Comment la personne se construit en mangeant - article ; n°1 ; vol.31, pg 107-118
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Description

Communications - Année 1979 - Volume 31 - Numéro 1 - Pages 107-118
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1979
Nombre de lectures 61
Langue Français

Extrait

Matty Chiva
Comment la personne se construit en mangeant
In: Communications, 31, 1979. pp. 107-118.
Citer ce document / Cite this document :
Chiva Matty. Comment la personne se construit en mangeant. In: Communications, 31, 1979. pp. 107-118.
doi : 10.3406/comm.1979.1472
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1472Chiva Matty
Comment la personne
se construit en mangeant
L'évolution de la sensation gustative, son rôle, sa place dans la genèse
de la personne ainsi que dans l'établissement des conduites alimentaires
normales et déviantes, constituent un domaine dans lequel nos connais
sances sont nombreuses, foisonnantes, mais aussi mal organisées et, sur
certains plans, étrangement lacunaires. Cela tient probablement à de mult
iples facteurs, et en premier lieu au fait que les conduites alimentaires
sont des conduites obéissant à des déterminismes nombreux et intriqués.
Tenter de les saisir, tenter de comprendre leur place dans l'ontogenèse
de l'être humain est une tâche ardue car faisant appel à des notions issues
de disciplines différentes et d'horizons variés.
. La saveur d'un mets est, en fait, une donnée complexe. Elle met en jeu
à la fois la sensibilité gustative, l'olfaction, la perception thermique, la
stéréognosie buccale ainsi que la perception de la texture des aliments.
La perception visuelle intervient également en permettant, notamment,
d'anticiper la saveur du mets et en nous renvoyant à un autre registre de la
personnalité : d'une part, celui qui comporte surtout les apprentissages et
expériences antérieures, d'autre part, l'élaboration symbolique et fantas
matique du réel.
De ce fait, isoler le goût, au sens physiologique du terme, c'est opérer,
de toute évidence, une réduction considérable. C'est pourtant ce que je
propose — en toute connaissance de cause — pour commencer, sur le plan
expérimental, à démêler quelque peu cet écheveau inextricable de données se
situant à des plans si différents.
Les travaux concernant le goût et l'odorat sont étonnamment peu nom
breux par rapport aux recherches portant sur d'autres modalités sensor
ielles, la vision en particulier. Cela tient surtout à deux facteurs d'ordre
fort différents :
— Le premier est un problème méthodologique, concernant les modalités
d'investigation : il nous a fallu ainsi attendre certaines avances techniques
pour que la recherche soit possible.
— Le second serait, selon Gorman (1964), un problème de censure : le
contexte culturel et social de nos sociétés, occidentales en particulier,
aurait rejeté et censuré ces deux modalités sensorielles, car plus « basses »
et /ou plus a animales ». Si le goût est quelque peu réhabilité, de façon
détournée à travers les coutumes culinaires, l'odorat, qui joue un rôle
important, notamment dans les conduites sexuelles, a été bien plus fortement
107 Chiva Matty
réprimé. Ceci à telle enseigne que dans la société actuelle, « sentir bon »
c'est ne pas sentir du tout ou sentir une odeur artificielle, bonne car
créée et choisie (d'où, conjointement, les parfums et les déodorants).
Quoi qu'il en soit, les données à notre disposition dans les domaines
de ces deux modalités sensorielles sont fragmentaires et peu satisfaisantes.
On a affaire soit à des données issues des recherches biophysiologiques,
extrêmement précises mais parcellaires et rendant rarement compte des
phénomènes au niveau de l'ensemble de l'organisme, soit, à l'opposé,
à des considérations générales, constructs théoriques souvent séduisants
mais rarement (et difficilement) vérifiés ou vérifiables au niveau de leur
déterminisme organique. C'est pourquoi une troisième approche me paraît
souhaitable, telle que l'ont préconisée déjà Kalmus et Hubbard (1960) :
aborder ces problèmes d'une façon moins détaillée que ne pourrait (et
devrait) le faire l'expérimentaliste dans son laboratoire, mais à la condition
que cette approche puisse être reliée directement à un contexte réel, lui
donnant, comme dans l'approche éthologique, sa signification.
Si la sensation gustative constitue, à mon sens, l'une des voies les plus
fécondes pour la compréhension de la genèse des conduites alimentaires,
cela tient essentiellement aux quatre points suivants :
1. La sensation gustative est relativement pauvre et ne comporterait
que quatre sensations de base : salée, sucrée, acide et amère.
Mais la gustative, qui, comme toute modalité sensorielle, joue
un rôle d'information quant au monde environnant l'organisme, a, de
plus, une autre qualité spécifique : le retentissement affectif de l'information.
En effet, toute sensation dans ce domaine n'est pas seulement identifi
cation, reconnaissance du stimulus, mais aussi, simultanément, réaction
émotionnelle à l'égard de ce stimulus.
Cela s'expliquerait par les caractéristiques anatomo-physiologiques de
cette modalité sensorielle, et notamment par les nombreuses projections
au niveau rhinencéphalique, zone de régulation de l'humeur au niveau
central du système nerveux.
Cette qualité affective est, pour Le Magnen (1951), une véritable qualité
spécifique de la sensation gustative (et olfactive également) : il ne s'agit pas
dans ce cas de significations émotionnelles surajoutées, à caractère avant
tout associatif ou psychologique, mais d'une qualité fonctionnelle intrin
sèque, non raisonnée, et dont l'importance est très grande, dans la pers
pective qui nous intéresse.
2. Le récepteur sensoriel de base est le bourgeon gustatif , siège des cellules
sensorielles. Ces cellules ont une durée de vie assez brève et sont sans cesse
renouvelées (environ toutes les cent heures, selon Beidler, 1971). Localisés
chez l'adulte surtout sur la langue, les bourgeons gustatifs sont beaucoup
plus nombreux chez le nouveau-né et tapissent pratiquement toute la
cavité buccale pour régresser ensuite peu à peu. Les études dont on dispose
jusqu'à présent ne nous permettent pas de savoir avec certitude si leur
nombre et leur localisation, chez le nouveau-né et le jeune enfant, vont de
pair avec une modification ou une évolution de la sensibilité gusta
tive.
Or, cela pourrait avoir une importance majeure dans l'établissement
des habitudes alimentaires précoces et dans l'établissement des relations
108 Comment la personne se construit en mangeant
avec autrui. A la limite, si les bourgeons gustatifs sont peu fonctionnels
au début de la vie, on pourrait dire que l'on nourrit l'enfant non pas en
fonction de ses goûts mais de ceux de ses parents. Bien plus, cela nous
oblige éventuellement à reformuler certains aspects de la théorie de l'oralité,
élément important dans la perspective ontogenétique qui nous intéresse
ici.
3. La sensibilité gustative, c'est-à-dire l'aptitude à sentir et discriminer
les diverses stimulations sapides, semble être avant tout une fonction
(ou « aptitude ») individuelle. La courbe évolutive développementale,
depuis la naissance, serait assez brève, les différences se manifestant
bien plus tôt que dans d'autres domaines.
Ceci est très probablement en directe relation avec l'extrême variabilité
de la sensibilité gustative individuelle. On sait en effet, et ceci déjà depuis
les études relativement anciennes de Blakeslee et Salmon (1935), que les
différences des seuils sensoriels (c'est-à-dire les plus petites quantités
pour que la sensation soit perçue) sont très importantes, selon les individus
et selon les substances sapides, pouvant varier, chez l'adulte, de 1 à 500.
Enfin, en restant dans le même domaine, il convient de souligner qu'il
n'existerait pas de lien direct et univoque, obéissant à une loi générale,
entre le seuil perceptif et le seuil de ce préférabilité ».
Le seuil de « préférabilité » indique la concentration, obligatoirement
supraliminaire, d'une solution jugée agréable. Actuellement, il apparaît
que ce seuil est avant tout une fonction individuelle, que certains auteurs
n'hésitent pas à qualifier d'« indice d'hédonisme » (ce qui fa

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