L amateur: une figure de la modernité esthétique - article ; n°1 ; vol.68, pg 9-31
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Description

Communications - Année 1999 - Volume 68 - Numéro 1 - Pages 9-31
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1999
Nombre de lectures 55
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Mme Laurence Allard
L'amateur: une figure de la modernité esthétique
In: Communications, 68, 1999. pp. 9-31.
Citer ce document / Cite this document :
Allard Laurence. L'amateur: une figure de la modernité esthétique. In: Communications, 68, 1999. pp. 9-31.
doi : 10.3406/comm.1999.2028
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1999_num_68_1_2028Laurence Allard
L'amateur : une figure
de la modernité esthétique
En 1996, 47 % des Français de plus de 15 ans ont pratiqué en amateur
une activité artistique. L'ampleur prise par ce phénomène a commandé
à la réalisation d'une vaste enquête par le ministère de la Culture, centrée
uniquement sur le public des amateurs1. Les pratiques amateurs sont
définies dans les études administratives consacrées aux pratiques cultu
relles des Français de la façon suivante : elles sont « pratiquées pour le
plaisir, à des fins personnelles ou pour un cercle restreint à des proches
en opposition à un exercice professionnel2 ». C'est cette opposition entre
pratiques « amateur » et « professionnelle » qui constituera plus précis
ément le cœur de notre analyse. On se proposera en effet de montrer qu'une
telle distinction entre des « amateurs » et des « professionnels » dans le
domaine artistique est le produit d'un moment de l'histoire de la culture
européenne, la modernité esthétique. Il s'agit de ce moment où s'élabore
la configuration, qui nous est encore contemporaine, d'une sphère artis
tique autonome, avec ses professionnels de la production et de la récep
tion, son public et ses institutions spécialisées. Il ne sera pas ici question
de récrire l'histoire de la modernité esthétique mais de l'éclairer à partir
du point de vue des amateurs. Car ils font figure de témoins précieux
pour en exhumer les phases successives, de l'autonomisation d'une sphère
publique de l'art à l'industrialisation de la culture et au développement
d'une culture de loisirs. Cette évolution conjointe dû champ culturel et
de la figure de l'amateur, du domaine pictural au champ cinématogra
phique, sera documentée plus précisément à travers les jeux de langage
des ouvrages et de la presse artistique et cinématographique, depuis leur
apparition. Allard Laurence
FORMATION DE L'ESPACE PUBLIC ESTHÉTIQUE
ET NAISSANCE DE L'AMATEUR AU SENS MODERNE
Le sociologue allemand Max Weber a proposé une conceptualisation
devenue canonique de l'avènement du moment moderne de notre histoire
européenne d'après un processus de modernisation culturelle3. Cet avè
nement de la modernisation culturelle opère une rationalisation des ima
ges du monde mettant fin à toute représentation cosmogonique unitaire.
Elle conduit ainsi à la différenciation de trois domaines d'action aux
sphères de valeurs propres à partir des composantes cognitives, normat
ives et expressives de la culture : la science, la morale et l'art. Ainsi, au
cours du XVlir siècle, les arts, la littérature et la musique s'institutionna
lisent sous la forme d'un domaine d'action qui rompt avec la vie sacrée
et la vie de la cour : une sphère publique autonome, c'est-à-dire un ensemb
le d'institutions et d'acteurs spécifiquement consacrés aux pratiques
artistiques (du côté de la production) et esthétiques (du côté de la récep
tion). En étudiant distinctement ces deux dimensions d'autonomisation
et de mise au public, nous allons assister au changement de statut affec
tant la figure de l'« amateur », qui est alors l'acteur d'un champ intel
lectuel en bouleversement.
Vers une sphère esthétique autonome.
Deux traits caractérisent la Modernité marquée par la rationalisation
culturelle : Y intellectualisation et la spécialisation 4.
Si l'essor des sciences modernes en a constitué le paradigme, l'autono-
misation d'une sphère publique de l'art va connaître un semblable mou
vement, à l'instar de tout le champ intellectuel. Cette autonomisation
s'exprime d'abord par une spécialisation du champ intellectuel qui renouv
elle le cadre de la connaissance des XVIe et XVir siècles, notamment en le
dotant de professionnels attachés à tel ou tel domaine. Or cette spéciali
sation consiste dans le domaine esthétique en gestation en une intellec
tualisation de la pratique artistique, qui sera paradoxalement conduite
par ceux qu'on nomme à l'époque des « amateurs ».
Parce que les nouveaux érudits des XVF et XVir siècles étaient fonda
mentalement plus curieux que savants, l'historien K. Pomian a proposé
de traiter cette période de l'histoire du savoir comme celle d'une « culture
de la curiosité » qui aurait « gouverné par intérim entre le règne de la
10 figure de la modernité esthétique Une
théologie et celui de la Science » °. Ces hommes, désignés encore indiff
éremment comme « connaisseurs », « amateurs » ou « curieux », sont des
« savants omnivores mus par une érudition galopante » 6. Le symbole de
leurs pratiques savantes tient dans un lieu, le « cabinet de curiosités7 »,
dont les propriétaires se recrutent depuis les grandes familles de la
noblesse jusqu'aux apothicaires, en plus des traditionnels clercs. Dans ces
« abrégés de l'univers 8 » se côtoient, encore indissociés 9, l'Art et les Let
tres (estampes, gravures, peintures, livres rares), l'Histoire (antiques,
médailles) et l'histoire naturelle (fossiles, cornes de licorne, blocs d'ambre,
tulipes). Ces domaines de vastes savoirs, qui allaient se différencier dans
la triade Beaux- Arts-Lettres-Sciences, sont représentés par des objets uni
ques en nombre et en valeur. A contrario des exigences.de la science
moderne, ces encyclopédies d'objets gouvernées par la loi de la singularité
constituent, à l'époque de la curiosité, les principaux instruments de tra
vail de ces hommes. L'évolution des types de collections agencées dans
les cabinets de curiosités, depuis leur accroissement dans la seconde moitié
du XVir siècle jusqu'à leur rapide disparition autour de 1750, permet de
dégager des amorces de spécialisation de l'activité intellectuelle puis de
sa professionnalisation 10. En ce qui concerne les arts, rares sont, avant
la fin du XVIIe siècle, les collections consacrées spécifiquement, aux
tableaux : ceux-ci, placés dans les cabinets de curiosités, ne jouissaient
d'aucun intérêt spécifique par rapport aux autres curiosités. La peinture
prit une plus grande importance dans les collections au milieu du XVIIe siè
cle, surtout parmi la noblesse et la finance. Cet intérêt croissant pour les
arts du dessin dans les collections peut être relié à l'institution d'une
Académie royale de peinture et sculpture. Cette institution, créée en 1648,
dote la sphère des « Beaux- Arts », qui ne sera appelée ainsi qu'à la fin
du XVIIIe siècle, d'une organisation spécifique, tout comme l'Académie
royale des sciences créée en 1666 pour le champ scientifique. Cette aca
démie, animée en premier lieu par des peintres, participe à l'autonomi-
sation de la sphère esthétique en tant que domaine d'activité spécifique.
Comme l'explicite Nathalie Heinich, « la collection comme pratique de
civilisation aristocratique et de distinction roturière contribua à asseoir
le prestige de la peinture, favorisant cette sortie du peintre hors de l'art
isanat, que réalisait en même temps la professionnalisation académi
que11 ». Et, au sein de cette académie, la « formation professionnelle »
est assurée par des « amateurs honoraires » ou « conseillers-amateurs »
de cette noble assemblée.
« Lieu où s'assemblent des gens de lettres ou d'autres personnes qui
font profession de quelques-uns des arts libéraux comme la peinture, la
sculpture.:. » : telle est la définition du terme « Académie » dans la pre
mière édition du Dictionnaire de l'Académie française, en 1649 12. Dans
11 Laurence Allard
cette définition, ce n'est pas tant la notion de « profession » qui indique
la dimension novatrice de l'Académie de peinture que celle d'« arts lib
éraux 

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