Équilibre paradoxal : sédentarité et sacralité chez les nomades marins moken - article ; n°2 ; vol.79, pg 103-130
29 pages
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Description

Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient - Année 1992 - Volume 79 - Numéro 2 - Pages 103-130
28 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jacques Ivanoff
Équilibre paradoxal : sédentarité et sacralité chez les nomades
marins moken
In: Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 79 N°2, 1992. pp. 103-130.
Abstract
Paradoxical Equilibrium: the Sedentary and the Sacred in the Life of the Moken Sea Nomads
by Jacques Ivanoff
The few thousand Moken sea nomads of the islands of the Mergui archipelago are subject to seasons which impose alternating
nomadic and sedentary periods. Their rituals, and in particular the festival of the Spirit Poles, enable them to master this
challenge to their ideology of mobility and leads to the development of a religious hierarchy dominated by a shaman. His
communication with the invisible world draws together the Moken scattered in small fleets during the dry season an activates a
feeling of unity. The rituals become the federating element by which their nomadic identity is reaffirmed. The annual festival is
also the occasion for paying off ritual "debts" which have been accumulated during the dry season. It thus prepares the Moken for
the difficult rainy season, when they are in danger of lapsing back into the sedentary ways of their pre-nomadic ancestors.
Citer ce document / Cite this document :
Ivanoff Jacques. Équilibre paradoxal : sédentarité et sacralité chez les nomades marins moken. In: Bulletin de l'Ecole française
d'Extrême-Orient. Tome 79 N°2, 1992. pp. 103-130.
doi : 10.3406/befeo.1992.1874
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/befeo_0336-1519_1992_num_79_2_1874Équilibre paradoxal : sédentarité et sacralité
chez les nomades marins moken
Jacques IVANOFF
I. La fête des Poteaux aux Esprits
/. Morphologie sociale et alternance
Les Moken, soit quelques milliers de collecteurs nomades marins, vivent sur les îles
du large de l'archipel des Mergui, étiré sur quatre cents kilomètres le long des côtes de
la Thaïlande et de la Birmanie. Pointe avancée des migrations austronésiennes, ils
nomadisent en flottilles d'une dizaine d'embarcations regroupant une famille élargie.
Ces flottilles, qui se rassemblent à la saison des pluies sur une des îles de résidence,
forment des sous-groupes exogames. Le dynamisme identitaire, essentiel à la survie de
ce peuple menacé par son éclatement en petites unités à la belle saison propice au
nomadisme, est activé lors de ces réunions annuelles. En effet, pour lutter contre les
dangers de la saison des pluies où sédentarité et agriculture 1 menacent le groupe et
s'opposent aux enseignements de son mythe2, les Moken activent la communication
avec l'au-delà. C'est alors le temps de la grande fête religieuse des Poteaux aux Esprits,
bo loboung 3, littéralement « faire les poteaux aux esprits ».
Les caractéristiques de la morphologie sociale moken sont importantes pour la
compréhension du phénomène religieux nomade. Il faut ainsi inévitablement définir les
modalités du mouvement pendulaire de la société qui oscille entre saison sèche
(novembre-avril) et saison des pluies (mai-octobre), car cette alternance détermine une
série d'oppositions complémentaires qui permet aux nomades de vivre dans un environ
nement qu'ils exploitent paradoxalement. Cette alternance influe aussi sur la structure
du pouvoir. La société moken est idéalement égalitaire, mais, sitôt à terre, la hiérarchie
1 . Les Moken n'accumulent pas alors même que cette accumulation pourrait exister par la pêche au
filet ou à la nasse. Pourtant, la pêche est refusée, de même que l'agriculture, techniquement possible
durant la période de sédentarité. D'autre part, les cales du bateau moken, toujours vides, permettraient
l'accumulation. Le nomadisme moken est idéologique et non pas lié à des contraintes techniques ou
écologiques.
2. L'épopée de Gaman nous offre une explication du nom et du mode de vie des Moken : Gaman
est un héros civilisateur malais qui découvre des hommes vivant sur des bateaux, les Moken, mais dont
la terre demeure un pôle d'attraction en la personne de leur reine « montagnarde », Sibian. Gaman
épouse Sibian, mais il ne peut résister à la beauté de sa jeune belle-sœur, Ken, qui, transgressant l'in
terdit de « monter l'aîné », c'est-à-dire de prendre sa place, fait l'amour avec lui. Furieuse et blessée, la
reine prononce ses sentences. La première est l'interdiction de vivre à terre, symbolisée par
l'« immersion de Ken » ordonnée par Sibian : lento kèn ; la deuxième est l'obligation faite aux futurs
nomades de construire des bateaux avec des coques monoxyles échancrées à la poupe et à la proue.
3. Les transcriptions sont phonétiques.
BEFEO 79.2 (1992), p. 103-130. 104 Jacques Ivanoff
Bangkok
île de Kadan fi rpH?rgui vN \
île de Domel Ж\ ^^Z^j
Archipel
ries
iiergui île deDavi5$
Iles de résidence 0 des sous-groupes
Moken/Malais
m Moken
Moklen m
Tenasserim
"■■•■•• Frontières
■ Villes
TRANG Provinces 4^_île de Laňgkavi4.„.X- -•"■'" Malaisie-.. Sédentarité et sacralité chez les nomades marins moken 105
religieuse se recompose. Les « anciens », potao, qui dirigent les flottilles, se retrouvent
à terre avec des fonctions religieuses bien déterminées. Désactivées à la saison sèche,
ces fonctions redeviennent efficientes avec les pluies.
Lors de ces réunions annuelles, une opposition vertical/horizontal se fait jour, cor
respondant, d'une part, à la saison des pluies (communication avec l'au-delà par le biais
des poteaux aux esprits) et, d'autre part, à la saison sèche (nomadisme, mobilité sur la
mer).
L'opposition entre taao, la mer, le large, l'extérieur, et kotáru la terre, la forêt, le
rivage, est fondamentale. Ces deux éléments sont interdits aux hommes en période de
rituel. Chacun définit les lieux d'épanouissement physique de la société. Kotan, c'est
avant tout la forêt, mais, par extension, c'est le rivage, car, vue d'un bateau, la terre est
dévorée par la forêt dense qui ne semble pas vouloir partager son territoire. Les Moken
se nomment eux-mêmes aussi des olang taao. Ainsi, plus que des nomades marins ou
des hommes de la mer, ce sont des hommes du large, de l'extérieur. Mais, à la saison
des pluies, ils redeviennent des olang kotan, des hommes du rivage, des sédentaires
menacés par l'histoire qu'ils ont fuie en nomadisant dans les îles de l'archipel. Durant
les rituels, les poteaux aux esprits et les autels sont situés au centre d'un univers qui
relie forêt et mer, terre et eau, vie quotidienne et mythe, et vont unir les contraires, don
nant à chaque esprit, à chaque objet ou à chaque personne les moyens permettant une
union temporaire entre les époques et les mondes.
2. La fête
La fête a lieu chaque année dans les cinq sous-groupes de l'archipel, à la lune mont
ante du cinquième mois (généralement avril), et dure trois, cinq ou sept jours, selon
que l'année a été bonne ou mauvaise, ou selon qu'elle se déroule sur une île de
résidence principale ou de résidence secondaire.
Les fêtes auxquelles j'ai assisté ont duré trois jours, puisque nous nous trouvions
sur l'île de Surin, résidence secondaire du sous-groupe de St. Matthew. Cette île se
trouve juste en deçà de la frontière birmano-thaïlandaise, à soixante kilomètres du
continent. Il s'agit en fait d'un petit archipel de quatre îles (« père », « mère » et
« enfants », selon les Moken), qui accueille souvent des flottilles de bateaux à la mauv
aise saison et comporte tout ce qui est nécessaire à l'établissement d'un sous-groupe.
On y trouve en effet des collines (300 m de hauteur environ), résidences d'ancêtres fon
dateurs devenus génies de lieux et très respectés par les Moken. Les eaux cristallines
sont peuplées de coraux au milieu desquels les Moken plongent pour trouver leur pro
duit d'échange4, et les terres sont couvertes d'une forêt dense où ils trouvent en abon
dance tout ce dont ils ont besoin : bois pour les bateaux, miel, feuilles comestibles, petit
gibier...
La fête est considérée comme la part d'un contrat que les hommes doivent remplir.
Ils « remboursent leur dette » aux ancêtres, lepè karun, dette qu'ils ont contractée
durant la saison de nomadisme et de collecte. La notion primordiale de dette implique

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