Herbert Spencer : progrès et décadence - article ; n°1 ; vol.14, pg 69-88
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Description

Mil neuf cent - Année 1996 - Volume 14 - Numéro 1 - Pages 69-88
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 42
Langue Français
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Extrait

Daniel Becquemont
Herbert Spencer : progrès et décadence
In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp. 69-88.
Citer ce document / Cite this document :
Becquemont Daniel. Herbert Spencer : progrès et décadence. In: Mil neuf cent, N°14, 1996. pp. 69-88.
doi : 10.3406/mcm.1996.1151
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1996_num_14_1_1151Herbert Spencer :
progrès et décadence
DANIEL BECQUEMONT
Herbert Spencer théoricien du progrès
Dans les années 1850, le climat intellectuel de la Grande-
Bretagne était résolument optimiste. La révolution industrielle,
après une période de heurts et de luttes dans les années 1830
et 1840, portait ses premiers fruits, qui commençaient à bénéf
icier aux nouvelles classes moyennes en voie de formation.
L'Angleterre était devenue la première puissance économique
mondiale, l'« atelier du monde », et sa suprématie militaire et
navale incontestée. L'optimisme des nouvelles classes moyennes
liées à la révolution industrielle pouvait se donner libre cours.
Adam Smith, dès la fin du xvine siècle, avait, dans le cinquième
volume de La richesse des nations, exposé une théorie du progrès
basée sur des critères économiques. Au début du XIXe siècle,
une vision souvent complaisante des étapes d'un progrès humain
orienté vers des formes de civilisation supérieure, s'exprimait
aussi bien dans les œuvres des utilitaristes comme James Mill
que des historiens « whig » comme Macaulay. John Stuart Mill,
un peu plus tard, avait affiné ces théories, les liant plus direc
tement à l'éthique. L'une des vertus cardinales qui assurait la
bonne marche du progrès était, au niveau de l'individu, ce que
les Victoriens appelaient le self-help, prise en charge de soi-
même, à la fois esprit d'entreprise, force de travail et faculté
de prévoyance.
Le progrès, ainsi conçu, n'était pas seulement économique,
éthique et social, il tendait à s'étendre à la nature et au domaine
du biologique, et ceci bien avant la publication (1859) de
69 L'origine des espèces de Darwin. Si, en France, Comte concevait
le « progrès dans l'ordre », en Angleterre, le progrès était déjà
associé à la notion d'évolution biologique, voire cosmique. Le
sentiment de continuité entre nature et culture y était ainsi plus
marqué qu'en France. La tradition britannique de la religion
naturelle, dès la fin du xvir8 siècle, avait mis l'accent sur
l'observation et la vénération de la nature, comme preuve visible
de l'excellence de la création, souligné la correspondance entre
la perfection des adaptations des êtres vivants à leurs conditions
d'existence et l'ordre social tracé par la Divine Providence, et
glorifié l'harmonie d'un univers se déployant de la nature aux
sociétés humaines. L'idée d'évolution — englobant celle de
progrès — hérita, dans les années 1830-1850, de cette tradition
religieuse : la notion de progrès conçue de manière diffuse par
de nombreux membres des classes moyennes victoriennes,
demeurait fort proche d'une pensée proprement théologique où
une certaine élection naturelle des classes économiquement les
plus dynamiques était le prolongement d'une théologie de la
grâce divine. Une forme de calvinisme arminien — avec l'idée
d'un paradis terrestre assez proche une fois atteint Г« état sta-
tionnaire » qui marquerait la fin du progrès — n'était pas très
éloignée d'une doctrine du salut dispensable dans un avenir
proche. La nature elle-même participait de cette rédemption,
progressant graduellement vers des formes supérieures. Un tel
sentiment n'était pas, bien sûr, celui de la majorité des intel
lectuels victoriens, plus attachés aux valeurs traditionnelles des
Églises, mais d'une certaine avant-garde intellectuelle, souvent
radicale en politique, et ralliée plus ou moins ouvertement à la
notion d'évolution. Sans doute est-ce là l'une des raisons du peu
de succès de la pensée d'Auguste Comte en Angleterre, et de
son hostilité très catholique envers le protestantisme en général
et l'Angleterre en particulier.
Herbert Spencer fut sans doute, de 1850 à 1880, le porte-
parole le plus écouté, et le plus optimiste, de cette notion de
progrès général, s'étendant de la société à la nature et à l'e
nsemble de l'univers. Dès 1851, dans sa Statique sociale, il avait
développé l'idée d'un progrès nécessaire et déterminé de la
société. Le chapitre « L' evanescence du mal », en particulier,
portait à son plus haut point cet optimisme nationaliste,
empreint de valeurs religieuses dissidentes, de soumission à un
ordre divin manifesté par l'excellence de lois de la nature béné
fiques à l'homme, dans une « théologie plus naturelle » selon
70 d'Antonella La Vergata1. Se soumettre aux lois l'expression
de la nature, comprendre et appliquer la morale scientifique,
c'était comprendre que le mal en ce monde n'était que le fruit
de la non-adaptation de la constitution aux conditions, ce que les
théologiens naturels du xviii* siècle avaient appelé « mal d'imper
fection ». Si l'homme n'était pas parfaitement adapté à son état
social, c'était uniquement parce que les caractéristiques propres
à un état antérieur subsistaient en lui. Une constitution morale
mieux adaptée devait nécessairement apparaître lorsque les ci
rconstances changeaient. Certes tous les individus ne seraient
pas capables d'acquérir ces qualités morales et certains dispa
raîtraient dans la quête de la perfection, mais les facultés
humaines seraient néanmoins façonnées jusqu'à l'adaptation
complète à l'état social, et le mal et l'immoralité appelés à
disparaître : la perfection de l'humanité n'était qu'une question
de temps.
A la question du but même du progrès s'ajoutait une question
plus large et plus complexe, celle de la nature du procès d'évo
lution. Et, s'il était devenu insuffisant de faire appel à la volonté
divine ou à des valeurs étroitement religieuses, il était alors
nécessaire de dégager des lois universelles rendant compte, à
tous les niveaux, du social au cosmique, de l'ordre d'un monde
en changement perpétuel, de la stabilité des lois qui régissaient
la marche du progrès à la fois de la nature et de la société.
Spencer, dans les années 1850, allait ainsi élaborer les divers
éléments de ces lois d'évolution, avant même la publication de
L'origine des espèces, par élargissement et extension des lois
éthico-politiques de la société aux lois de la nature. Il allait
élargir les lois du progrès aux lois de l'évolution, préparant ainsi
la synthèse globale de sa philosophie synthétique, et fournir un
système de valeurs acceptable pour l'avant-garde de la bour
geoisie industrielle et des intellectuels libéraux et radicaux en
quête d'un système du monde unifié par des certitudes ration
nelles appuyées sur la science, d'un nouveau sens de l'univers,
forts d'une foi inébranlable en la justice d'un ordre à venir se
déployant dans le temps et dégagé des dogmes par trop rigides
du christianisme.
Dans son Autobiographie comme dans sa correspondance,
Spencer lui-même admet que son organicisme, en fait, avait
1. A. La Vergata, Nonostante Malthus, Turin, Bollati, 1992,
chap. 5.
71 point de départ une réflexion sur la société, et que l'extenpour
sion des lois de la société à la nature n'était venue qu'après coup.
Il s'agissait de projeter sa vision de l'ordre social et des « condi
tions du bonheur humain » sur l'ordre de la nature. Il fallait,
pour avancer une hypothèse aussi audacieuse, une certaine
connaissance générale des sciences de la nature, mais surtout
une confiance inébranlable à la fois en son unité de plan struc
tural et en l'harmonie des adaptations fonctionnelles (que l'on
appellera plus ta

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