Le phénomène japonais otaku - article ; n°1 ; vol.151, pg 91-101
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Communication et langages - Année 2007 - Volume 151 - Numéro 1 - Pages 91-101
L'otakisme est un phénomène qui préoccupe depuis vingt ans les observateurs de la société japonaise. Il se caractérise par une hypertechnologisation de la vie quotidienne, qui affecte profondément le mode de vie. Les otakus ne se lient à autrui qu'au sein de communautés virtuelles. Ils désinvestissent toutes les pratiques sociales ordinaires. Nicolas Oliveri s'appuie sur l'étude de l'otakisme pour poser plusieurs questions centrales : les technologies sont-elles une cause ou une compensation à ce retrait hors de la société ? L'histoire du Japon de l'après-guerre et l'éducation des enfants peuvent-ils expliquer l'otakisme? La technologisation de la vie domestique et des loisirs qui gagne notre culture implique-t-elle le risque de telles modifications des pratiques relationnelles et des identités ?
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Publié le 01 janvier 2007
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Langue Français

Extrait

Nicolas Oliver
Le phénomène japonais otaku
In: Communication et langages. N°151, 2007. pp. 91-101.
Résumé
L'otakisme est un phénomène qui préoccupe depuis vingt ans les observateurs de la société japonaise. Il se caractérise par une
hypertechnologisation de la vie quotidienne, qui affecte profondément le mode de vie. Les otakus ne se lient à autrui qu'au sein
de communautés virtuelles. Ils désinvestissent toutes les pratiques sociales ordinaires. Nicolas Oliveri s'appuie sur l'étude de
l'otakisme pour poser plusieurs questions centrales : les technologies sont-elles une cause ou une compensation à ce retrait hors
de la société ? L'histoire du Japon de l'après-guerre et l'éducation des enfants peuvent-ils expliquer l'otakisme? La
technologisation de la vie domestique et des loisirs qui gagne notre culture implique-t-elle le risque de telles modifications des
pratiques relationnelles et des identités ?
Citer ce document / Cite this document :
Oliver Nicolas. Le phénomène japonais otaku. In: Communication et langages. N°151, 2007. pp. 91-101.
doi : 10.3406/colan.2007.4638
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_2007_num_151_1_463891
Le phénomène japonais
otaku
NICOLAS OLIVERI
L'otakisme est un phénomène qui préocLa relation entre l'homme et les technologies provoque des
questionnements particulièrement aigus. La technique est cupe depuis vingt ans les observateurs
actuellement si proche de l'homme qu'elle évoque une forme de la société japonaise. Il se caractérise
de fusion. Les sociétés occidentales feraient bien de ne pas par une hypertechnologisation de la vie
occulter la portée d'un débat qui nous met au cœur de quotidienne, qui affecte profondément
quelque chose de grand, de proche, de presque palpable. Les le mode de vie. Les otakus ne se lient
utilisateurs assidus de la technique mettent au jour une série à autrui qu'au sein de communautés
de nouveaux usages et de nouveaux comportements, quali- virtuelles. Ils désinvestissent toutes
fiables de pratiques alternatives du cyberespace. Ces comport les pratiques sociales ordinaires.
ements traduisent-ils des pathologies auxquelles une Nicolas Oliveri s'appuie sur l'étude de
configuration historique, sociale, et technique donne une
l'otakisme pour poser plusieurs quesforme particulière? Préfigurent-ils des évolutions radicales
tions centrales : les technologies sont-
des modes de vie en société ?
elles une cause ou une compensation à La société japonaise témoigne d'un rapprochement
ce retrait hors de la société ? L'histoire entre l'humain et la virtualité, à travers un phénomène
du Japon de l'après-guerre et l'éducasocioculturel parfaitement identifié, les otakus. « Si l'on
tion des enfants peuvent-ils expliquer m'avait interrogé, au début des années quatre-vingt sur le
l'otakisme? La technologisation de la phénomène otaku, j'aurais sans doute répondu qu'il s'agis
vie domestique et des loisirs qui gagne sait là d'une mode passagère comme les médias japonais en
notre culture implique-t-elle le risque de sont friands1 ». Depuis deux décennies maintenant, l'otakisme
telles modifications des pratiques relanippon donne la possibilité d'observer l'utilisation à
outrance des technologies informatiques et vidéoludiques, tionnelles et des identités ?
et d'évaluer leur impact sur le développement identitaire et
social d'individus fragilisés. L'examen du phénomène
otaku peut contribuer à la problématique générale des effets
sociaux du développement des technologies de l'information
et de la communication.
Deux auteurs italiens, Rosa Isabella Furnari et Massimi-
liano Griner, dressent le portrait des otakus : « Collectionneurs
1. Barrai, E., Otaku, les enfants du virtuel, Denoel Impacts, 1999, p. 13.
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dévoués et maniaques, fétichistes de l'image, esthètes de la serialisation, les jeunes
otakus habitent une dimension "autre, où l'univers des mangas, des jeux vidéo, du
sexe médiatique, remplace tout principe de réalité"2 ». L'otaku s'inscrit dans une
logique de démission sociale. Il s'extrait de sa culture réelle d'appartenance. Il
établit son existence au cœur du virtuel et du multimédia. Serait-ce parce qu'il vit
dans un pays qui, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, a su développer ses aff
inités avec une culture de l'électronique ? S'est-il réfugié dans des univers virtuels
pour s'approprier un substitut à sa famille, la structure de cette dernière s'étant
dissoute ? A-t-il peur des sentiments ? Pourquoi cherche-t-il à retrouver ses semblab
les au sein de communautés virtuelles ? L'influence américaine dans la reconstruc
tion économique du pays après-guerre, les spécificités de la culture japonaise, ainsi
que l'omniprésence du groupe dans la tradition nippone, facteur latent de
l'otakisme dans ce pays, seront nos principales pistes de réflexion.
Être otaku
Le terme otaku voit le jour en 1983. Il est proposé par l'essayiste Nakamori Akio3.
La langue française ne fournit pas de traduction appropriée pour ce mot. L'idé
ogramme japonais lui correspondant se rapproche des termes de « logis »,
« maison » ou de l'expression « endroit où l'on vit ». « La deuxième signification
du mot est en fait une extension du premier sens : c'est un vouvoiement imper
sonnel et assez distant que les Japonais utilisent quand ils ont besoin de s'adresser
à quelqu'un sans désirer pour autant approfondir la relation ainsi nouée »4. Tous
les otakus s'interpellent entre eux ainsi et nomment leurs différents interlocuteurs
de la sorte. Tenant lieu de carte d'identité collective, la dénomination proclame
l'appartenance à cette grande communauté. « C'est une façon de marquer leur
indifférence vis-à-vis des personnes avec qui ils parlent, de manifester une sorte
d'égoïsme aseptisé comme si les ressorts de leur sensibilité et de leur affectivité
étaient définitivement distendus »\ De ce fait, les otakus n'hésitent pas à appeler
leur propre mère par ce singulier qualificatif, ce qui ne manque pas d'outrer la
plupart des Japonais.
Tout hostiles qu'ils sont à la société japonaise, les otakus n'en ont pas été
exclus. On retrouve ici la force de la cohésion sociale, qui ne donne pas l'occasion
à ces jeunes de s'isoler et de vivre en autarcie. Les otakus sont rattrapés par la
culture ; le lien social ne peut être définitivement rompu. Néanmoins, leur
démarche antisociale est clairement perçue. Elle est ressentie comme le mal-être
de la jeunesse d'une société postindustrielle. Trois domaines prédominants sont
considérés comme à l'origine de l'otakisme : « Éducation, information, consom
mation »6. La reconstruction du Japon a nécessité des efforts colossaux dans ces
2. Griner, M. et Furnari, R. I., Otaku, I giovani perduti de Sol Levante, Castelvecchi editore, Roma,
1999.
3. L'article où apparaît pour la première fois le mot otaku est extrait de la revue de bandes dessinées
pour adultes Burrico. Nakamori Akio est devenu le porte-parole de cette communauté en populari
sant le terme otaku.
4. Barrai, E., op. cit., p. 26.
5. Yamanaka, K., Le Japon au double visage, Denoel, 1997, p. 249.
6. Barrai, E., op. cit, p. 13.
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différents secteurs. Les pouvoirs politiques n'ont pas réussi à raisonner à long
terme et n'ont pas anticipé les effets sociaux de la dissociation de ces trois
politiques.
L'utopie de la technologie, qui allait devenir le fer de lance de l'économie
nippone, répond à un besoin de maîtrise : chacun reçoit la possibilité de contrôler
son environnement, au avec une simple télécommande. Les otakus se sont
rapidement approprié le potentiel offert par ces technologies. « Ils ont grandi en
prenant les médias comme acquis et utilisent ces médias aujourd'hui comme
foyer naturel pour la gratification instantanée de leurs désirs. »7 Un otaku ne se
sent à l'aise que dans l'environnement qu'il s'est inventé, avec les règles qu'il a
lui-m

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