Itinerrances - article ; n°1 ; vol.41, pg 201-218
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Description

Communications - Année 1985 - Volume 41 - Numéro 1 - Pages 201-218
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Lapierre
Itinerrances
In: Communications, 41, 1985. pp. 201-218.
Citer ce document / Cite this document :
Lapierre. Itinerrances. In: Communications, 41, 1985. pp. 201-218.
doi : 10.3406/comm.1985.1617
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1985_num_41_1_1617Benoit-Lapierre Nicole
Itinerrances
Histoire, territoires et mémoire juive
A un misérable juif assis en haillons à l'entrée de la ville, un passant
demanda quel serait son souhait le plus cher, et l'autre dit ceci : « Je
voudrais être le monarque d'un immense royaume, où je ferais régner la
justice et la paix. Je serais aimé de mon peuple, prospère et reconnais
sant, jusqu'à cette année terrible où le pays serait attaqué, ravagé, en
proie à la famine. Mes ministres, alors, comploteraient contre moi.
soulevant la foule. Mon palais finalement assiégé, contraint à la fuite,
seul, triste et démuni, me voilà arrivé ici. maintenant... »
Cet homme de nulle part avait, pour tout bagage, une -histoire, un
espoir, la mémoire d'un royaume perdu et l'incertitude du devenir. 11
racontait ainsi un espace imaginaire, un lieu non défini et un temps
rotatif, suite de boucles, nouant faveurs et défaveurs de l'avenir et du
passé autour du présent retrouvé du récit. Tel est. en forme d'allégorie,
notre sujet. Certes. les représentations de l'espace et du temps, l'appré
hension de l'histoire et du territoire dans la culture et l'aventure de la
diaspora juive ne sauraient se résumer à cette fable, autrefois familière
aux juifs d'Europe orientale, et qui me fut racontée par l'un d'entre eux.
Elle donne cependant, outre les thèmes essentiels.- l'origine de cette
réflexion, à laquelle on reviendra pour finir.
C'est en effet à partir d'une recherche sur la dispersion d'une
communauté particulière, diaspora dans la diaspora, celle de la ville de
Plock. en Pologne, entre le début du siècle et la Deuxième Guerre
mondiale, que j'ai été amenée à m'interroger sur l'espace et le temps
dans la tradition juive. Cette question gît évidemment au cœur même du
phénomène diasporique. La pérennité des juifs dans l'espace et le temps,
au cours des siècles et parmi les nations, n'a cessé de surprendre. La
question insistante et toujours reposée sur la diaspora est bien celle du
maintien d'une identité dans un processus de changement à travers
histoire et territoires, dont le corollaire, logique serait une dissolution
progressive. Les principales réponses offertes, celles de Jean-Paul
Sartre1 ou d'isaac Deutscher2. celles de Karl Marx :J ou d'Abraham
Léon 4. celles des courants religieux, échouent dans leur confrontation à
des réalités qu'elles n'englobent pas : la spécificité juive ne se réduit pas
201 Benoit- Lapierre Nicole
à la stigmatisation antisémite. la diversité des situations socio-économi
ques n'est pas conforme à la notion de peuple-classe, enfin il existe une
conscience juive séculière. De fait, le débat a toujours oscillé entre ces
deux pôles — l'un à contenu culturel ou métaphysique, exclusivement
lié à une logique interne au judaïsme, l'autre à contenu historico-social
qui renvoie, lui. à une problématique externe — et se trouve prisonnier
de cette alternative. Elle apparaît cependant dépassablé si l'on considère
que la permanence des juifs à travers crises, persécutions et dispersions
ne s'explique pas par la résistance d'une culture particulière à l'aventure
de l'histoire, mais par la logique organisatrice et dynamique qui les lie.
Telle est la perspective adoptée par Henri Atlan. qui propose ainsi une
hypothèse explicative de la pérennité juive inspirée de sa théorie
formelle de l'auto-organisation (order from noise) : les juifs se seraient
historiquement (ou mythiquement) dotés, dans l'exil d'Egypte, d'une
sorte de culture-programme, apte à être déformée, informée et renouvel
ée par le cours de l'histoire \ On pourrait parler, en d'autres termes,
d'une culture de et pour l'exil, déterminée par ce dernier et en
déterminant aussi la réalité. Culture ambulatoire tissée dans une histoire
d'errances et dont l'opérateur, puissant, est la mémoire.
La mémoire individuelle, telle qu'elle se déploie dans un récit de vie.
fonctionne sur plusieurs registres de mémoire collective entrecroisés ;
c'est une vision à foyers. Dans le creux de chaque vie. de
chaque itinéraire raconté, c'est-à-dire reconstruit, se mêlent, en une
alchimie complexe, outre des expériences particulières, des éléments de
l'histoire de Plock comme de l'histoire juive ou de celle des nations et des
représentations culturalo-symboliques qui. elles-mêmes, relèvent de
plusieurs cadres référentiels. Les unes et les autres s'interpénétrent et
s'interprètent. Par ailleurs, l'expérience inassimilable du génocide
surplombe cette mémoire et la surimpressionne tout entière. Le temps et
le lieu qui sont évoqués là sont triplement perdus ; ce sont ceux de
l'enfance, ceux auxquels les émigrés renoncèrent, enfin ceux qui furent
définitivement détruits. Cette destruction a entraîné aussi l'effondr
ement des idéologies nourries d'espoir, accrochées au temps court de
l'histoire et. pour certaines, aux projets migratoires. Elle a rétroactivdoté de sens un univers culturel que l'émigration avait d'abord
rejeté. Par-delà la nostalgie et ses recompositions éternisées transparais
sent des éléments d'une vision du monde, d'un imaginaire social, ancrés
dans les fondements même du judaïsme. Ainsi, dans l'entrelacs des
propos, dans le choix des souvenirs, dans le rythme des récits, on
retrouve, comme je l'ai déjà montré (). des représentations de l'espace et
du temps, des histoires et des territoires, qui relèvent de la mémoire
longue des juifs.
C'est aussi de là qu'on repartira, ici. en un parcours rapide, à partir du
récit biblique, de la distinction première et fondatrice.
202 Itinerrances
Le temps, dans la Bible (il s'agira toujours dans cet article de la Bible
hébraïque), n'est pas envisagé de façon univoque. mais selon trois
perspectives entrecroisées et également irréversibles. La première est
celle du temps de la succession événementielle ; la seconde, celle du
temps messianique, de l'espoir dilaté vers l'éternité ; la troisième, celle
du temps ouvert et incertain des engendrements. que la mémoire
traverse et stabilise. Quant à l'espace, il est également projeté selon trois
dimensions : une géographie migratoire, jalonnée par les haltes, plus ou
moins transitoires ; l'étendue indéterminée, inhospitalière, dépaysante
du désert ; enfin, le lieu fixe, posé à l'horizon du désir, celui de la terre
promise, pôle imaginaire de toutes les errances.
Jours, lieux, événements et ordre du temps.
De la création du cosmos, en une date mythique, jusqu'au Ve siècle
avant l'ère vulgaire, la Bible relate une histoire, une suite d'événements
uniques, inscrits dans la suite discontinue des lieux de passage et dans la
succession irréversible des jours. Dans l'espace parcouru se fonde l'ordre
du temps.
La Thora (les cinq livres du Pentateuque) est, dès la Genèse,
explicitement chronologique, chronométrique et dynamique. Elle donne
la succession des événements, leur durée et le mouvement qui les
traverse. Jusqu'à ce qu'Adam et Eve soient chassés de l'Éden, le temps
irréversible de l'aventure humaine n'a pas commencé. Mais avant, Dieu
agit en une succession de jours, dès ces six premiers qui manifestent la
mise en route et l'avance du temps. 11 nomme, distingue, sépare,
prolongeant ainsi cette séparation antérieure, sinon première \ par
laquelle, face à lui. il crée, de rien, quelque chose, qu'il contemple
d'abord en un muet face-à-face. Alors, la parole divine fait surgir du
tohu-bohu initial, du magma opaque de la matière indifférenciée gisant
dans la torpeur sombre des eaux, un espace réparti ; le monde,
répondant à l&#

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