L échiquier et la harpe - article ; n°11 ; vol.5, pg 31-48
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L'échiquier et la harpe - article ; n°11 ; vol.5, pg 31-48

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Description

Médiévales - Année 1986 - Volume 5 - Numéro 11 - Pages 31-48
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Jacques Berchtold
L'échiquier et la harpe
In: Médiévales, N°11, 1986. pp. 31-48.
Citer ce document / Cite this document :
Berchtold Jacques. L'échiquier et la harpe. In: Médiévales, N°11, 1986. pp. 31-48.
doi : 10.3406/medi.1986.1038
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1986_num_5_11_1038Jacques BERCHTOLD
L'ECHIQUIER ET LA HARPE
Parties d'échecs et registres ludiques dans la légende de Tristan chez Gottf
ried de Strasbourg et ses continuateurs
L'objet de ce travail est de mettre en évidence l'importance du jeu dans le Tristan
de Gottfried, de comprendre la présence de la partie d'échecs au début du poème
et d'intégrer celle-ci à une lecture globale, en fonction d'une hiérarchie de registres
ludiques qui y serait à l'œuvre. Une attention particulière sera prêtée à la poursuite
du signifiant « spil », vocable indépendant ou mot composé, considéré comme signal
et dénominateur commun permettant de localiser dans le texte la présence de ces regis
tres et de les mettre en relation les uns avec les autres.(l)
Des limitations marquées caractérisent certains jeux et renseignent sur la qualité des
niveaux de réalités particuliers auxquels ils permettent d'accéder. Il s'agit donc d'attri
buer aux jeux du texte des degrés de finesse différents, qui reflètent des aptitudes et
des dispositions spécifiques requises chez le joueur qui s'y adonne. Une hiérarchie
s'établit selon la liberté que réservent les jeux à l'extériorisation de la sensibilité artis
tique au sein de la communication ludique; et est donc fonction des différents langa
ges utilisés.
Caractérisé par la gratuité qui le sépare de la réalité, le jeu unifie « toute activité réglée
qui a sa fin en elle-même et ne vise pas à une modification utile du réel ». La réalité
du jeu est donc propre à celui-ci, et découle d'une spécificité de nature « qui a ses
lois, sa nécessité, sa logique, son code et jusqu'à son langage ».(2)
L'essence de cette réalité seconde dans laquelle le jeu installe les joueurs tant qu'il
dure présente deux faces opposées : l'une, simple « laetitia saecularis », connote péjo
rativement la modalité ludique et les formes d'activités« terrestres » stériles qui s'y
rattachent : dans notre analyse, le jeu d'échecs en deviendra l'emblème. L'autre, supér
ieure, orientée vers un « gaudium spirituale », vise à une véritable « jubilatio » qui
traduit un transport et un échange ineffables entre les joueurs à l'unisson : ce sera,
dans la grotte d'amour de notre poème, la réunion fusionnelle des amants autour
(1) : Nous prendrons en considération une constellation de passages organisée différemment que celle de Louise
Gnaedinger par exemple, dans son excellente étude d'ensemble sur le rôle de la musique dans l'œuvre (Musik
undMinne m Tristan Gotfrids von Slnasburg, Dûsseidorf (Beihefte zur Zeitschrift Wirkendes Wort 19), 1967).
(2) : Emile Benveniste, «Le jeu comme structure», in Deucalion 2, 1947. p. 161-167 ; p. 161, 163. 32
de la harpe ; le modèle typologique serait ici le « iocus » de la Genèse 26,8-9, où le
roi Abimelech, regardant par la fenêtre, voit Isaac « jouer » avec Rebecca et recon
naît ainsi l'élévation de leur relation véritable.(3)
Ces réalités différentes correspondent à des formes de jeux essentiellement opposées,
où nous distinguerons, dans un souci de clarté, entre formes « ludiques » (avec con
notation d'exercice figé et répétitif) et formes « joicques » (avec connotation de pureté
authentique du « joi »-joyau des troubadours)(4), qui entraînent le joueur selon des
vecteurs inversés.
Délibérément séparé du réel, le jeu dépend de règles strictes qui délimitent son cadre
spatial et temporel et qui seules constituent son être. L'affirmation plus ou moins
oppressante du despotisme des règles dans une forme de jeu donnée, ce degré de codi
fication est proportionnel au degré d'éloignement de cette forme par rapport au sacré.
« (Une) homologie définit le jeu et le sacré par des traits communs et par une orien
tation contraire. Alors que le sacré élève l'homme au divin qui est un « donné » et
qui est la source de toute réalité, le jeu ramène sans danger le divin au niveau de
l'homme et par un ensemble de conventions, le lui rend accessible. Le jeu n'est donc
au fond qu'une opération désacralisante. Le jeu est du sacré inversé et les règles du
jeu ne servent qu'à assurer cette inversion ».(S)
Compris sous cet angle, les jeux dans le Tristan sont plus ou moins « jeux » à des
degrés divers. La distinction opératoire que nous observons entre différents langages
du jeu peut être définie par un degré de plus grande proximité avec l'indicible du
sacré (formes « joicques ») ou, inversement, de plus grande adéquation avec les règles
codifiées qui les constituent (formes « ludiques »).
Notre hypothèse de travail, la recherche d'une opposition hiérarchique cohérente entre
des niveaux ludiques/joicques distincts à travers les différents « jeux » distribués dans
le texte, nous amènera finalement à prêter une attention particulière à un épisode peu
remarqué, celui de la partie d'échecs entre Marke et Isôt dans les deux continuations
d'Ulrich et d'Heinrich.
1. Le chant orphelin de Tristan au-dessus du « Schâchzabelspil »
II semble raisonnable de considérer la partie d'échecs de Tristan contre les marchands
de Norvège comme un motif ayant appartenu aux fragments perdus de Thomas. La
Tristam Saga ok Isondar nous rapporte cet épisode et comment Tristam est enlevé
sur un navire d'oiseleurs, après avoir aperçu un échiquier (éd. Kôlbing, ch. 18,
p.18,1.2-15). Le même épisode apparaît dans le Sir Tristrem en vers, où le héros embar
qué aperçoit l'échiquier posé sur une chaise (éd. Kôlbing, v.309-312).
« As thai best sat and playd
Out of haven thai rade
Open the se so gray » (346-348)
Dans la langue allemande, Gottfried développe l'épisode du rapt par les marchands
de Norvège sur près de cinq cents vers (G. 2147-2617). Le bateau norvégien apparaît
(3) : Cf Hugo Rahncr, Der spielende Mensch, Einsieddn (Johannes), 1952, p. 4041, 4647.
(4) : Charles Mêla, «Le miroir périlleux», in Europe 654, 1983, p. 72-83 ; p.83.
(5) : Bcnveniste, article cité, p. 164-165. 33
près des côtes de Parménie au terme des quatorze années d'enfance. Monté à bord
pour acheter des oiseaux de chasse, Tristan aperçoit l'échiquier magnifique suspendu
comme un appât (2217-2225). Chef-d'œuvre de joaillerie, l'objet attire l'attention par
sa beauté et éveille immédiatement en Tristan le désir d'y exercer l'art du jeu.
« sô helfe iu got ! und kunnet ir
schâchzabelspil ? daz saget mir ? » (2229-2230) (6)
« Par Dieu ! savez-vous jouer
aux échecs ? Dites-le moi ! »
A cette interrogation surgie devant l'objet merveilleux répond la proposition d'un mar
chand de commencer aussitôt une partie.
« sus sâzen si zwên' ùber daz spil. » (2247)
« Ainsi, ils s'assirent tous deux à l'échiquier. »
Pour la première fois, Tristan est engagé « en situation » dans un jeu qui porte à
conséquence, après avoir acquis dans son enfance, de façon protégée et théorique,
les grammaires ludiques au cours d'un enseignement spécialisé portant à la fois sur
les instruments à cordes (« seitespil » 2094) et les divertissements courtois (« hove-
spil »2119). L'apparition de l'échiquier permet donc l'application et l'expérimenta
tion dans le monde d'un premier savoir ludique et, à partir d'un motif spécifique,
introduit le concept plus vaste de « jeu », lié à une problématique globale de la com
munication, dont le rôle se dévoilera progressivement dans l'œuvre.
A cette première épreuve répondra plus loin dans le récit

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