Critiques du progrès et pensées de la décadence. Essai de clarification des visions de l histoire - article ; n°1 ; vol.14, pg 15-39
26 pages
Français

Critiques du progrès et pensées de la décadence. Essai de clarification des visions de l'histoire - article ; n°1 ; vol.14, pg 15-39

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
26 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Mil neuf cent - Année 1996 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 15-39
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre-André Taguieff
Critiques du progrès et pensées de la décadence. Essai de
clarification des visions de l'histoire
In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp. 15-39.
Citer ce document / Cite this document :
Taguieff Pierre-André. Critiques du progrès et pensées de la décadence. Essai de clarification des visions de l'histoire. In: Mil
neuf cent, N°14, 1996. pp. 15-39.
doi : 10.3406/mcm.1996.1149
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1996_num_14_1_1149Critiques du progrès
et pensées de la décadence
Essai de clarification
des visions de l'histoire
PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF
Comment comprendre l'articulation entre les différentes
conceptions de l'histoire fondées respectivement sur l'idée de
« progrès » ou sur celle de « décadence » , — notions naïvement
reçues — , et classées sommairement en « optimistes » et « pessi
mistes » ? Ne convient-il pas de distinguer plusieurs conceptions
du «progrès», plusieurs manières de penser la «décadence»
(qui peut, par exemple, être perçue comme finale ou transitoire),
et surtout plusieurs façons de professer l'« optimisme » ou le
« pessimisme » ? Il faut dégrossir les notions et affiner les
distinctions entre les « ismes ».
Pour clarifier ces questions, et montrer quelques-unes des diffi
cultés qu'elles font surgir, il nous paraît fécond de commencer
par distinguer plusieurs types de critiques de l'idée de progrès,
ou, plus précisément, diverses postures critiques vis-à-vis des
visions « progressistes » de « l'histoire », ou de « la civilisation ».
Cet inventaire nous permettra de déterminer quatre conceptions
fondamentales de l'histoire, ou quatre visions idéal-typiques
dont dérivent les philosophies de l'histoire dans la modernité.
Dans une deuxième partie, nous proposerons deux illustrations
de la critique de style « progressiste » du « progrès », tel qu'il
avait été conceptualisé à la fois par l'école positiviste, dans le
sillage de Saint-Simon et d'Auguste Comte, et, surtout, par
l'évolutionnisme spencérien. Le principe de la première critique
« progressiste » , conduite par André Lalande dès ses travaux
philosophiques et épistémologiques initiaux (1893-1899), réside
dans une réinterprétation suivie d'une redéfinition du « progrès » :
plutôt qu'une différenciation croissante (Herbert Spencer), le
progrès serait une assimilation croissante. Quant à la seconde
critique « progressiste », elle se fonde sur l'argument, de style
15 que le progrès indéfini et nécessaire revient à instru- kantien,
mentaliser les personnes humaines, lesquelles sont des fins en
soi, et à ce titre dignes de respect. On la rencontre notamment
chez Dominique Parodi, auteur d'un mémoire sur « l'idée du
progrès universel » (1900). Si la première critique illustre le rejet
de toute naturalisation biologisante du progrès, la seconde met
l'accent sur le caractère moralement irrecevable de Y historicisme
impliqué par l'idée moderne de progrès. Nous esquisserons enfin,
dans une troisième partie, les principaux motifs de la récusation
radicale du progrès en tant qu'« utopie », telle qu'on la rencontre
dans l'œuvre du principal théoricien français de l'eugénique
raciale, Georges Vacher de Lapouge (1854-1936), dès ses confé
rences de Montpellier (1888-1890). On illustrera ainsi la critique
auti-progressiste de la vision nécessitariste et optimiste du
« Progrès dans l'histoire ».
Esquisse d'une typologie des visions de l'histoire
Une première grande partition des critiques possibles du
progrès se fonde sur la position, progressiste ou anti-progressiste,
de l'énonciateur de la critique.
1. La critique progressiste du progrès, c'est-à-dire la critique
du progrès faite par ceux qui croient au progrès, ou veulent y
croire. Il s'agit d'une critique rectificatrice ou réformiste, about
issant à une redéfinition du progrès. Critique interne, si l'on
veut. On critique ainsi les représentations inadéquates du progrès,
les mauvais usages de la référence au progrès ou encore les
«illusions du progrès». Mais c'est pour mieux repenser le
progrès, en vue de fonder solidement la thèse du progrès dans
l'histoire, ou de définir les conditions de possibilité d'un progrès
futur (par l'éducation, la révolution ou l'eugénisme). Cette
posture critique face à l'idée de progrès peut déboucher soit
sur un nouveau progressisme dogmatique, illusoirement établi
sur un déterminisme ou naïvement fondé sur l'expérience, soit
sur une vision criticiste du progrès comme postulat de la raison
pratique, comme « disposition morale » de l'espèce humaine
(Kant) 1, ou comme objet d'un devoir, voire d'un espoir —
lui-même doté d'un caractère moral.
1. E. Kant, Le conflit des facultés (1798), 2e section, tr. fr.
J. Gibelin, Paris, Vrin, 1955, p. 101 (l'accueil fait à la Révolution
française révèle, selon Kant, cette « disposition morale », ou
16 sa version classique illustrée par la philosophie de Dans
Leibniz, la vision optimiste du progrès indéfini, nécessaire et
constant vers le mieux (ou dans la voie du Bien) est qualifiée
par Kant d'« eudémoniste » 2. Elle se retrouve, sous une autre
forme, dans la philosophie hégélienne de l'histoire, dans la
conception positiviste de la marche progressive de la civilisation,
selon la loi des trois états (Auguste Comte), ou encore dans la
philosophie évolutionniste de Spencer. Les critiques progressistes
du progrès, à la fin du xix* siècle, ont précisément visé les
systèmes de Leibniz, de Hegel, de Comte, de Marx ou de Spencer
— attaqués pour leur optimisme, leur providentialisme ou leur
déterminisme. Et souvent, selon une inspiration kantienne —
comme chez Charles Renouvier3 ou Dominique Parodi.
Ces critiques réformistes de l'idée de progrès consistent pour
l'essentiel à en dédogmatiser les usages théoriques : le modèle
d'un « Progrès » global, somme harmonieuse de tous les progrès
(ou, comme chez Condorcet, de tous les ordres de progrès) 4,
est abandonné, le « Progrès » étant ainsi déglobalisé ; et corré
lativement, ses approches passent de la modalité du nécessaire
(le progrès qui « ne-peut-pas-ne-pas-être ») à celles du possible
(le qui « peut être ») et du contingent (le progrès qui
« peut ne pas être »). Possible, et non plus nécessaire, le progrès
doit être voulu : l'amélioration indéfinie, pour devenir réelle, être mise en œuvre par l'espérance, l'intelligence prospective
et la volonté. Le progrès est l'œuvre de l'homme qui agit et
fabrique, et non pas un phénomène naturel contemplé par
l'homme qui pense. Le méliorisme 5 est un volontarisme, qui
s cette aptitude à être cause du progrès vers le mieux et [...] à en
être l'artisan », p. 99) .
2. Ibid., p. 95-97.
3. Voir notamment Charles Renouvier, Introduction à la philo
sophie analytique de l'histoire, Paris, Leroux, 2e éd., 1896 ; Id.,
Philosophie analytique de l'histoire, Paris, Leroux, 1896-1897,
4 vol. Sur la critique de l'idée de progrès, voir Octave Hamelin,
Le système de Renouvier, Paris, Vrin, 1927, p. 421 sq. ; Paul
Mouy, L'idée de progrès dans la philosophie de Renouvier, Paris,
Vrin, 1927, p. 37 sq.
4. Voir Isaiah Berlin, Eloge de la liberté, tr. fr., Paris, Pocket,
1990, p. 213 sq.
5. James Sully introduit, en 1876, le terme de « méliorisme »
pour désigner « une conception pratique qui se trouve comme
moyen terme entre les extrêmes de l'optimisme et du pess
imisme », et en définit ainsi le contenu : « La foi qui n'affirme
pas simplement notre pouvoir de diminuer le mal [...] mais aussi
notre habileté à accroître la somme du bien positif» (Le pessi-
17 comme tel aux formes progressistes et décadentistes s'oppose
du nécessitarisme historique, lequel n'offre nul espa

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents