celle des alpages par exemple qui, la
tête encore ornée de cornes, se détache majestueusement sur fond de mon-
218 Ces bonnes vaches aux yeux si doux
tagnes enneigées ; comme si elle se savait déjà forte de sa nouvelle légit
imité écologiquement correcte, et touristiquement attirante3.
Plus énigmatique est la seconde sous-catégorie de cette vache prolifé
rante en images : la vache artistique. Tour à tour surréaliste, cubiste,
dadaïste ou psychédélique, affublée de tous les attributs possibles et ima
ginables, c'est la vache de l'imaginaire débridé des jeunes créateurs,
depuis Dubuffet (années 50), dont Alexandre Vialatte a décrit les créa
tures (Vaches mauves et Chronique de la vache étonnée)4, jusqu'à la
Miss Helvetia de Niki de Saint-Phalle, en passant par la pochette de
disque des Pink Floyd (années 70). Comme si sa placidité proverbiale la
rendait infiniment disponible aux multiples métamorphoses que lui font
subir les artistes plasticiens 5. On trouvera un florilège de ces « vaches
folles » dans le magnifique ouvrage Nos vaches, publié avec l'aide du
CIDIL6 par une maison d'édition associative, dont le nom est tout un
programme (Un sourire de toi et j 'quitte ma mère)7. Tout le monde
connaît la première de cette série d'images, intermédiaire entre nos deux
sous-catégories : « La Vache qui rit », due au talent de Benjamin Rabier
et qui, après avoir illustré la boîte du camembert Saint-Hubert produit
en Lorraine dans les années 30, connut un succès foudroyant quand elle
passa chez Bel8. En bref, et comme l'écrivait plus récemment Arte Magaz
ine en annonce de sa soirée thématique consacrée à la vache (« Drôle
ment vache, vaches folles et vaches sacrées », dimanche 23 janvier 1999) :
« Après le Veau d'or, la vache culte : le lymphatique ruminant de nos
pâturages atteint aujourd'hui des sommets de popularité... »
Vient enfin la troisième catégorie de vaches, bien réelles celles-là, mais
devenues presque invisibles, et qui le seraient sans doute restées si l'encé
phalite spongiforme bovine n'en avait révélé l'e

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