L imaginaire de la prostitution et la société urbaine en Allemagne (XIII-XVIe siècle) - article ; n°27 ; vol.13, pg 75-93
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L'imaginaire de la prostitution et la société urbaine en Allemagne (XIII-XVIe siècle) - article ; n°27 ; vol.13, pg 75-93

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Description

Médiévales - Année 1994 - Volume 13 - Numéro 27 - Pages 75-93
The Representations of Prostitution and its Perception in the Urban Society in Germany (XIIIth-XVIth Centuries) - The image of the prostitute in German cities during the late Middle Ages was essentially inspired by ecclesiastical tradition, which used representations of such women to exemplify human fate. Prostitutes were considered as « free » and « poor » women deprived of protection, or as women seduced by the material world. Their weakness rendered the community responsible for their care. However, at the end of the Middle Ages, a new image born of a morality independent of religious tradition prevailed : the prostitute was considered as a whore, using her power to abuse men. This interpretation reflects a new anthropological and community conception in the cities, and one which justified the expulsion and the mutilation of women who did not comply with the ethics of urban morality.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Beate Schuster
L'imaginaire de la prostitution et la société urbaine en Allemagne
(XIII-XVIe siècle)
In: Médiévales, N°27, 1994. pp. 75-93.
Abstract
The Representations of Prostitution and its Perception in the Urban Society in Germany (XIIIth-XVIth Centuries) - The image of
the prostitute in German cities during the late Middle Ages was essentially inspired by ecclesiastical tradition, which used
representations of such women to exemplify human fate. Prostitutes were considered as « free » and « poor » women deprived
of protection, or as women seduced by the material world. Their weakness rendered the community responsible for their care.
However, at the end of the Middle Ages, a new image born of a morality independent of religious tradition prevailed : the
prostitute was considered as a whore, using her power to abuse men. This interpretation reflects a new anthropological and
community conception in the cities, and one which justified the expulsion and the mutilation of women who did not comply with
the ethics of urban morality.
Citer ce document / Cite this document :
Schuster Beate. L'imaginaire de la prostitution et la société urbaine en Allemagne (XIII-XVIe siècle). In: Médiévales, N°27, 1994.
pp. 75-93.
doi : 10.3406/medi.1994.1314
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1994_num_13_27_1314Médiévales 27, automne 1994, pp. 75-93
Béate SCHUSTER
L'IMAGINAIRE DE LA PROSTITUTION
ET LA SOCIÉTÉ URBAINE EN ALLEMAGNE
(XIIIe-XVI« SIÈCLES)
Beaucoup d'historiens n'hésitent pas à parler, sans autre forme
de procès, de prostituées au Moyen Âge. Certes, l'usage du mot mere-
trix semble témoigner d'une continuité des mœurs, mais ce terme fait
partie de l'héritage culturel de l'Antiquité et il est difficile de savoir
ce qu'il signifiait dans un contexte social différent. Si des textes caro
lingiens interdisent la présence de telles femmes à la cour, nous ne
savons absolument pas quelle réalité sociale était en jeu. S'agissait-il
de concubines de grands nobles, de jongleuses ou simplement de ser
vantes aptes à tout service ?
De même, on a souvent cité la lettre de Boniface dans laquelle
il se plaint que beaucoup de femmes parties en pèlerinage pour Rome
deviennent des prostituées. Mais l'enjeu de ce discours, émanant d'un
clerc rigoureux pour qui toute femme constituait un danger moral,
reste obscur1. Nous ne voyons clair que lorsque les premiers termes
vernaculaires apparaissent : derrière le mot meretrix se devine alors
une réalité complexe, car les sources nous offrent toute une gamme
d'expressions diverses. La langue elle-même nous guide vers les repré
sentations médiévales, dont je voudrais indiquer les principaux traits.
Je commencerai par les sources du droit, pour ensuite circonscrire
l'imaginaire social et religieux de la prostitution. Mais les discours
médiévaux sont loin d'être constants. La réalité et les mentalités de
la communauté dans les villes subissent des mutations radicales au
bas Moyen Âge, ce qui a eu un profond retentissement sur les repré
sentations de la prostitution. Le discours urbain s'éloigne, à partir
du XIVe siècle, des conceptions ecclésiastiques et se replie sur l'ordre
social. Même lestée de tradition, la nouvelle façon de penser la pros
titution se diversifie en fonction des changements sociaux.
1. Pour ces considérations voir L.L. Otis, Prostitution in Medieval Society. The
History of an Urban Institution in Languedoc, Chicago, Londres, 1980, pp. 12-14. B. SCHUSTER 76
Les prostituées dans le droit
Je ne parlerai ni du droit canonique ni du droit romain. Jusqu'à
la fin du XVe siècle, dans les villes allemandes, les allusions à ces
droits savants restent des emprunts isolés et théoriques sans effets
durables2. Les statuts du faubourg de Vienne de 1241, par exemple,
stipulent que le salaire d'une prostituée, comme le gain d'un joueur
professionnel, ne peut pas être revendiqué par une plainte devant le
conseil municipal, parce que l'argent a été gagné par un acte
immoral3. Cette clause se réfère à une discussion universitaire du
XIIIe siècle, qui tourne autour de la question du droit de la prosti
tuée à son salaire4. Mais même si nous trouvons un statut équival
ent au XVe siècle à Bâle5, nous ne pouvons prouver qu'il a vraiment
affecté les relations entre prostituées et clients. Ces deux décrets res
tent des cas isolés et signifient plutôt une mise à l'écart symbolique,
proche d'autres mesures diffamatoires, dont je parlerai plus loin. À
ma connaissance, un client, qui ne voulait pas payer dans un bordel
municipal, devait partout s'attendre à être puni. Un exemple encore
plus convaincant du décalage entre le droit urbain et le droit romain
nous est fourni par le Sachsenspiegel, cette rédaction du coutu-
mier du XIIe siècle qui a profondément influencé le développement du
droit dans l'Allemagne du Nord jusqu'aux temps modernes. Eike von
Repgow, l'auteur de cette collection, proclame qu'une femme ne peut
pas être déshéritée à cause de ses mœurs. Il distingue nettement l'hon
neur et le droit en disant : « Une femme peut détruire son honneur
par son impudicité, mais elle ne perdra ainsi ni son droit ni son héri
tage »6. Le droit canonique, en revanche, influencé par le droit
romain, interdisait la capacité testamentaire des prostituées7.
Néanmoins, la présence de prostituées ne préoccupait pas seul
ement les clercs érudits mais aussi les autorités locales, selon un point
de vue tout à fait différent. En ses débuts, le droit municipal procé
dait d'une association de citadins, qui s'étaient mis d'accord contre
le seigneur de la ville et s'obligeaient à régler pacifiquement leurs que-
2. Pour la réception tardive du droit romain dans les villes allemandes voir
E. Isenmann, Die deutsche Stadt im Spàtmittelalter 1250-1500. Stadtgestalt, Recht,
Stadtregiment, Kirche, Gesellschaft, Wirtschaft, Stuttgart, 1988, p. 144.
3. G. Winter, « Das WienerNeustàdter Stadtrecht des 13. Jahrhunderts », Archiv
fur ôsterreichische Geschichte, t. 60, 1880, pp. 230-31.
4. J. A. Brundage, Law, Sex and Christian Society in Medieval Europe, Chicago,
1987, pp. 393, 523.
5. Rechtsquellen von Basel Stadt und Land, J. Schnell éd., t. 1, Bâle, 1856,
p. 23.
6. Sachsenspiegel (Landrecht), K. A. Eckhardt éd., Gôttingen, 1955, III, 15 § 2,
p. 77.
7. J.A. Brundage, op. cit., pp. 30, 46 ; J. A. Brundage, « Prostitution in
Medieval Canon Law », dans V. L. Bullough et J. A. Brundage dir., Sexual Pract
ices and the Medieval Church, New York, 1982, pp. 149-160, ici : p. 154. L'IMAGINAIRE DE LA PROSTITUTION 77
relies, en les déférant à un tribunal arbitral constitué entre égaux8.
Ce règlement était suffisamment efficace pour empêcher les hostilités
entre les familles résidentes, même s'il ne pouvait pas mettre fin aux
affrontements entre particuliers dans une culture où l'honneur masc
ulin reposait sur une démonstration de force et d'agressivité9. L'éta
blissement de la paix reste une préoccupation des villes jusqu'aux
temps modernes.
Les étrangers qui venaient en ville — dont beaucoup de femmes
— constituaient un problème pour les communautés urbaines des xm«
et XIVe siècles. Le droit communal de Vienne de 1278 par exemple
refuse de parler de communïbus mulieribus, quia indignum esset, ipsas
legum laqueis innodare10. Ici l'idée de communauté urbaine
s'exprime par la métaphore du filet tendu entre les hommes de la ville.
La version vernaculaire du droit de Vienne rédigée en 1340 explique
l'indignité des femmes communes de façon plus explicite. Le texte note
qu'il serait indigne et inapproprié de les forcer à se marier". Les
femmes sans relation sexuelle exclusive posaient un problème, parce
qu'elles ne faisaient pas partie d'une famille. Mais il était quand même
indispensable de trouver un statut pour « les femmes libres » 12, une
expression qui reflète leur position à l'écart du réseau judiciaire et
familial.
La solution qui s'imposait était simple. Il fallait trouver quelqu'un
qui fût responsable d'elles. Au début, toute la communauté les pre
nait en charge. Tout homme pouvait plaider pour une prostituée
devant le conseil, si elle avait été agressée13. Et si

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