II y avait un pays, qui s appelait l Irak... - article ; n°1 ; vol.81, pg 257-302
47 pages
Français

II y avait un pays, qui s'appelait l'Irak... - article ; n°1 ; vol.81, pg 257-302

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
47 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Revue du monde musulman et de la Méditerranée - Année 1996 - Volume 81 - Numéro 1 - Pages 257-302
46 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Pierre-Jean Luizard
II y avait un pays, qui s'appelait l'Irak...
In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°81-82, 1996. pp. 257-302.
Citer ce document / Cite this document :
Luizard Pierre-Jean. II y avait un pays, qui s'appelait l'Irak.. In: Revue du monde musulman et de la Méditerranée, N°81-82,
1996. pp. 257-302.
doi : 10.3406/remmm.1996.1764
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0997-1327_1996_num_81_1_1764LUIZARD* Pierre-Jean
II y avait un pays, qui s'appelait l'Irak. . .
Il y avait un pays qui s'appelait l'Irak. . . il semble aujourd'hui ne plus y avoir
que des clans, des familles et des tribus ennemies. L'incroyable régression de la
société irakienne, où l'on assiste au triomphe généralisé de la casabiyya, avec
son corollaire, le degré zéro de la politique, apparaît maintenant comme le fait
majeur d'un pays qui se défait et qui est menacé d'implosion. Plus de six ans
après l'application des sanctions internationales, la non-résolution de la "ques
tion irakienne" a abouti à une situation de crise permanente. Le pouvoir abso
lu et dictatorial d'un clan ne s'est pas limité à une succession vertigineuse de
catastrophes : deux guerres meurtrières, une défaite militaire, un soulèvement
généralisé et la mise sous tutelle du pays en l'espace de dix années. La politique
du vide pratiquée par le régime de Saddam Husayn depuis son avènement en
1968, après cinquante années de négation des identités du pays, notamment
de sa composante chiite et kurde, a suscité une dérive générale de la société :
la solidarité régionale et familiale, l'une des bases des relations sociales en Irak,
tend à supplanter tout projet politique collectif1. Les manifestations politiques
les plus importantes que le pays ait connues, comme le mouvement religieux
* CNRS, Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité, Paris.
1. Aujourd'hui, cette solidarité de base est à son tour touchée par les effets dévastateurs combin
és de l'embargo et de la pérennité du régime : il y a une généralisation de la délinquance et de
l'individualisme, encore renforcés par l'émergence d'une nouvelle génération, celle des « enfants
de l'embargo » quasi-analphabètes, qui succède à celles, sacrifiées, des guerres précédentes.
REMMM 81-82, 1996/3-4 258 / Pierre-Jean Luizard
chiite, le mouvement nationaliste arabe, le mouvement communiste, le mou
vement nationaliste kurde, qui étaient porteurs d'utopies pour l'ensemble de
la population malgré leurs connotations communautaires, sont presque tous
aujourd'hui contraints à l'exil. Deux millions d'Irakiens, en majorité kurdes et
chiites2, y forment une diaspora éclatée entre les pays arabes, l'Iran et les pays
occidentaux, notamment la Grande-Bretagne, où vivent 80000 Irakiens. En
l'absence de perspective politique, ces mouvements ont été à leur tour touchés
par le repli sur des casabiyya-s multiples, phénomène qui inspire aujourd'hui
de façon croissante leurs positions politiques. Ainsi, les événements de l'a
utomne 1996 au Kurdistan peuvent être interprétés comme suit : le clan arabe
sunnite des Takrîtîs s'est allié au clan kurde des Bârzânîs contre un autre clan
kurde, celui des Tâlabânîs. L'intérêt du clan est passé avant celui du mouve
ment national kurde. Quant au pouvoir irakien, on sait qu'il n'a été sauvé, lors
de Xintifâda de mars 1991, ni par le Parti Baas ni par l'armée, mais par des ser
vices de renseignements contrôlés par des Takrîtîs, ainsi que par des gardes pré
toriennes recrutant en milieu tribal arabe sunnite. Ce pouvoir ne représente
plus ni le Parti Baas, officiellement au pouvoir, ni les auteurs du coup d'Etat
de 1968, presque tous éliminés, ni l'armée, dont tout leadership a été décapit
é, mais le cercle familial du président irakien, élargi aux oncles, cousins,
gendres et demi-frères. Aucun Irakien n'est dupe aujourd'hui, à l'intérieur
comme à l'extérieur du pays, de la véritable nature du régime irakien, dont la
base ne diffère finalement pas de celle de l'Arabie Saoudite. . . Ici les Takrîtîs, là
les Al Sa'ûd.
Alors, comment expliquer le maintien de ce qui apparaît comme une simple
fiction "politique" : la république, la constitution, le parlement, le Conseil de
commandement de la révolution, le Parti Baas, le rôle de l'armée, la Charte d'ac
tion nationale de 1971, qui sont autant de manifestations classiques des régimes
se réclamant d'un "socialisme" ou d'un "progressisme" du Tiers-Monde? C'est
que jeter par dessus bord ce qui demeure la source de la légitimité du régime,
même s'il ne s'agit plus que de coquilles vides, serait reconnaître les véritables
bases du pouvoir et un constat de la fin inéluctable du système politique que ce
régime est le dernier à défendre. Le régime de Saddam Husayn est, en effet,
l'aboutissement logique et final du système de domination confessionnelle et
ethnique fondé en 1920 par la puissance mandataire britannique.
irakienne"
1. La non-résolution de la "question
et l'opposition.
L'invasion du Koweit en août 1990 fut l'occasion pour l'opposition ir
akienne, décimée depuis trois décennies par la plus féroce des répressions,
2. En l'absence de sources fiables, il s'agit de l'estimation la plus couramment avancée et la
plus plausible. Il y avait un pays, qui s 'appelait l'Irak. . . 1 259
d'apparaître de façon publique et organisée. Cependant, cette opposition n'a
pas réussi à diriger X intifada de mars 1991. Ce soulèvement, le plus import
ant que l'Irak ait jamais connu, durant lequel douze des dix-huit provinces
du pays échappèrent entièrement au contrôle du pouvoir, fut largement
spontané. Aucune direction politique ne s'en dégagea, notamment parmi les
chiites. Le mouvement partit de Zubayr, près de Basra, le 28 février 1991,
alors que le cessez-le-feu venait d'être décrété par les Etats-Unis. Les soldats
irakiens en déroute refluèrent, dans un désordre indescriptible, vers Basra,
où ils informèrent la population de l'ampleur du désastre. Le 1er mars, la
grande ville du sud de l'Irak se soulevait contre le régime. Délivrée de la
peur, la population s'acharna sur tous les symboles encore visibles du pouv
oir. Avec une grande rapidité pour un pays privé de communications, l'i
nsurrection s'étendit à l'ensemble du pays chiite. Le 4 mars, les deux villes
saintes, Najaf et Karbalâ', tombaient aux mains des insurgés. L'organisation
de la vie à Najaf, durant les douze jours où la ville fut entre les mains des
insurgés, avait échu à l'ayatollah Khû'î et à ses disciples parmi les ulémas.
Mais cette direction improvisée, dépourvue de cadres, dans un pays livré à
l'anarchie, ne fut pas suffisante pour donner un sens au mouvement.
Touchée par des années de répression, la hiérarchie religieuse chiite n'était
pas en mesure de jouer un rôle de direction du soulèvement. L'implication
de l'Iran dans les événements, dénoncée par le régime, fut en fait limitée à
l'infiltration de combattants chiites dans la région de Basra. Toutefois, même
dépourvue de direction, V intifada dans les provinces chiites a revêtu un
aspect clairement islamique, car c'est en tant que chiites que la plupart pri
rent les armes contre le régime. Seuls les Kurdes bénéficièrent d'une véritable
direction et d'un encadrement effectif, celui des partis kurdes. Le 4 mars, le
soulèvement commença au Kurdistan. En quelques jours, toutes les villes
kurdes tombèrent aux mains du Front du Kurdistan.
Beaucoup d'interrogations demeurent sur la politique américaine envers
l'Irak. Existe-t-elle d'abord ou avons-nous affaire à un pragmatisme au jour
le jour? Il semble pourtant qu'il y a un élément fondateur indéniable à cette
politique : ce fut la décision, non seulement de ne pas intervenir lors de 17»-
tifâda de mars 1991, mais de permettre au régime, en violation des termes
du ces

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents