De la langue de Corneille [second article]. - article ; n°1 ; vol.22, pg 401-421
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Description

Bibliothèque de l'école des chartes - Année 1861 - Volume 22 - Numéro 1 - Pages 401-421
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1861
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Charles Marty-Laveaux
De la langue de Corneille [second article].
In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1861, tome 22. pp. 401-421.
Citer ce document / Cite this document :
Marty-Laveaux Charles. De la langue de Corneille [second article]. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1861, tome 22. pp.
401-421.
doi : 10.3406/bec.1861.445759
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1861_num_22_1_445759о'- Т.
DE
'
LA LANGUE DE CORNEILLE
Rien ne serait si facile , comme on Га remarqué plus d'une
fois , que de suivre dans le théâtre de Corneille le progrès des
mœurs publiques ou du moins des convenances extérieures.
Plus chaste, dès son début, que la plupart des poètes dramat
iques de son temps , il avait néanmoins écrit dans ses premières
pièces, et notamment dans Clitandre, certaines scènes qu'il re
trancha soigneusement plus tard comme ne répondant pas à la
dignité qu'il avait su donner à la comédie , et dont il s'applaudit
avec un si juste orgueil à la fin de Y Illusion comique. Plusieurs
des mots dont notre auteur s'est servi dans ses premiers ou
vrages, suffiraient à eux seuls pour témoigner de la licence du
théâtre au moment où il les écrivait; il parle de maîtresse en
grossée, de fille forcée, sans jamais chercher à adoucir par le
choix de l'expression ce que l'idée a de choquant. Il faut recon
naître néanmoins que certaines de ces privautés de langage, loin
de prouver contre la pureté des mœurs de cette époque, en sup
posent, au contraire, une fort grande; les jeunes filles traitent
ouvertement ď amants ceux qui les courtisent: elles les tutoient
jusque dans Horace et le Menteur, sans que cela excite un sou
rire; enfin Corneille employait , même dans la tragédie , l'expres
sion faire une maîtresse , qui s'appliquait alors à une recherche
honorable, et ne sentait point le libertinage. Ce dernier mot , chose
plus étrange, et ceux de libertin et de licencieux, n'avaient pas
le sens que nous leur donnons aujourd'hui ; ils désignaient seule
ment une certaine indépendance, une certaine liberté dans la
manière de penser ou d'écrire, et notre auteur ne les emploie
que comme termes de poétique.
Le vocabulaire de la galanterie était dès lors très-étendu et
1. Voyez le commencement de ce travail, plus haut, p. 209.
II. (Cinquième série. ) 27 402
très-raffiné. Ce n'est pas Bélise qui a inventé d'appeler les yeux
des truchements; cette expression paraît dans Mélite et se trouve
encore dans Suréna ; quant au mot objet, on le rencontre à chaque
instant , non-seulement pour signifier^ la personne aimée elle-
même , mais pour désigner son apparence extérieure , son as
pect, son image :
Angélique est fort dans ta pensée.
— Hélas ! c'est mon malheur ; son objet trop charmant ,
Quoy que je puisse faire, y régne absolument.
(La Place royalle, I, iv, 4.)
Ces ternies viennent pour la plupart de YAstréeyoù on lit aussi
particulariser une personne, en faire sa particulière dame, tour
nure qui a donné naissance à l'expression ma particulière , en
core fort en usage dans nos régiments.
Non content de se servir de ces termes dans la comédie , Cor
neille les place dans la bouche des personnages de l'antiquité. Il
commet la même faute à l'égard des formules habituelles de la po
litesse de son temps, qu'il introduit, sans y prendre garde, dans
ses tragédies; il y est très-souvent question de civilités, d'inci
vilité, de compliments , de visites; on y parle de la condition des
personnages , et on les appelle toujours monsieur, madame ou
seigneur. Corneille cependant a été moins loin dans cette voie que
ses prédécesseurs ; dans les Juives de Garnier, Amital dit à Nabu-
chodonosor (III, 72) :
Las ! n'est-ce rien souffrir quand un royaume on perd!
Sire, Dieu vous en garde.
et les divers titres honorifiques de nos princes sont ainsi trans
portés dans les temps anciens.
On est un peu plus surpris de voir dans Mélite, par une bizar
rerie toute contraire , Éraste qui , pendant un accès de folie , se
croit poursuivi par toutes les divinités infernales, et invoque les
dieux comme un païen pourrait le faire ; mais c'était encore là
une tradition, trop fidèlement suivie par Corneille. Dans l'Eu
gène de Jodelle, le principal personnage n'en agit pas autre
ment (III, 11).
О Jupiter! que sommes-nous?
Pouvons-nous rien île nous promettre? 403
s'écrie-t-il dans un moment d'abattement, soit que les poètes
d'alors aient contracté cette habitude par la traduction des au
teurs profanes , soit qu'elle ait eu une sorte de fondement réel ,
et que dans la société de cette époque , imbue de la connaissance
de l'antiquité, les expressions par Jupiter, par les Dieux, aient
eu réellement cours dans la conversation , précisément pour évi
ter des jurons plus en rapport avec nos croyances , et par cela
même plus répréhensibles.
Les mots qui désignent les différentes classes de personnes
méritent attention. Quant à la forme, ils sont les mêmes qu'au
jourd'hui; mais quant à la signification, ils sont entièrement dif
férents. C'est en pareil cas surtout qu'il importe d'oublier ce que
l'on sait, et de ne juger du sens d'une expression que par celui
de la phrase entière. Rien ne trompe davantage les Français
médiocrement lettrés , persuadés bien gratuitement qu'ils con
naissent leur langue, et plus déroutés souvent que les étrangers
qui doutent et cherchent.
Au dix-septième siècle, pour être honnête homme la probité ne
suffisait pas; c'était même, à tout prendre, la moins néces
saire des qualités requises; on devait d'abord être du monde,
c'est-à-dire en connaître le ton et le langage; puis avoir de
l'esprit, de la grâce, de la tournure; eniin répondre à un idéal
que bien des contemporains se sont efforcés de définir, mais
dont ils n'ont jamais pu indiquer que les traits principaux.
Les gens de lettres formaient une classe toute nouvelle, qui
n'était généralement désignée sous ce nom que depuis peu de
temps, bien qu'il paraisse déjà dans les Commentaires de Biaise
deMontluc; les jeunes gens qui fréquentaient les cours des écoles
ne s'intitulaient pas étudiants, et souffraient qu'on les appelât
écoliers ; Je mot artisan était appliqué par la Fontaine aux
peintres , par Boileau aux sculpteurs et par Corneille aux poètes ;
et le terme d'ouvrier se disait alors fort bien d'une personne
habile dans une profession difficile, et à laquelle on accorderait
aujourd'hui sans conteste le titre d'artiste. Les marchands par
laient de leur chalandise, et le désir d'employer des expressions
plus relevées ne leur avait pas encore suggéré la malheureuse
pensée de se servir des mots de clientèle et de clients , et de se
faire ainsi les patrons de leurs acheteurs.
Quelques termes d'ajustements qu'on trouve dans Corneille
pourraient embarrasser un instant : le tababord était une sorte
27. 404
de chapeau employé sur mer et en voyage ; la petite-oie , une
garniture d'habit; le galant, un nœud de ruban ; du reste il suffit
de lire la dernière scène des Mots à la mode de Boursault , pour
se convaincre que certaines parties du costume des femmes por
taient parfois des noms encore beaucoup plus singuliers.
Ce n'est pas seulement sur les dénominations de ce genre que
la mode exerçait son empire ; elle changeait tout à coup la signi
fication d'un terme étranger à son domaine et datant des origines
mêmes de la langue. Jadis le mot mande s'appliquait à toute es
pèce d'aliments ; mais à la fin du seizième siècle , la cour, comme
nous l'apprend Nicot, introduisit la coutume d'en limiter la s
ignification et de la restreindre à la nourriture animale , désignée
jusqu'alors par le mot chair; Corneille et nos autres grands
écrivains tentèrent vainement de lui maintenir un sens plus
large : le caprice l'emporta sur la raison.
Si l'examen des œuvres de Corneille facilite singulièrement
l'étude de la formation du style noble et la connaissance des
acceptions particulières de certains mots pendant le cours du dix-
septième siècle, il nous découvre au

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