Le rôle des traditions dans la genèse d un sentiment national au XVe siècle. La Bourgogne de Philippe Le Bon  . - article ; n°2 ; vol.129, pg 303-385
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Le rôle des traditions dans la genèse d'un sentiment national au XVe siècle. La Bourgogne de Philippe Le Bon . - article ; n°2 ; vol.129, pg 303-385

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Bibliothèque de l'école des chartes - Année 1971 - Volume 129 - Numéro 2 - Pages 303-385
L'extraordinaire expansion de la puissance bourguignonne sous Philippe le Bon se comprend mieux à la lumière d'un vaste mouvement de propagande, qui se traduit particulièrement dans les « mises en prose » contemporaines de textes épiques. Le souvenir du royaume de Bourgogne-Provence justifie la faveur de la cour ducale pour une « épopée de la révolte » hostile aux Carolingiens : citons entre autres la prose de Girart de Roussillon (G. de Vienne, adversaire de Charles le Chauve) par Wauquelin (1447). Auberi le Bourguignon évoque le roi Boson (f 887) et sa descendance. Garin le Lorrain nous introduit dans la tradition « lotharingienne », qui rattache en revanche Philippe le Bon à ces mêmes Carolingiens pour soutenir certaines de ses revendications en terre d'Empire. Cette tradition explique le succès des Annales Hannonie de Jacques de Guise (traduites par Wauquelin), ainsi que d'un « cycle de la croisade » centré sur Godefroy de Bouillon, Baudouin IX de Flandre ou Jean d'Avesnes, et de textes d'inspiration analogue (G. de Trazegnies, G. de Chin, Comte d'Artois). Dans la ligne des prétentions brabançonnes à reconstituer le ducatus Lotharingie, Philippe le Bon revendique, en 1447-1448, une couronne royale de Brabant (traduction de la Chronique de Dynter par Wauquelin) ; le « mirage rhénan » rend également compte de ses politiques luxembourgeoise et alsacienne. Séduit par les figures des « rois » Bambaux (Radbod, adversaire des Pippinides) et Gondebaud, le duc songe à dominer l'imprécis regnum Frisie ; la traduction de la Chronographia de Jean de Веkа justifie ses visées sur Utrecht. La dynastie ducale se rattache volontiers aux héros antiques (Alexandre ; légende de Troie ; César) ou s'intéresse à ceux du roman « byzantin » et de la « matière de Bretagne », fondant les patrio- tismes régionaux dans le souci universel de l'entreprise d'Orient. Philippe le Bon — dont un « mystère » marque le désir de réconcilier « séparatisme » bourguignon et « patriotisme » français — revendique vainement une dignité royale en France (1419), puis en terre d'Empire (1447). Les héros de l'épopée, vénérés comme ancêtres de la dynastie et comme modèles pour la future croisade, justifient l'existence d'un « État » bourguignon, faite d'unité dans la diversité ; la tradition lotharingienne, prédominante, favorise la genèse d'un sentiment national concrétisé dans le concept de Belgique; 1447 et 1453 représentent des années-clés pour la littérature de propagande ducale. En 1474, le Téméraire, rallié à la tradition burgundo- provençale, rompra définitivement tous liens moraux avec le royaume de France.
83 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 38
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Extrait

Yvon Lacaze
Le rôle des traditions dans la genèse d'un sentiment national au
XVe siècle. La Bourgogne de Philippe Le Bon .
In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1971, tome 129, livraison 2. pp. 303-385.
Citer ce document / Cite this document :
Lacaze Yvon. Le rôle des traditions dans la genèse d'un sentiment national au XVe siècle. La Bourgogne de Philippe Le Bon .
In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1971, tome 129, livraison 2. pp. 303-385.
doi : 10.3406/bec.1971.449897
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1971_num_129_2_449897Résumé
L'extraordinaire expansion de la puissance bourguignonne sous Philippe le Bon se comprend mieux à
la lumière d'un vaste mouvement de propagande, qui se traduit particulièrement dans les « mises en
prose » contemporaines de textes épiques. Le souvenir du royaume de Bourgogne-Provence justifie la
faveur de la cour ducale pour une « épopée de la révolte » hostile aux Carolingiens : citons entre autres
la prose de Girart de Roussillon (G. de Vienne, adversaire de Charles le Chauve) par Wauquelin
(1447). Auberi le Bourguignon évoque le roi Boson (f 887) et sa descendance. Garin le Lorrain nous
introduit dans la tradition « lotharingienne », qui rattache en revanche Philippe le Bon à ces mêmes
Carolingiens pour soutenir certaines de ses revendications en terre d'Empire. Cette tradition explique le
succès des Annales Hannonie de Jacques de Guise (traduites par Wauquelin), ainsi que d'un « cycle
de la croisade » centré sur Godefroy de Bouillon, Baudouin IX de Flandre ou Jean d'Avesnes, et de
textes d'inspiration analogue (G. de Trazegnies, G. de Chin, Comte d'Artois). Dans la ligne des
prétentions brabançonnes à reconstituer le ducatus Lotharingie, Philippe le Bon revendique, en 1447-
1448, une couronne royale de Brabant (traduction de la Chronique de Dynter par Wauquelin) ; le «
mirage rhénan » rend également compte de ses politiques luxembourgeoise et alsacienne. Séduit par
les figures des « rois » Bambaux (Radbod, adversaire des Pippinides) et Gondebaud, le duc songe à
dominer l'imprécis regnum Frisie ; la traduction de la Chronographia de Jean de Веkа justifie ses visées
sur Utrecht. La dynastie ducale se rattache volontiers aux héros antiques (Alexandre ; légende de Troie
; César) ou s'intéresse à ceux du roman « byzantin » et de la « matière de Bretagne », fondant les
patrio- tismes régionaux dans le souci universel de l'entreprise d'Orient. Philippe le Bon — dont un «
mystère » marque le désir de réconcilier « séparatisme » bourguignon et « patriotisme » français —
revendique vainement une dignité royale en France (1419), puis en terre d'Empire (1447). Les héros de
l'épopée, vénérés comme ancêtres de la dynastie et comme modèles pour la future croisade, justifient
l'existence d'un « État » bourguignon, faite d'unité dans la diversité ; la tradition lotharingienne,
prédominante, favorise la genèse d'un sentiment national concrétisé dans le concept de Belgique; 1447
et 1453 représentent des années-clés pour la littérature de propagande ducale. En 1474, le Téméraire,
rallié à la tradition burgundo- provençale, rompra définitivement tous liens moraux avec le royaume de
France.■
ROLE DES TRADITIONS LE
DANS LA GENÈSE D'UN SENTIMENT NATIONAL
AU XV* SIECLE
LA BOURGOGNE DE PHILIPPE LE BON
par
Yvon LAGAZE
Au cours d'un long règne de quarante-huit années, le
duc de Bourgogne Philippe le Bon devait se constituer, des
abords de Lyon aux confins frisons, un vaste « État » d'un
conglomérat de provinces diverses, sises pour la plupart
en terre d'Empire : une telle politique, orientée vers le
Nord-Est, explique le désintérêt précoce du fils de Jean
sans Peur à l'égard des affaires de France1. Les pays « de
par deçà » — qui de bonne heure supplantèrent en impor
tance le duché, berceau de la dynastie, Bruges, Gand et
Bruxelles prenant de plus en plus le relais de Dijon dans
les itinéraires ducaux — représentaient des territoires sous
traits dans leur majeure partie à la Lotharingie du ixe siècle
par les souverains germaniques : aussi l'acquisition par Phi
lippe du Hainaut, de la Hollande, de la Zélande et de la
Frise en 1427-1428 ; celle du Brabant en 1430 ; celle enfin
du Luxembourg suscitaient-elles une avalanche de contro-
1. Ainsi que Га souligné le professeur Richard Vaughan, de l'Université
de Hull : Philip the Good. The Apogee of Burgundy, Londres, 1970, p. 28.
Il n'en reste pas moins que, comme l'a montré P. Bonenfant, Les traits essentiels
du règne de Philippe le Bon, dans Verslag can de Algemene Vergadering van
het historisch Genootschap, Groningen, 1959, p. 10-29, le duc de Bourgogne a,
tout au long de sa vie, entretenu un certain rêve de domination sur le royaume
de France. 304 YVON LACAZE
verses avec les chefs successifs de l'Empire, la maison de
Hongrie, voire même Charles VII, intéressé à barrer la
route aux ambitions bourguignonnes. A plusieurs reprises,
le duc songea à solliciter la sanction de ce considérable
accroissement de puissance en briguant une couronne royale,
un vicariat d'Empire ou l'investiture de ses fiefs impériaux
à titre perpétuel.
Ce serait se condamner à ne rien comprendre à cette
remarquable expansion que de se refuser à la replacer dans
son contexte « idéologique », de négliger les arguments,
explicites ou non, que juristes, chroniqueurs, messagers ou
hommes de plume divers utilisèrent pour sa justification :
chaque « translateur » en prose d'une épopée participait en
effet, à l'égal des conseillers ou des ambassadeurs ducaux,
à un vaste mouvement de propagande rendu nécessaire par
l'hétérogénéité de Г Et at bourguignon, qui le rendait parti
culièrement vulnérable. A un public constitué d'hommes aux
origines ethniques et sociales diverses, convenait une li
ttérature aux multiples aspects, alliant, jusque chez des
personnages chargés de missions officielles, les arguments
juridiques les moins réfutables à de fantaisistes références
aux légendes antiques, mais auxquelles l'époque accordait
la plus grande considération. Nous nous efforcerons con
stamment, au cours de cette étude, de mettre l'accent en
priorité sur les témoignages d'ordre littéraire relevant de la
matière épique1, sans négliger pour autant l'importante
contribution apportée à la naissance d'un sentiment natio
nal bourguignon par les chroniqueurs ou le monde des
chancelleries provinciales 2.
1. Nous nous référerons constamment, au cours de cette étude, aux ouvrages
suivants : G. Doutrepont, La littérature française à la cour des ducs de Bour
gogne, Paris, 1909 ; le même, Les mises en prose des épopées et des romans che
valeresques du XIVe au XVIe siècle, Bruxelles, 1939 [Mémoires de l'Académie
royale de Belgique, Classe des lettres, XL) ; B. Woledge, Bibliographie des
romans et nouvelles en prose française antérieurs à 1500, Genève-Lille, 1954
[Société de publications romanes et françaises, XLII).
2. Sur la naissance de ce sentiment national, il faut consulter les travaux
de J. Huizinga, L'État bourguignon, ses rapports avec la France et les origines
d'une nationalité néerlandaise, dans Le Moyen Age, t. XL (1930), p. 171-193,
et t. XLI (1931), p. 11-35, 83-96 [article réédité dans les Verzamelde Werken
du même auteur; II, Nederland, Haarlem, 1948, p. 161-215 (réédition à la
quelle nous nous référerons au cours de cette étude)] ; du même, Burgund. Eine LA BOURGOGNE DE PHILIPPE LE BON 305
* * *
La Bourgogne : le terme a revêtu, au cours des siècles,
des significations fort différentes, jusqu'au Kreis de l'époque
habsbourgeoise1. Lorsque Philippe le Bon accède au pouv
oir, la Bourgogne a déjà une longue histoire derrière elle,
une personnalité bien tranchée ; elle fut royaume à deux
reprises et ce royaume, Philippe comme son successeur
n'auront de cesse de le voir renaître dans son antique splen
deur. La première forme en fut le royaume burgonde, sur
la rive occidentale du Rhin, entre Neuchâtel et Grenoble,
autour de Genève ; il s'étendit durant le ve siècle vers Dijon
et sur toute la Provence. La figure marqua

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