Les noms secrets - article ; n°1 ; vol.46, pg 143-157
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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1992 - Volume 46 - Numéro 1 - Pages 143-157
In modem times where neither an « I » nor a «we» are any longer able to refer to the unity of an experience and where the language seems to be like dead and petrified in front of the impacts and pushes of events, we have to know how the unity of an event (an individual life, an historical event, a place or a date) can yet be named and transmitted. The present contribution tries to show, with W. Benjamin's help, that the singularity is neither in the « who » nor in the « what », but in the proper name of a thing. The proper name is obviously not the usual name but it is secret and unknown of its bearer and is disclosed to her or him by the other (man or thing). When this one pronounces or acts, another time, this name, he or she makes the secret demons and angels of the bearer raise up, he or she discloses him or her, his or her real name in an image which is glaring far away in fire characters and, now consumed, is unforgettable for ever.
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1992
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Françoise Proust
Les noms secrets
In: Les Cahiers du GRIF, N. 46, 1992. Provenances de la pensée femmes/philosophie. pp. 143-157.
Abstract
In modem times where neither an « I » nor a «we» are any longer able to refer to the unity of an experience and where the
language seems to be like dead and petrified in front of the impacts and pushes of events, we have to know how the unity of an
event (an individual life, an historical event, a place or a date) can yet be named and transmitted. The present contribution tries to
show, with W. Benjamin's help, that the singularity is neither in the « who » nor in the « what », but in the proper name of a thing.
The proper name is obviously not the usual name but it is secret and unknown of its bearer and is disclosed to her or him by the
other (man or thing). When this one pronounces or acts, another time, this name, he or she makes the secret demons and angels
of the bearer raise up, he or she discloses him or her, his or her real name in an image which is glaring far away in fire characters
and, now consumed, is unforgettable for ever.
Citer ce document / Cite this document :
Proust Françoise. Les noms secrets. In: Les Cahiers du GRIF, N. 46, 1992. Provenances de la pensée femmes/philosophie. pp.
143-157.
doi : 10.3406/grif.1992.1866
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1992_num_46_1_1866noms secrets * Les
Françoise Proust
La langue des anges
Les secrets s'exposent et se délivrent dans le langage. Car le langage, mais cela
Benjamin n'est pas seul à le dire, n'est pas un moyen de communication, d'expres
sion et même de signification. Ce n'est pas un récipient, un vêtement et même un
médium. Mais ce n'est pas non plus, et là Benjamin est plus seul, un élément
magique, immatériel, évocatoire, dont la seule profération ferait surgir la chose
même. Car l'essence du langage n'est pas vocale, qu'elle soit énonciation ou pro
nonciation. Le langage n'est pas chose vivante, spirituelle ou magique. Il ne fait
rien lever ou vivre. C'est tout l'inverse. Il tue, brûle et calcine, il est la lettre qui
consume l'esprit tant de la chose énoncée que de celui qui l'énonce. On l'aura comp
ris : loin d'être, comme le pensait Heidegger, « dire » (sagen) ou « dit » (Sage),
c'est-à-dire au fond mythos, le langage est lettre, signifiant, écriture. Il est pure
matérialité graphique, il est un enchevêtrement non pas de signes, parce qu'on
reconnaîtrait alors sinon leur sens, du moins leur vouloir-dire, mais de graphes :
dessins, lignes, courbes qui forment des hiéroglyphes ou un rébus et sur lequel il
faut s'écarquiller les yeux non pas pour comprendre ou déchiffrer, mais pour scru
ter la graphie même. ,
Reprenons et suivons notamment la lecture que fait Benjamin du langage
baroque tel que celui-ci apparaît tant au fil des Trauerspiele que des théories langa
gières de cette époque (notamment celle de Boehme). En le caractérisant comme
allégorique, Benjamin ne veut pas tant distinguer des figures de style, par exemple
la figure symbolique (qui substitue le concret, par exemple, « le poison » à l'abst
rait, par exemple « la vanité ») et la figure allégorique (qui juxtapose concret et
abstrait, par dans la formule « poison de la vanité »), que mettre en évi
dence ceci : l'allégorie, qu'elle soit en sculpture, en peinture ou en littérature, dis
joint, à l'inverse de la métaphore ou du symbole, le sens de la forme, creuse un
* Cet article est extrait d'un ouvrage en cours sur W. Benjamin et le temps de l'histoire. 143 maximal entre la « lettre » et « l'esprit », au point que toute allégorie semble écart
une statue inanimée, un signe muet, une lettre morte attendant d'un coup qui lui
serait porté (coup de baguette, coup de fouet, coup d'archet, coup de vent) sa résur
rection posthume, sa survie de spectre, sa vie d'esprit. Une allégorie ne dit rien et
ne veut d'ailleurs rien dire. Elle est pure monstration, exposition, ostentation d'elle-
même. Elle ne demande ni n'invoque. Mais elle est toute attente d'un coup qui la
ferait gémir, crier et se plaindre de son abandon, de l'injustice qui lui a été faite
lorsqu'on l'a privée de langage. L'allégorie n'est ni un mode du langage ni un hors-
langage réservé à ce qui ne peut se dire. C'est un langage « vide », un langage «
mort », un langage qui ne peut plus ou pas encore parler, qui est épuisé ou sur le
point de s'animer et c'est cette essence du langage : lettre morte recelant captifs
l'esprit et le sens, que le baroque, hanté par la privation de grâce et l'abandon de la
créature, a parfaitement compris : « Dans le baroque, la tension entre le mot et
l'écrit est incommensurable. Le mot, peut-on dire, c'est l'existence de la créature,
c'est l'exposition, la présomption, la pâmoison devant Dieu ; l'écrit, c'est le
recueillement de la créature, sa divinité, sa suprématie, la toute-puissance sur les
choses du monde » '.
Peu importe que l'allégorie baroque soit l'attitude théologique propre à la créa
ture privée de grâce du xvne siècle. L'essentiel est ceci : dans un monde comme le
nôtre, mais peut-être en a-t-il toujours été ainsi, privé d'espoir de délivrance finale,
le langage ne peut plus être ajusté à sa destination ultime : révéler le vrai, faire par
ler la chose même. À peine a-t-il rivalisé avec Dieu et cru coïncider avec l'origine
des choses, à peine a-t-il espéré faire paraître le monde en gloire en le transfigurant
dans une profération sonore qu'il se consume et s'épuise, non pas victime d'une
impuissance, mais au contraire brûlé et calciné par cette gloire incandescente.
Aussi bien oscille-t-il entre deux pôles également intenables et réversibles l'un dans
l'autre : soit la pure profération sonore, « extase devant Dieu », vocatif ou onomat
opée brûlants : louange, prière, exaltation, plainte, qui toujours auront dû s'articu
ler, se différencier, se répéter pour engendrer une phrase pourvue d'un sens, qui
toujours auront dû se faire écriture ; soit la signification, « la toute-puissance sur
les choses » qui, sauf à tomber dans le bavardage de la communication à tout prix,
aura dû réserver en elle un secret résistant à l'entreprise d'épuisement de la signifi
cation et aura dû crypter le sens. Soit la parousie divine et terrifiante du sens, soit le
bavardage infernal.
Cette capacité ou plutôt cette structure satanique du langage, c'est à la lettre qu'il
faut la référer. Le langage est lettre, lettre de feu. Lorsqu'il est abandonné à lui-
même, lorsqu'il est arrêté, au repos, lorsque l'incendie de la parution s'est éteint et
que ne rougoie plus que la braise, il est lettre morte, littéralité vide, enchevêtrement
de signes rétifs à toute désignation et à toute signification, roc massif et inerte qui
144 résiste, par sa pesanteur dont est absente toute grâce, à l'animation et l'élévation Mais lorsque vient à frapper le mot juste, lorsque vient justement, au spirituelle.
juste moment et au juste lieu, l'appel attendu, alors il agit comme un explosif qui
met le feu à la lettre, à la « teneur chosale » de la lettre, la vérité et la justice explos
ent, les noms, en leur vérité nue, éclatent en un éclair de gloire et on lit alors, dans
la lettre, l'écho de l'appel qui résonne dans le lointain. Le langage est chose morte
et inanimée. C'est un gisant ou une pierre tombale. Quand il vient à s'animer sous
l'effet d'une juste profération, l'esprit du mort, le spectre du cadavre apparaît en un
« déjà- vu », le bruit, après-coup, se révèle un son, le dessin une lettre et la pierre
une tombe. À vrai dire, en tout graphisme comme en toute sonorité, comme le
disaient déjà à leur manière les contes anciens 2, sont peut-être captives une vérité
ou une vie spirituelle, et c'est pourquoi, d'ailleurs, il n'y a qu'un seul langage : des
choses, des bêtes et des hommes. Nous ne saurons qu'après coup que telle pierre
recelait une tombe, et même si la chance n'est pas encore arrivée pour une lettre de
se réveiller, nul ne peut assurer que jamais elle ne se produira.

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