La Grammaire générale de Port-Royal et la critique moderne - article ; n°7 ; vol.2, pg 16-33
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Description

Langages - Année 1967 - Volume 2 - Numéro 7 - Pages 16-33
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1967
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

J.-Cl. Chevalier
La Grammaire générale de Port-Royal et la critique moderne
In: Langages, 2e année, n°7, 1967. pp. 16-33.
Citer ce document / Cite this document :
Chevalier J.-Cl. La Grammaire générale de Port-Royal et la critique moderne. In: Langages, 2e année, n°7, 1967. pp. 16-33.
doi : 10.3406/lgge.1967.2880
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1967_num_2_7_2880J.-CL. CHEVALIER
LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE DE PORT-ROYAL
ET LA CRITIQUE MODERNE
L'Histoire de la Langue française, entreprise par F. Brunot il y a une
soixantaine d'années, est, comme son titre l'indique, une histoire de la
langue, de son développement, de ses triomphes. Si elle enferme une histoire
de la grammaire, c'est parce que les grammairiens apportent, chacun à
tour de rôle, en rang, un tribut à l'identification d'une matière qu'on invent
orie; ils sont tenus pour pourvoyeurs de l'historien. Celui-ci retient les tours
et expressions linguistiques qui intéressent la synthèse de la langue; le
reste, la théorie, l'appareil méthodologique, apparaît comme une gêne dès
que semble voilé si peu que ce soit l'inventaire; on regrette presque n'aient pas été livrés des fichiers bruts. De Ramus, il est dit surtout
par Brunot qu'il copia ses prédécesseurs; de sa méthode, on parle comme
d'un « excès de nouveauté et de hardiesse ». De la Grammaire de Port-
Royal, on juge avec enthousiasme, car c'est le premier livre qui fonde en
dignité la grammaire française en lui donnant le pas sur la latine; on la
tient pourtant quelque peu en lisière, car elle a donné naissance à toutes
les « fantaisies » de la grammaire philosophique et surtout à cette
ellipse, que F. Brunot pourchassa d'une haine vigilante pendant toute
sa carrière; supposer une ellipse, c'était refuser la vérité des faits. Le grand
homme, c'est Vaugelas, le greffier de l'usage; on ne pourra pas mieux louer
Meigret ou Maupas qu'en les déclarant précurseurs du grand Savoyard.
Une telle conception procède d'un sociologisme naïvement positiviste, qui
croit que les faits s'organisent d'eux-mêmes dès qu'on les a débarrassés des
voiles de l'apriorisme; appuyé sur quelques principes simples, comme le
principe d'analogie qui permet de rapprocher des faits et par là de les opposer
et de les organiser, le grammairien n'a plus qu'à laisser « honnêtement »
parler son fichier. Ajoutons que la démarche de Brunot et de ses disciples
était soutenue par une idée tenace de progrès que le 18e siècle avait éla
borée : de même que la langue se rapproche d'un certain point de perfection,
de même la grammaire qui en est le reflet s'améliore constamment; sous
les maladresses des premiers grammairiens, on voit se dessiner peu à peu ce
que sera cette grande grammaire qui dévoilera la spécificité du donné
français; Meigret et Ramus annoncent Maupas qui a montré la voie à Vaug
elas. La grammaire philosophique elle-même sous les outrances, décrira
la richesse de notre langue. L'obstacle, c'est le latin, qui impose ses cadres
au français. Avec non moins d'acharnement qu'il avait mis à pourfendre
les apriorismes philosophiques, F. Brunot visera les présuppositions qu'in- 17
fligent les modèles hérités de la grammaire ancienne. Les faits du français
doivent être relevés et classés pour eux-mêmes.
Il ne s'agit pas évidemment ici de diminuer les mérites du chef-d'œuvre
qu'est l'if. L. F.; on veut simplement expliquer pourquoi l'histoire de la
grammaire tient si peu de place dans cet énorme ouvrage, pourquoi sans
doute aussi Stengel qui en caressa longtemps le projet renonça à écrire une
histoire de la grammaire française : ce n'est pas seulement à mon sens que
l'entreprise était démesurée, c'est surtout qu'elle apparaissait comme
infondée; à quoi bon passer en revue des essais malheureux qui le cédaient
en mérite à des ouvrages récents plus remarquables? Les essais de Livet,
de Harnois, de Clément n'étaient guère encourageants; ces monographies
se résumaient en des collations de classements qu'on était tenté d'organiser
avec plus de bonheur que ne l'avaient fait les vieux auteurs.
On raisonne tout autrement aujourd'hui : on s'efforce d'apprécier la
valeur des hypothèses qui sont édifiées par les savants au contact des faits
et qui sont simplement posées comme modèles d'interprétation; et, dans ce
but, on les compare avec des systèmes antérieurs qui ont déjà fonctionné,
qui ont déjà donné une forme aux faits, qui furent des totalités contestées :
totalités, ils dévoilaient des signifiants; contestés, ils laissaient
apparaître comment et pourquoi d'autres systèmes pouvaient être proposés.
Il se trouve par un bonheur qui n'est pas aléatoire, que trois grands livres
d'histoire se sont posés récemment aux trois niveaux relevant des visées
dévolues à la grammaire. La grammaire vise à codifier le langage en tant
qu'il est élément de la connaissance; aussi M. Foucault analysant, dans Les
Mots et les Choses (1966, Gallimard), les mutations de Fépistémologie, de
la Renaissance à l'âge classique, puis de là, au 19e siècle, a été conduit à
accorder une attention constante aux démarches des grammairiens, embras
sant avec pénétration l'instauration d'un ordre par la forme supposée
au langage. Ces mutations épistémologiques supposent l'élaboration de
méthodes : de Ramus, qui a donné un contenu moderne à la vieille notion
de méthode, au mouvement cartésien, qui lui a donné un sens, des hypo
thèses de travail s'élaborent; N. Chomsky dans ses Cartesian linguistics
(Harper and Row, 1966) a rapproché les interprétations des âges classique
et romantique (de Descartes à Humboldt et Schlegel) de ses propres construct
ions, la création de la syntaxe au 17e siècle de l'instauration d'une gram
maire transformationnelle qui prétend dépasser le formalisme structuraliste.
Enfin une grammaire est un élément d'enseignement, elle impose à l'écolier
un certain type d'appropriation du monde. G. Snyders, dans une thèse bril
lante, La Pédagogie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles (P. U. F., 1965),
a interprété la transformation de l'enseignement des langues à cette époque
pour dégager les conceptions successives et différentes de l'homme dans
le monde \
Le rôle que joue ici la Grammaire générale et raisonnée sera le sujet de
cet article.
De ces trois analyses posées à trois niveaux différents découlent des
interprétations qui se complètent sans se recouvrir. M. Foucault montre
que pour les savants du 16e siècle, la langue entre dans un bâtiment fondé
sur la ressemblance; dans le donné, on identifie, selon des règles d'analogie,
1. Au moment de corriger les épreuves, je reçois le livre de R. Donzé, La Gram
maire générale et raisonnée de Port-Royal (Francke, Berne, 1967) : il m'est, hélas! imposs
ible d'en tenir compte. 18
des parentés. Chaque élément est à la fois singulier et miroir des autres;
cette analogie universelle différenciée en espèces construites se révèle à
nous par des marques que le savant déchiffre, ce que Foucault nomme jol
iment, adaptant un titre de Crollius, des « signatures »; on distingue ces
signes, on définit ce qui les institue comme signes, puis on en découvre le
sens; double opération dont chacune suppose l'autre (44). Le savoir qui en
résulte est illimité, fruit d'une addition sans fin, parce que la recherche
n'est qu'un jeu de miroirs :
« En posant comme lien entre le signe et ce qu'il indique la ressem
blance (à la fois tierce puissance et pouvoir unique puisqu'elle habite de la
même façon la marque et le contenu), le savoir du 16e siècle s'est condamné
à ne connaître toujours que la même chose, mais à ne la connaître qu'au
terme jamais atteint d'un parcours indéfini » (45).
« Savoir pauvre », commente M. Foucault. Le langage se pose ou plu
tôt s'oppose dans son opacité de mystère; il se révèle comme organisé,
mais il

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