L œil de l historien et la voix de l histoire - article ; n°1 ; vol.43, pg 55-69
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L'œil de l'historien et la voix de l'histoire - article ; n°1 ; vol.43, pg 55-69

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Description

Communications - Année 1986 - Volume 43 - Numéro 1 - Pages 55-69
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1986
Nombre de lectures 8
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

François Hartog
L'œil de l'historien et la voix de l'histoire
In: Communications, 43, 1986. pp. 55-69.
Citer ce document / Cite this document :
Hartog François. L'œil de l'historien et la voix de l'histoire. In: Communications, 43, 1986. pp. 55-69.
doi : 10.3406/comm.1986.1639
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1986_num_43_1_1639François Hartog
L'œil de l'historien
et la voix de l'histoire
Voir, c'est par principe voir plus qu'on ne voit...
M. Merleau-Ponty
Pour cerner la question de l'historien et de son objet, je propose
d'interroger, à travers trois moments du XIXe siècle et trois figures
d'historiens français, la vieille association entre l'œil et l'histoire,
théorisée par les premiers historiens grecs et déjà inscrite dans le mot
lui-même, puisque histôr, à date ancienne, signifiait le témoin.
Il y a une histoire de la vision, ou, de façon plus large encore, du
visible et de l'invisible, de leur organisation et de leur partage, chan
geant d'une époque à l'autre ; histoire aux multiples composantes,
scientifique, artistique, religieuse, mais aussi politique, économique,
sociale ; histoire de la vérité aussi. A l'intérieur de cette histoire génér
ale, un chapitre pourrait être consacré à une archéologie du regard
historien, qui repérerait, à partir de l'œil et de sa place, les divers
régimes d'historicité qui, de l'Antiquité à nos jours, ont prévalu :
l'« autopsie » thucydidéenne, Y auctoritas médiévale, la découverte ocu
laire du monde à partir de la Renaissance, la vision synoptique et quasi
divine d'un Bossuet, la vision synoptique et philosophique d'un Vol
taire, le ou plutôt les réalismes du XIXe siècle ; une histoire où le visible
n'est ni donné ni découvert, mais construit ; l'inclusion de l'observa
teur dans son observation... ; qui montrerait comment, postés là où
visible et invisible s'entrecroisent, les historiens ont pu apparaître
comme des maîtres de vérité, devenir des maîtres d'école, ou des fonc
tionnaires de l'oubli.
Si l'histoire est vision, elle est aussi audition : un mixte d'« œil » et
d'« oreille » pour Hérodote 1 ; l'enquêteur transforme, par son écriture,
le dire des témoins en voir pour le lecteur. Indiquer comment s'art
iculent dans le discours historien le visible et l'audible, au
55 François Hartog
cours des siècles, du point de vue de la vérité qu'ils emportent et de la
créance qu'ils suscitent, les parts respectives du vu et de l'entendu,
appartient donc aussi à cette enquête. Il y a des regards historiens,
mais aussi des voix de l'histoire, qui peuvent parfois, comme chez
Michelet, n'être plus qu'une seule voix : celle de la France.
Les historiens qui, à parler strictement, ne « voient » rien ou pres
que, en tout cas plus rien depuis qu'il a été convenu que l'histoire se
faisait non au présent, mais au passé, n'ont pu éviter, dans leurs récits
et dans leurs réflexions de méthode, de recourir, naturellement, à cette
— faut-il dire — métaphore de la vision, d'employer cette figure, de
conceptualiser leur pratique à travers ce langage figuré. Cette approche
pourrait aider aussi à mener un peu plus loin le débat sur histoire et
littérature ou histoire et fiction, non pas du tout pour réduire la pre
mière à la seconde, en s'arrêtant aussi sur la manière dont, par exemp
le, l'œil des romanciers du XIXe siècle travaille le partage entre visible
et invisible et dit le réel.
m Dans la poussière des chroniques.,. »
Comment, pour l'historiographie libérale, le visible est-il struc
turé ? Avant tout politique, son projet est de penser le politique ou la
Révolution, qui est tout à la fois rupture et commencement, mais aussi
aboutissement prévisible de la longue marche du tiers état (entamée
depuis le XIIe siècle avec la révolte communale), mais encore excès,
dépassement et donc oubli de son propre but, échec et inachèvement 2.
La voir dans sa vérité est donc la tâche première. Comme homme
politique (qu'il est souvent activement), l'historien libéral entend
l'achever, en dotant enfin la France de la monarchie constitutionnelle
que, contrairement à l'Angleterre, elle a manqué ; comme historien, il
a besoin de la bien comprendre, pour pouvoir faire enfin cette « véri
table histoire » de France que tout historien de quelque importance se
considère désormais requis d'écrire. Ainsi, Thierry estime que « notre
Révolution éclaire les révolutions médiévales » et que « l'histoire de
France telle que nous l'ont faite les écrivains modernes n'est point la
vraie histoire du pays » 3. Car ils n'ont pas su voir la Révolution, rée
llement. Être historien, désormais, c'est être un généalogiste de l'identité.
A la différence de l'historiographe classique, qui est comme l'œil du
roi 4, ou du philosophe des Lumières, qui se voit en peintre d'histoire,
l'historien libéral n'est pas un observateur détaché, hors champ ou
hors de l'histoire, qui, dans la distance même, saisit dans une vision
56 L'œil de l'historien et la voix de l'histoire
synoptique la vérité de son objet. Il s'octroie cependant une place
privilégiée : non pas immergé ou submergé, comme le chroniqueur
médiéval, il observe l'histoire au moment où elle est près de se termi
ner. Pour Thierry, en effet, 1830 vaut comme quasi-fin de l'histoire :
« Croyant avoir sous mes yeux la fin providentielle du travail des
siècles écoulés depuis le XIIe siècle. » De ce point de vue « extrême »,
proche de son achèvement, l'histoire se donne à voir et révèle le sens
profond de son mouvement : « Cette Révolution a fait faire un pas au
développement logique de notre histoire 5. »
Non pas détaché, mais engagé dans son présent, l'historien écrit
pour un lecteur, lui-même partie prenante et potentiel acteur dans ce
présent, à qui son récit doit faire voir ce progrès de l'histoire. De cet
objectif il découle, du point de vue de la composition et de l'écriture,
qu'il ne faut pas dissocier narration et commentaire.
C'est une fausse méthode que celle qui tend à isoler les faits de ce
qui constitue leur couleur et leur physionomie individuelle ; et il
n'est pas possible qu'un historien puisse d'abord bien raconter
sans peindre, et ensuite bien peindre sans raconter. Ceux qui ont
adopté cette manière d'écrire ont presque toujours négligé le récit,
qui est la partie essentielle de l'histoire, pour les commentaires
ultérieurs qui doivent donner la clé du récit. Le commentaire
arrive et n'éclaircit rien, parce que le lecteur ne le rattache point à
la narration dont l'écrivain l'a séparé 6.
De façon plus générale, fort préoccupés par cette question plus
méthodologique que stylistique, des historiens comme Thierry ou
Barante se réfèrent à deux modèles : la peinture et le roman. Toutefois,
à travers la métaphore picturale, la question posée n'est plus comme
au xviir siècle celle du point de vue, mais celle de la couleur. Dans
VHistoire des ducs de Bourgogne, Barante entend « présenter une pein
ture fidèle d'un des siècles de notre histoire 7 ». Comment ? En se
fondant sur les « chroniques naïves » du temps ; mais imiter leur lan
gage eût été artificiel et affecté ; ce qu'il faut, c'est, « pénétrant dans
leur esprit », « reproduire leur couleur ». A ce point le modèle roma
nesque vient prendre la relève de la peinture. Pour non pas imiter,
mais retrouver cette couleur, qui est aussi la marque de la vérité et le
signe de la vie, l'historien peut en effet se tourner vers le roman
historique, dont les techniques narratives ont su satisfaire à cette
exigence de la juste couleur, ou de la couleur locale. « J'ai tenté de
restituer à l'histoire elle-même l'attrait que le roman historique lui a
emprunté 8. » L'histoire ne fait d'ailleurs que reprendre ce qui lui
appartient : la vérit&#

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