Du peuplement pénal de l Amérique française aux XVIIe et XVIIIe siècles : hésitations et contradictions du pouvoir royal en matière de déportation - article ; n°1 ; vol.85, pg 67-94
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Du peuplement pénal de l'Amérique française aux XVIIe et XVIIIe siècles : hésitations et contradictions du pouvoir royal en matière de déportation - article ; n°1 ; vol.85, pg 67-94

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Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest - Année 1978 - Volume 85 - Numéro 1 - Pages 67-94
28 pages

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Publié le 01 janvier 1978
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Langue Français
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Extrait

Charles Frostin
Du peuplement pénal de l'Amérique française aux XVIIe et
XVIIIe siècles : hésitations et contradictions du pouvoir royal en
matière de déportation
In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 85, numéro 1, 1978. pp. 67-94.
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Frostin Charles. Du peuplement pénal de l'Amérique française aux XVIIe et XVIIIe siècles : hésitations et contradictions du
pouvoir royal en matière de déportation. In: Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest. Tome 85, numéro 1, 1978. pp. 67-94.
doi : 10.3406/abpo.1978.2924
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/abpo_0399-0826_1978_num_85_1_2924Du peuplement pénal
de l'Amérique française
aux XVIIe et XVIIIe siècles
hésitations et contradictions
du pouvoir royal
en matière de déportation
par Charles FROSTIN
J'ai lu, depuis trois jours, plus d'ordonnances et de déclarations
sur les gueux et fainéans qu'il n'en faut pour en purger le royaume
si elles étaient bien exécutées, constatait en 1700 le Contrôleur géné
ral des Finances Chamillart (1), manifestement sceptique sur l'eff
icacité de l'abondante législation royale prise à rencontre des margi
naux. Cette législation, Jacques Depauw a essayé récemment d'en
démêler l'écheveau, s'efforçant notamment d'expliciter la mouvante
catégorisation « mendiants-vagabonds » (2) depuis l'Edit de création
de l'Hôpital Général d'avril 1656 jusqu'à la Déclaration du 18 juillet
1724 qui fixera pour quarante ans la répression de la mendicité et
du simple vagabondage. Encore s'est-il gardé de descendre au niveau
de l'application qui ne fait qu'ajouter à l'ambiguïté des textes, telle
cette sorte de consultation juridique donnée par le subtil Chancelier
de France Louis de Pontchartrain aux membres du Présidial de
Bourg-en-Bresse, le 12 février 1700 : Je ne crois pas que vous -fassiez
rien qui soit contraire aux intentions de Sa Majesté en n'observant
pas à la lettre les déclarations faites contre les mendiants. Il n'y a
point d'exemple qu'on ait prononcé eux la peine des galères
portée dans les déclarations. L'intention du Roi n'a point été de les
astreindre à cette sévérité, mais plutôt d'intimider les mendiants,
de les engager par là au travail. Ainsi vous pouvez suivre dans vos
jugements ce que votre conscience inspirera, sans que les
termes de la loi vous gênent jusqu'au point de craindre d'y contre
venir en prononçant des peines plus légères que celles qu'elle pro- ANNALES DE BRETAGNE 68
nonce (3). Et comment ne pas devenir perplexe lorsque, l'année
suivante, on voit le secrétaire d'Etat à la Maison du Roi, Jérôme
de Pontchartrain, propre fils du Chancelier, rappeler le Procureur
Général du Parlement de Paris à la stricte observance d'une nouv
elle déclaration royale du 25 juillet 1700 prescrivant de faire arrêter
et conduire en prison les mendiants « pour être condamnés aux
peines y portées », peine où figurait précisément la condamnation
des « mendiants valides » à cinq ans de galères à la première réci
dive de mendicité (4).
Cette attitude complexe et parfois contradictoire du pouvoir
se retrouve plus particulièrement dans l'un des aspects trop sou
vent négligés de la répression frappant les « classes dangereuses »
du royaume à la fin du XVIIe siècle et au début du xviii" siècle :
il s'agit de la « transportation » aux colonies, c'est-à-dire en
Amérique où se trouvait le gros des possessions françaises avec
le Canada, la Louisiane et surtout les Antilles. Aspect pourtant
loin d'être négligeable car il ouvre sur une vaste problématique
associant le peuplement pénal et para-pénal du Nouveau Monde
au comportement — combien révélateur — de l'homme européen
transplanté. L'émigration n'a-t-elle pas, en jetant sur les rivages
américains nombre d'asociaux et d'inadaptés, propagé par-delà
l'Océan instabilité et délinquance, comme le suggèrent, à première
vue, les multiples ordonnances ou arrêts des Administrateurs et
Conseils Supérieurs coloniaux qui, version ultramarine des régl
ementations métropolitaines, visent à juguler le fléau de l'errance,
source de « libertinage » et de « fainéantise ». Voyons, par exemple,
pour la « Partie française de Saint-Domingue » qui était le plus
vaste et le moins contrôlé de nos établissements antillais, la suc
cession de mesures adoptées sur place contre un vagabondage per
sistant chez les « petits Blancs » (5) jugé par les autorités locales
comme au moins aussi dangereux que le traditionnel « marronage »
chez les Nègres esclaves (6) : arrêt du Conseil Supérieur du Cap
du 21 novembre 1701 stipulant que « les Edits, Ordonnances et
Déclarations de Sa Majesté » au sujet du vagabondage et de la
mendicité « seront exécutés de point en point » et interdisant
« à toutes sortes de personnes, de quelque qualité et condition
qu'elles puissent être, de donner asile ni souffrir chez eux aucuns
mendiants errants, vagabonds et gens sans aveu » (7) ; ordonnance
du gouverneur Blénac et de l'intendant Mithon ,du 24 janvier 1714,
prescrivant de « faire emprisonner sur le champ les vagabonds
et gens sans aveu pour être distribués aux habitants (8) où ils
serviront d'Engagés » (9) ; ordonnance des deux mêmes administ
rateurs, du 7 octobre 1716, faisant défense « de donner asile à
aucun Blanc inconnu » sous peine d'amende (10) ; arrêt du Conseil
Supérieur de Léogane, du 10 juillet 1721, interdisant aux « habi
tants » de donner l'hospitalité aux « passants » non porteurs de
passeports des commandants de quartier et obligeant les « caba-
retiers » hébergeant les « personnes non domiciliées » à les déclarer
aux commandants de quartier dans un délai de trois jours (11) ;
enfin, ordonnance du gouverneur Sorel et de l'intendant Duclos, ANNALES' DE BRETAGNE 69
du 22 septembre 1721, défendant de « retirer (12) ni donner asile
à aucun Blanc, même pour une nuit, s'il n'est muni d'un passe
port » (13). Et, par la suite, malgré tant de précautions, malgré
aussi l'extension des défrichements accompagnée d'une meilleure
emprise de l'administration, le vagabondage semble encore avoir
gagné : en 1736, on s'inquiète de la prolifération des « gens des
bois » rôdant dans le quartier très habité du Cap, comme, une
quarantaine d'années plus tard, vers 1770, du nombre croissant
de Blancs, « gens sans état et sans aveu », errant dans les cam
pagnes ou encombrant les agglomérations (14).
Certes d'importants facteurs internes ne furent pas étrangers
à cette intensité du vagabondage, telles la désertion chez les « enga
gés », les matelots, les soldats, s'échappant de leur plantation,
de leur navire ou de leur garnison, la fuite vers les quartiers
reculés de mauvais sujets désireux de se soustraire à des pours
uites judicaires, la ruine de petits planteurs de tabac ou d'indigo
écrasés par le triomphe de l'économie sucrière, ou encore la con
currence de la catégorie montante des « Libres » — Mulâtres et
Nègres affranchis — réduisant au chômage les jeunes gens venus de
France à la recherche d'un emploi subalterne. Mais, sans sous-
estimer ces diverses causes de turbulence, on ne saurait trop
souligner les effets déstabilisants provoqués sur la société colo
niale par le flot de l'immigration pénale officielle, avec ses fournées
de galériens, de faux-sauniers, de bannis et de filles publiques, et
par celui de l'immigration para-pénale, avec ses passages individuels
de fils de famille dévoyés, de faillis obérés de dettes et autres indé
sirables s'embarquant sous la pression de leur entourage : deux
flots, le premier, intermittent au gré des fréquentes variations
de l'attitude gouvernementale en matière de déportation, le second,
plutôt un lent ruissellement mais continu au fil des départs

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