Comme les carabiniers : Sur les enjeux politiques des nouvelles techniques de reproduction quant à la famille et à l'individu - article ; n°1 ; vol.36, pg 71-85

Marie-Josèphe Dhavernas

Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1987 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 71-85
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: LES_CAHIERS_DU_GRIF
• Publié le: 01 janvier 1987
• Nombre de lectures: 21
• Langue: Français

Extrait

Marie-Josèphe Dhavernas
Comme les carabiniers : Sur les enjeux politiques des nouvelles
techniques de reproduction quant à la famille et à l'individu
In: Les Cahiers du GRIF, N. 36, 1987. De la parenté à l'eugénisme. pp. 71-85.
Citer ce document / Cite this document :
Dhavernas Marie-Josèphe. Comme les carabiniers : Sur les enjeux politiques des nouvelles techniques de reproduction quant à
la famille et à l'individu . In: Les Cahiers du GRIF, N. 36, 1987. De la parenté à l'eugénisme. pp. 71-85.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1987_num_36_1_1741les carabiniers Comme
Sur les enjeux politiques des nouvelles techniques
de reproduction quant à la famille et à l'individu
Marie- Josèphe Dhavernas
Nul ne m'étonne plus que les personnes - féministes ou
non *- qui s'estiment en mesure de porter un jugement
I. Nouvelles technologies de univoque et global au sujet des NTR1. Leur diversité
la reproduction. d'une part, le considérable enchevêtrement des aspects à
prendre en considération d'autre part, me paraissent in
terdire toute position simple à ce sujet.
Leur diversité : quoi de commun par exemple entre la
FIVETE2, terriblement lourde et coûteuse technique 2. Fécondation in vitro et
transfert d'embryon. ment, psychologiquement, physiquement, économiquemais qui, par elle-même, ne met rien en question
des rapports de sexe et de parentalité 3, et la maternité 3. Tout en portant un coup à
certaines représentations ou de substitution, qui n'a rien de «technique» à propre
associations d'idées, telles que
ment parler, qui n'est, physiquement, pas différente la sexuation de l'opposition in
térieur-extérieur. d'une grossesse ordinaire, qui pose des problèmes psy
chologiques aigus totalement différents de ceux qui exis
tent dans le cas de la FIV, mais qui en revanche, a des
enjeux sociaux considérables et des répercussions symbol
iques majeures quant aux discours sur la paternité et la
maternité, et plus généralement la parenté et la parental
ité ? .
L'hétérogénéité de leurs aspects ensuite : comment pren
dre en compte simultanément les enjeux individuels, so
ciaux, symboliques, économiques, qui ne jouent dans le
4. Insémination artificielle même sens ni entre eux, ni d'une NTR à l'autre ? Ainsi
avec donneur. 71 les enjeux symboliques de l'IAD4 et de la maternité de substitution sont-ils, à un premier niveau, inverses :
1TAD - et c'est sans doute l'une des raisons, bien que ce
ne soit évidemment pas la seule, de la bien moindre dif
ficulté avec laquelle elle est acceptée - s'inscrit parfait
ement dans le cadre traditionnel de la condition de cha
que sexe vis-à-vis de la procréation : maternité
biologique, paternité symbolique et sociale ; tandis que la
maternité de substitution, au contraire, met en cause
l'idée même de maternité, en la dissociant - maternité
utérine, maternité génétique, maternité sociale et symbol
ique - tout en insistant sur le caractère biologique de la
paternité5, et met à mal les deux adages sur lesquels 5. Certes, elle ne donne pas
de garantie sur le géniteur ; reposent les statuts respectifs de la mère et du père :
mais, en déséquilibrant l'oppo « mater semper certa est » et « pater id est quem nuptiae sition dualiste du biologique et
demonstrant », qui ne sont en aucune manière écornés du social dans les rapports des
deux sexes à la procréation, dans le cas de l'IAD.
elle subvertit les catégories
traditionnelles de la pensée
sexiste. Dans le cadre d'une même NTR, comment hiérarchiser
l'importance des différents aspects en jeu, sans les avoir
préalablement distingués et analysés ? Et comment les
séparer de leur contexte précis ? La maternité de substi
tution - la plus problématique de ces nouvelles pratiques
- a-t-elle le même contenu lorsqu'elle est «conviviale»
ou «mercenaire»6? Et comment l'évaluer sans tenir 6. De plus, la difficulté de
distinguer ces deux modes de compte du fait qu'elle comporte à la fois des avantages
maternité de substitution est
et des inconvénients pour les personnes qui s'y prêtent considérable, la rémunération
ne constituant pas à elle seule (et qui, autant qu'on le sache, le font librement), que
un critère suffisant. Cf. n sur le plan symbolique elle a le mérite de subvenir les otamment F. Laborie, « Ceci
catégories traditionnelles de la paternité et de la maternest une éthique ». « Bon dos ?
Bon ventre ? Les mères por ité, mais, sur le plan social, implique un risque de
teuses... », Les Temps Modern contrôle sur les « mères porteuses » et d'exploitation des es, n°* 462 et 463, janvier et
femmes pauvres ou en difficultés financières provisoires ? février 1985.
De plus, l'évaluation est déjà difficile au sein d'une so
ciété donnée ; mais si l'on veut prendre en compte la
diversité des cultures, il faut en tirer les conséquences
encore plus concrètement et dans le détail, sous peine de
se condamner à ne rien dire de pertinent.
Faute de place, je ne pourrai ici entrer dans ces détails
72 et examiner cas par cas les conséquences (probables) multiples et complexes de chacun des nouveaux modes
de procréation ; aussi me contenterai-je de survoler rap
idement quelques bases les possibilités sociales auxquelles
pourraient donner lieu certains d'entre eux - le don de
gamètes et la maternité de substitution - et de souligner
l'abîme qui existe entre la pratique actuelle, avec le dis
cours qui la légitime, et ces possibilités, pour lesquelles à
mon sens devrait se mobiliser un féminisme cohérent
avec ses positions originelles sur la question de la famille
et sur celle de l'individu. Certes, cet aspect n'est pas le
seul qui entre en ligne de compte ; les aspects socio-éc
onomique (risques d'exploitation corporelle dans la matern
ité de substitution...), institutionnel (médicalisation),
symbolique (assignation de sexe par rapport à la condi
tion reproductive) n'ont pas moins d'importance ; mais il
faut bien sérier les problèmes, si l'on veut tenter de sor
tir de la situation régnante, où l'on passe allègrement
d'un niveau à un autre, en invoquant à tour de rôle et
dans la même foulée le social, le psychologique, le symb
olique, l'économique, le droit et l'éthique, comme s'il
existait une hamonieuse unité entre ces points de vue
divers, et comme si tout phénomène humain n'était pas
traversé de contradictions. Si je donne la priorité provi
soire à un certain aspect, c'est qu'en l'état actuel de l'e
xpérience que l'on a de ces techniques, il me semble net
tement moins spéculatif que les autres. C'est aussi que
les questions de la famille et de l'individu ont jusqu'à
présent, dans le mouvement des femmes, fait l'objet d'un
certain consensus, ce qui n'est pas le cas de la caractéri-
sation de la maternité ou des rapports entre le corps et
la technique ; il me semble plus opportun en l'occurrence
de chercher à tirer les conséquences de nos points d'ac
cord que d'essayer de trouver une convergence d'object
ifs sur la base de nos désaccords...
Il me paraît essentiel de distinguer les différents possi
bles ouverts par les NTR, c'est-à-dire les potentialités
recelées par l'intervention de l'artifice en matière de pro
création, de l'actualisation qui est faite de certaines
d'entre elles - et bien évidemment pas n'importe lesquel- 73 les -n dans les sociétés où elles sont mises en uvre (ou
plus exactement, en France, où les différences avec les
pays anglo-saxons semblent être assez significatives).
Car, parmi l'éventail des situations rendues imaginables
par l'émergence de ces techniques, certains choix sont
opérés par ceux qui sont en mesure de décider ; or, ces
choix ne pourront être contestés valablement que s'ils
sont analysés dans le cadre des pratiques actuelles et de
leurs enjeux à court et moyen terme (la prévision à long
terme étant impossible, si ce n'est pas l'intermédiaire de
la voyance extra-lucide et autres activités magiques dont
la vogue, hélas