Le chamanisme bien tempéré. Les Jésuites et l évangélisation de la Nouvelle Grenade - article ; n°2 ; vol.101, pg 789-815
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Le chamanisme bien tempéré. Les Jésuites et l'évangélisation de la Nouvelle Grenade - article ; n°2 ; vol.101, pg 789-815

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Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée - Année 1989 - Volume 101 - Numéro 2 - Pages 789-815
Carmen Bernand, Le chamanisme bien tempéré, p. 789-815. À partir de la documentation sur la Nouvelle Grenade (Colombie actuelle) réunie dans les archives romaines de la Compagnie de Jésus (ARSI) l'auteur étudie les modalités de l'évangélisation des Indiens Muisca en se centrant sur la figure du missionnaire dans le rôle de chaman, que les indigènes lui prêtent. La parole, telle qu'elle s'exprime dans le sermon, sa fonction de guérisseur et de thaumaturge en sont les principales qualités de ces missionnaires du début du XVIIe siècle, qualités qu'ils exploitent au nom de la conversion des infidèles. D'autres modalités d'évangélisation qui accordent une importance capitale à la manipulation des émotions sont analysées ici : les représentations théâtrales allégoriques, les exemples de glossolalie, la musique terrifiante des saetas andalouses, les images peintes et les visions. Les rapports entre ces missionnaires et les Indiens s'inscrivent dans un modèle chamanique où les trois fonctions dévolues au chaman, voir, savoir et pouvoir, sont cependant dissociées, produisant comme résultat un système «bien tempéré».
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 48
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Bernand Carme
Le chamanisme bien tempéré. Les Jésuites et l'évangélisation
de la Nouvelle Grenade
In: Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée T. 101, N°2. 1989. pp. 789-815.
Résumé
Carmen Bernand, Le chamanisme bien tempéré, p. 789-815.
À partir de la documentation sur la Nouvelle Grenade (Colombie actuelle) réunie dans les archives romaines de la Compagnie de
Jésus (ARSI) l'auteur étudie les modalités de l'évangélisation des Indiens Muisca en se centrant sur la figure du missionnaire
dans le rôle de chaman, que les indigènes lui prêtent. La parole, telle qu'elle s'exprime dans le sermon, sa fonction de guérisseur
et de thaumaturge en sont les principales qualités de ces missionnaires du début du XVIIe siècle, qualités qu'ils exploitent au
nom de la conversion des infidèles. D'autres modalités d'évangélisation qui accordent une importance capitale à la manipulation
des émotions sont analysées ici : les représentations théâtrales allégoriques, les exemples de glossolalie, la musique terrifiante
des saetas andalouses, les images peintes et les visions. Les rapports entre ces missionnaires et les Indiens s'inscrivent dans un
modèle chamanique où les trois fonctions dévolues au chaman, voir, savoir et pouvoir, sont cependant dissociées, produisant
comme résultat un système «bien tempéré».
Citer ce document / Cite this document :
Carme Bernand. Le chamanisme bien tempéré. Les Jésuites et l'évangélisation de la Nouvelle Grenade. In: Mélanges de
l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée T. 101, N°2. 1989. pp. 789-815.
doi : 10.3406/mefr.1989.4065
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mefr_1123-9891_1989_num_101_2_4065CARMEN BERNAND
LE CHAMANISME BIEN TEMPÉRÉ
LES JÉSUITES ET L'ÉVANGÉLISATION DE LA NOUVELLE GRENADE
«Connaître l'art d'impressionner l'imagination des foules
c'est connaître l'art de les gouverner».
Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1985).
Dans un article pionnier1, Serge Gruzinski faisait découvrir à l'a
nthropologie américaniste la richesse des fonds jésuites rassemblés dans
les archives de la Compagnie, à Rome. Analysant notamment les Litterae
annuae, cet auteur portait son attention sur les visions indigènes rapport
ées par les missionnaires lors des campagnes d'évangélisation menées
entre 1580 et 1620 au Mexique, montrant ainsi les caractéristiques de l'a
cculturation de l'inconscient indigène en s'inspirant de la méthode de
George Devereux.
D'autres spécialistes des mentalités indigènes de l'Amérique comme
Pierre Duviols et Gerald Taylor2 découvraient dans ces archives des tex
tes inédits sur les rites et les mythes des populations autochtones du
Pérou. Ces récits avaient été rédigés dans la période consacrée à l'extirpa
tion des idolâtries de la fin du XVIe siècle aux années vingt du XVIIe siè
cle. C'est ainsi que dans le domaine de la reconstitution des croyances
préhispaniques comme dans celui de l'acculturation religieuse, les sour
ces jésuites romaines renouvelaient les connaissances sur les sociétés indi
gènes de l'Amérique hispanique.
Bien plus modeste est la visée du travail que nous présentons ici,
fruit d'une recherche sur la conversion par les Jésuites des Indiens dans
les pays andins septentrionaux. En nous appuyant sur un corpus de sept
volumes de lettres intitulé Novi Regni et Quitensis portant sur la Nouvelle
1 Gruzinski 1974.
2 Duviols 1986, p. 449-460. Taylor, 1987, voir p. 525.
MEFRIM - 101 - 1989 - 2, p. 789-815. CARMEN BERNAND 790
Grenade (Colombie) et Quito (Equateur) de la fin du XVIe siècle jusqu'au
milieu du XVIIIe siècle, que nous avons complété avec des lettres sur ces
régions classées dans les Litter ae Peruana, nous avons voulu illustrer un
aspect de l'évangélisation des populations américaines, celui de l'exploita
tion systématique par les missionnaires de la Compagnie de Jésus non
seulement de leur propre charisme mais aussi du merveilleux et des émot
ions, du moins dans les premières années de leur action. Nous pensons
en effet comme Pierre Duviols, que «les Pères ont d'abord tiré tout le part
i possible des techniques psychologiques de la dissuasion»3, mais celles-
ci ont été insuffisamment étudiées, sans doute parce que les Jésuites, en
présentant leur méthode, ont mis l'accent sur l'importance de la réfuta
tion théorique et de la persuasion, écartant ainsi - du moins dans les
exposés théoriques - toute dimension irrationnelle.
Le fonds Novi Regni et Quitensis est peu important en comparaison
des recueils équivalents qui existent pour le Mexique et le Pérou colo
niaux, publiés en grande partie dans les séries Monumenta Mexicana et
Monumenta Peruana. Les documents que nous avons consultés traitent en
premier chef de questions relatives à l'histoire de la Compagnie de Jésus.
Ces données ont été étudiées par des auteurs qui font l'autorité en la
matière, comme Juan Manuel Pacheco et leur discussion échappe à notre
compétence. En revanche, les riches témoignages sur les populations
indigènes et sur leur christianisation présentent un intérêt certain pour
l'anthropologue américaniste que nous sommes; c'est sur eux en premier
lieu que cet article se fonde. Les lettres parlent surtout des sociétés indi
gènes de langues chibcha (notamment les Muisca de la région de Santa
Fe, la Bogota actuelle) et quechua (Andes septentrionales du Nord du
Pérou et de l'Equateur actuel), mais aussi des esclaves africains débar
qués à Cartagena de Indias dans les Caraïbes et des populations métisse et
espagnole des villes coloniales. Afin d'éviter l'éparpillement de la docu
mentation, nous centrerons notre exposé sur la région des vallées de
Bogota - la sabana - en ajoutant pour la clarté ou l'intérêt de l'argument
ation, dés informations issues d'autres zones de la Nouvelle Grenade ou
des Andes.
Dans la mesure où il est question d'ethnographie, il convient de don
ner un aperçu succinct des traits caractéristiques des cultures indigènes
considérées. Le groupe linguistique chibcha était le plus important de la
région nord-occidentale de l'Amérique du Sud. À l'arrivée des Espagnols
des populations appartenant à cette famille étaient disséminées le long
3 Duviols 1971, p. 141-142. LES JÉSUITES ET LÉVANGÉLISATION DE LA NOUVELLE GRENADE 791
d'un vaste territoire dont les frontières dépassaient de loin les limites de
la Nouvelle Grenade. En effet l'influence chibcha s'étendait jusqu'au
Nicaragua et probablement l'actuel Honduras et, vers le Sud, jusqu'aux
contreforts du Chimborazo, en Equateur; enfin, l'empreinte de ces grou
pes semble attestée également dans les basses terres forestières de l'Apur
e, affluent de l'Orénoque. En fait le nombre considérable de dialectes et
de variantes régionales donna aux Espagnols du XVIe siècle l'impression
d'avoir affaire à une mosaïque linguistique quasiment indéchiffrable, que
le franciscain Pedro de Simon qualifia de «maladie du royaume»4. Cette
diversité explique que, contrairement à d'autres grandes familles linguis
tiques amérindiennes, comme le nahuatl, le quechua et le guarani, le
chibcha et son principal dialecte, le muisca, ne réussirent jamais à s'im
poser comme langue de communication et disparurent dans beaucoup de
régions à l'époque coloniale5.
Parmi les tribus de langue chibcha qui peuplaient la Colombie actuell
e, les Muisca (ou Moscas selon la graphie de l'époque) des vallées de
Bogota, Tunja et Sogamoso occupent une place de choix. Ces sociétés
s'étendaient, à l'aube du XVIe siècle, sur un territoire situé au centre de la
cordillère orientale des Andes, en bordure du Piémont amazonien. En fait
les groupes étaient organisés autour de cinq chefferies dominées par le
zipa de Bogota ; le zaque de Tunja et le seigneur de Sugamuxi (Sogamoso),
de traditions culturelles similaires acceptaient de mauvais gré cette su
prématie qui était par ailleurs menacée par d'autres chefferies rivales
dont les Muza de La Palma6. Lorsque le 12 mars 1538, l

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