F. Brunot (1860-1937) : la fabrication d une mémoire de la langue - article ; n°114 ; vol.28, pg 54-68
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F. Brunot (1860-1937) : la fabrication d'une mémoire de la langue - article ; n°114 ; vol.28, pg 54-68

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Description

Langages - Année 1994 - Volume 28 - Numéro 114 - Pages 54-68
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Jean-Claude Chevalier
F. Brunot (1860-1937) : la fabrication d'une mémoire de la
langue
In: Langages, 28e année, n°114, 1994. pp. 54-68.
Abstract
Jean-Claude Chevalier : F. Brunot (1860-1938) : the Fabrication of a Memory of the French Language
This article studies how the French linguist F. Brunot — author of the huge and famed History of the French language — was
educated and how his career developed. It shows the way his conception of the history of the French language as memory was
strongly determined not only by the French academic tradition, but also above all by the future Brunot envisioned for French
society.
Citer ce document / Cite this document :
Chevalier Jean-Claude. F. Brunot (1860-1937) : la fabrication d'une mémoire de la langue. In: Langages, 28e année, n°114,
1994. pp. 54-68.
doi : 10.3406/lgge.1994.1677
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1994_num_28_114_1677Jean-Claude CHEVALIER
Université de Paris VIII et URA (CNRS) 381
F. BRUNOT (1860-1937),
LA FABRICATION D'UNE MÉMOIRE DE LA LANGUE
La longue carrière de F. Brunot culmine dans deux œuvres énormes et considé
rables : une grammaire, La Pensée et la Langue, de 982 pages grand format, publiée
chez Masson en 1922 (Brunot a alors 62 ans) et une Histoire de la Langue française
en vingt fascicules, dix mille pages grand format, dont la publication commence chez
A. Colin en 1905, se poursuit irrégulièrement, selon les remous d'une carrière
tumultueuse, pour se précipiter dans les années 30, Brunot ayant 70 ans. Oeuvres
inégalées qui suscitent l'étonnement et aussi l'admiration, héritières d'une Univers
ité de fin de siècle qui voyait large, à la hauteur d'un puissant mouvement scienti
fique, le scientisme, fondé sur l'empilement des fiches, et d'un grand mouvement
politique qui fait des professeurs, devenus des « intellectuels », les plus fermes
soutiens de la République. Temples du savoir positif, la P&L et VHLF dessinent une
image glorieuse de la langue française.
En outre, œuvres profondément originales. Depuis les dernières productions des
Idéologues, à l'extrême fin du XVIIIe siècle, on n'a plus fait que des grammaires
scolaires, constamment rééditées comme celles de Noël et Chapeal (80 éd. de 1823 à
1889) ou de Larive et Fleury (229 éd. de 1871 à 1953), des grammaires de compila
tion dont le modèle le plus célèbre est La Grammaire des de Ch.
Girault-Duvivier (1811) ou, à partir des années cinquante, des grammaires histori
ques de vulgarisation destinées aux étudiants et aux enseignants, comme celles
d'Ayer (1851), de Clédat ou du jeune Brunot lui-même (1887). Dans les années 1900,
les maîtres, considérant les progrès de la science et l'expansion spectaculaire de
l'enseignement du français, s'en émeuvent :
« Avez-vous remarqué une chose ? dit un jour Gaston Paris à Bréal, on ne fait plus de
grammaire française. C'est un genre perdu. »
Et Bréal commente :
« L'arrivée subite de la linguistique dans le domaine paisible des maîtres d'autrefois
ressemblait à une inondation (...). Les règles réputées les plus sûres étaient contestées.
L'idée même de la correction grammaticale paraissait révoquée en doute. Mais aujour
d'hui, ils ont appris à ne plus parler du langage comme d'une fonction naturelle ni de la
langue littéraire comme d'une dégénérescence. L'observation a laissé voir la part qui, dans
le travail collectif, revient aux individus et, dans l'œuvre confuse des masses, aux esprits
d'élite » (Revue bleue, IV, XX, 26 déc. 1903).
La Pensée et la Langue est la réponse, longuement mûrie, à ce défi des linguistes,
première grosse grammaire théorique, en France, au XXe siècle, du français modern
e. Et la prodigieuse Histoire de la Langue française justifie cette ambitieuse
tentative par l'histoire de notre langue.
Le paradoxe est que l'une et l'autre, bruyamment applaudies par de nombreux
grammairiens et par les rénovateurs de l'école, seront mal accueillies par les Linguis
tes.
À la fierté de l'auteur qui écrit à son disciple et collaborateur Alexis François :
54 « Je viens de terminer un formidable volume de près de 1000 pages. C'est le résultat de
vingt ans de travail et de réflexion ; à mon avis, il peut et doit renouveler toutes les méthodes
de recherche comme les méthodes d'enseignement » (6 mai 1922).
répondent les réserves de Meillet :
« Brunot a désespéré de pouvoir enseigner le français tel que nous le sentons aujourd'hui en
partant des formes de la langue ; il a retourné le problème ; il est parti des idées pour
arriver au langage (...). On sait que M. Bally a eu une idée analogue. Mais, à part le
principe, il y a très peu de commun entre M. Brunot et M. Bally » (BSL, 1922).
Bally se charge lui-même de mettre les points sur les i. Les dix pages de compte
rendu que le premier disciple suisse de Saussure consacre à la P&L, dans le même
BSL en 1922, sont dures : les principes élémentaires de la linguistique ne seraient pas
respectés, la P&L est un travail idéologique qui fait correspondre à un réseau
conceptuel approximatif des compilations de langue non moins hasardeuses, réunis
sant des données étrangement disparates. Le rôle de l'histoire est dénoncé : elle
servirait de justification ; les rapprochements les plus étranges trouveraient une
prétendue ratio nalité dans l'évolution historique. Pour Bally donc, Brunot a contre
venu à deux principes fondamentaux en linguistique : il ne respecte pas la constitu
tion systématique des axes : paradigme / syntagme ; il mélange sans précaution la
synchronie et la diachronie.
L'HLF reçut un semblable accueil ; et il suffit d'inscrire ici quelques citations
venant de linguistes français :
« J'admire le courage avec lequel vous avez dépouillé tout le fatras de ces documents
d'autrefois. J'avoue que j'ai un peu hâte de vous voir revenir à l'exposé linguistique
proprement dit » (E. Bourciez, 19 avril 1928).
« Je soulignerai (dans un compte rendu) tout ce que vous avez fait pour l'aspect social du
problème et tout ce que vous ne pouviez pas faire — ni personne — sur linguist
ique » (Terracher, 24 novembre 1926).
« J'admire une fois de plus la richesse de votre documentation et l'aisance avec laquelle
vous vous mouvez dans une aussi aveuglante poussière de faits » (Meillet, 20 mars 1914).
Sous ces formes plus courtoises, on retrouve les accusations de Bally. La premièr
e : Brunot n'a pas respecté le système de la langue, particulièrement lorsqu'il s'agit
du vocabulaire ; il privilégie l'histoire externe aux dépens de l'histoire interne,
compilant des matériaux lexicographiques sous des intitulés comme : vocabulaire de
la peinture, de l'agriculture, du droit, de la politique. Darmesteter dont il avait suivi
les cours, de 1879 à 1882, avait pourtant clairement mis en garde ses étudiants
contre ce dévoiement :
« Le néologisme peut s'étudier de deux façons, dans ses causes et dans ses procédés de
formation. La première étude intéresse l'historien et le psychologue : le psychologue qui se
demande pourquoi le mot ancien a cessé de marquer exactement l'idée ancienne, quel
mouvement s'est accompli dans la pensée populaire ; l'historien qui recherche les change
ments matériels auxquels correspondent des néologismes de faits ; chacun de ces mots n'est
que le signe et le produit d'un fait nouveau, c'est le retentissement de l'histoire de la langue.
Mais on conçoit qu'une pareille étude soit infinie et sans unité propre, au moins dans l'état
actuel de cette partie de la science. Les procédés de formation donnent lieu, au contraire, à
une étude une et simple » (De la création actuelle des mots nouveaux, 1877, 38).
Brunot n'a donc pas péché par ignorance, mais par une nécessité forte .
Deuxième accusation : il ne conçoit pas la diachronie comme la constitution de
strates systématiques successives, répondant à des structures linguistiques solidai
res, mais, à la manière des historiens, il suit le fil des événements qui constituent les
réseaux de langage de la politique ou de l'économie.
55 On se trouve donc devant un paradoxe assez ét

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