Les grands courants de la pensée russe contemporaine - article ; n°1 ; vol.3, pg 5-89
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Description

Cahiers du monde russe et soviétique - Année 1962 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 5-89
85 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Extrait

Pierre Pascal
Les grands courants de la pensée russe contemporaine
In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 3 N°1. Janvier-mars 1962. pp. 5-89.
Citer ce document / Cite this document :
Pascal Pierre. Les grands courants de la pensée russe contemporaine. In: Cahiers du monde russe et soviétique. Vol. 3 N°1.
Janvier-mars 1962. pp. 5-89.
doi : 10.3406/cmr.1962.1494
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cmr_0008-0160_1962_num_3_1_1494ÉTUDES
LES GRANDS COURANTS
DE LA PENSÉE RUSSE CONTEMPORAINE*
Si la pensée de l'homme, en tant qu'individu, est libre, les grands
courants de pensée, dans un pays, sont commandés par les événements.
En Russie, l'événement décisif n'a pas été la guerre, qui n'a eu que peu
d'effets sur la vie intellectuelle, mais la révolution. A cause d'elle, le
demi-siècle qui vient de s'écouler ne présente pas une unité : il y a une
rupture, qui se manifeste avec évidence non point en 1917, mais en
1922, au moment où le nouveau pouvoir, consolidé sur les terrains
militaire, économique et international, prend en mains la direction
autoritaire de la pensée.
Entre les tendances dominantes des deux périodes ainsi marquées,
de 1900 à 1922 et de 1922 à 1950, il y a opposition, si l'on consi
dère ce qui se passe à l'intérieur de la Russie, entre temps devenue
l'U.R.S.S. ; la continuité se retrouve au contraire dans la diaspora de
l'émigration.
La tendance dominante de la pensée russe de 1900 à 1922 est une
réaction spiritualiste fulgurante, mais brève, contre le scientisme
matérialiste qui avait régné dans la seconde moitié du siècle précédent.
Au contraire, l'orientation inspirée depuis 1922 par le gouvernement
soviétique et le parti communiste est une reprise du matérialisme
dominant des « années 60 ».
Cette dialectique de l'évolution de la pensée russe moderne nous
oblige à rappeler les caractéristiques des « années 60 », qui sont son
point de départ.
* Cette étude est extraite du livre Les grands courants de la pensée moderne
et contemporaine (tome II) aux éditions Fischbacher-Marzorati, 33, rue de Seine,
Paris-6e, qui ont bien voulu accepter que nous la reproduisions. PASCAL P.
A) LES PRÉMISSES
I. - LA « PHILOSOPHIE DES LUMIÈRES » DES « ANNÉES 6o » (1855-1890)
La Russie fut ouverte à la civilisation occidentale par la volonté de
Pierre le Grand. Brusquement, une petite fraction dirigeante se trouva
arrachée aux conceptions chrétiennes traditionnelles et livrée aux
influences étrangères. Elle adopta au cours du xvine siècle et dans les
débuts du XIXe les modes successives du rationalisme voltairien, du
sentimentalisme à la Rousseau, du mysticisme maçonnique ou rosen-
kreuzien, de l'idéalisme schellingien, de l'hégélianisme de droite, puis
de gauche. Les éléments populaires et provinciaux qui peu à peu
accédaient à l'instruction adoptaient naturellement ces modes de
pensée avec l'ardeur des néophytes. Ainsi se constitua ce qu'on appelle
l'intelliguentsia, catégorie sociale caractérisée moins par sa situation
économique que par sa façon de penser et d'agir, et qui, à partir du
milieu du xixe siècle, jouera un rôle dominant dans la vie du pays.
Vers 1855-1860, cette intelliguentsia ne professe pas seulement la
foi dans la science, le progrès indéfini, l'instruction, la démocratie.
Après les échecs militaires qui ont condamné le régime conservateur
de Nicolas Ier, elle réclame une transformation de toute la structure
de l'Empire. Dès lors, commence l'ère des grandes réformes : abolition
du servage ; création de conseHs élus par toute la population, les
zemstvos ; refonte du système judiciaire ; multiplication des écoles.
L'opinion alors dominante, celle qui s'exprimera presque sans
partage jusque vers 1890 dans la presse, les grandes revues, la littéra
ture, les Universités et les lycées, les ouvrages de philosophie, d'histoire,
de science, de vulgarisation, peut être résumée comme suit.
En philosophie, l'athéisme, pour un membre de l'intelliguentsia,
est obligatoire. Les maîtres à penser sont les matérialistes allemands :
Biichner, Vogt et Moleschott ; à ce trio s'ajoutent Darwin et Buckle.
Au « verbiage métaphysique » et idéaliste, à l'obscurantisme religieux,
doit succéder la science. En effet tout dans la nature est déterminé :
le monde moral et le monde physique obéissent aux mêmes lois, la
pensée est sécrétée par le cerveau, l'histoire des sociétés humaines est
un produit des forces matérielles. La connaissance de ces forces et de
ces lois immuables et absolues est la condition du progrès. Donc il
n'est de vérité que dans les sciences physiques et naturelles.
L' « homme nouveau » est celui qui, par la diffusion des sciences,
travaille à la libération de ses concitoyens. Ce dévouement à l'intérêt
social fera en même temps son bonheur et, puisque le grand mobile
des actions humaines est l'égoïsme, toute la pédagogie morale consiste LA PENSÉE RUSSE CONTEMPORAINE J
à faire coïncider l'amour de soi avec l'utilité sociale. L' « égoïsme
rationnel » est la règle de conduite des héros du roman de Tcherny-
chevski : Que faire ? qui convertit au socialisme toute la jeunesse
instruite.
Le rôle de la littérature, prose ou poésie, est de servir d'expression
à la lutte pour le progrès social. Elle doit constamment protester
contre les maux qui accablent le peuple et en dénoncer les causes. La
littérature « accusatrice » est la seule honnête et permise. L'écrivain
ne doit pas peindre l'homme tel qu'il était hier, mais tel qu'il sera
demain, engagé dans la voie de la protestation et de la révolte que lui
montrent les « héros positifs ». L'art a pour domaine non pas le beau,
mais tout ce qui dans la vie présente un intérêt matériel. Le critique
doit asseoir son jugement non point sur les mérites esthétiques de
l'œuvre, mais sur son utilité sociale. Telles sont les convictions des
critiques Biélinski (mort en 1849, mais dont l'influence subsiste) et
Dobrolioubov, de Tchernychevski dans sa thèse sur Les rapports de
l'art avec la réalité (1855), du poète-citoyen Nékrasov, du satirique
Saltykov ; et Pisarev renchérit sur eux en proclamant en 1865 la
« destruction de l'esthétique ». Pisarev est l'idéologue des « nihilistes ».
Aux approches de 1870, au matérialisme vulgaire s'ajoute le posit
ivisme d'Auguste Comte et de Spencer, popularisé par Lavrov dans ses
Lettres historiques. Les sciences naturelles reculent au second plan, et
l'homme passe au premier. A Г « égoïsme rationnel » succède « le déve
loppement physique, intellectuel et moral de la personne », qui doit
d'ailleurs se mettre au service de la société. Les privilégiés de la fortune
ou de l'instruction en particulier ont envers le peuple une dette dont
ils doivent s'acquitter.
Cette conscience de la faute à expier pousse les jeunes intellectuels
des deux sexes à se faire instituteurs ou sages-femmes, cordonniers de
village ou colporteurs pour répandre dans les campagnes la bonne
parole. Après l'échec de cette « plongée dans le peuple », l'idée vient
à d'autres que la terreur seule suscitera l'élan nécessaire à la délivrance,
et ainsi naît le populisme révolutionnaire.
Nihilisme et action révolutionnaire sont des formes extrêmes,
transitoires ou changeantes. Elles sont le fait d'une minorité. Mais les
principes définis plus haut ont donné naissance à un état d'esprit
moyen qui ne fera que s'étendre avec les progrès de l'instruction
primaire et moyenne. Le voici.
La marque de la culture est l'athéisme ; la religion doit disparaître
avec le progrès, et la fidélité à l'Église dénote un esprit retardataire.
Science et matérialisme sont synonymes : les expériences de Pasteur
sur l'impossibilité de la génération spontanée sont fausses, parce qu'elles
permettent une hypothèse spiritualiste ; la vérité est le darw

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