Lilliput et Brobdingnag - article ; n°1 ; vol.42, pg 229-244
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Description

Communications - Année 1985 - Volume 42 - Numéro 1 - Pages 229-244
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1985
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pietro Bellasi
Lilliput et Brobdingnag
In: Communications, 42, 1985. pp. 229-244.
Citer ce document / Cite this document :
Bellasi Pietro. Lilliput et Brobdingnag. In: Communications, 42, 1985. pp. 229-244.
doi : 10.3406/comm.1985.1635
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1985_num_42_1_1635Pietro Bellasi
*
Lilliput et Brobdingnag
Métaphores de l'imaginaire miniaturisant
et mégalisant
Sans aucun doute les philosophes ont raison de nous
dire que rien n'est grand ni petit que par comparais
on. Peut-être pourrait-il plaire un jour à la Fortune
de découvrir aux Lilliputiens un peuple aussi minusc
ule par rapport à eux qu'ils l'étaient par rapport à
moi ? Et qui sait si la race de ces mortels gigantesques
elle-même n'apparaîtrait pas lilliputienne à son tour
en quelque lointain pays du monde que nous n'avons
pas encore découvert ?
Jonathan Swift, Voyage de Gulliver à Brobdingnag
1. Introduction.
« La miniature est un des gîtes de la grandeur », écrit Gaston
Bachelard qui voit en elle « le grand sort du petit, non par la loi logique
d'une dialectique des contraires, mais grâce à la libération de toutes les
obligations des dimensions, libération qui est la caractéristique même de
l'activité d'imagination », et de conclure : « Le macrocosme et le
microcosme sont corrélatifs x. » Ces citations empruntées à la Poétique
de l'espace illustrent bien les deux conjectures développées dans cet
article consacré à l'élaboration du gigantisme. J'entends montrer que
« mégalisation » et « miniaturisation » sont des formes métaphoriques
spéculaires, agissant réciproquement et ne s'opposant qu'en apparence.
Qu'elles sont des formes de représentation du monde montrant ce que
j'appelle une « métabolisation » de la réalité : c'est-à-dire un processus
d'appropriation du monde par assimilation d'images métaphoriques se
chargeant de symbolicité. Or, mégalisation et miniaturisation sont deux
processus distincts et fondamentaux d'une activité unique, celle de la
production imaginaire ; elles sont comme ses systole et diastole se
justifiant l'une l'autre par des effets de véridicité.
Voici un exemple où cette imbrication du « plus petit » et du « plus
grand » crée une image métaphorique complexe d'une réalité ressentie
* Je remercie Pina Lalli pour son aide précieuse dans la mise au point de cet
article.
229 Pietro Bellasi
comme altérité lointaine et menaçante. Il est un exemple « par excès »
dérivé du rituel « sécularisé » d'un des cas les plus « purs » de religion
politique et de despotisme de notre siècle : les gigantesques « cathédral
es de lumière » du stade de Nuremberg où le silence et l'obscurité
menaçante de la nuit étaient comme fêlés et contenus pendant quelques
heures par la symétrie des piliers de lumière des projecteurs et les
scansions des coupoles sonores résonnant de cris et de rythmes cadencés.
Or les chorégraphies du « colossal » réalisées à Nuremberg ne pourr
aient-elles pas être considérées comme une sorte de tentative tragique
de « lilliputisation », voire d'« euphémisation » symbolique visant à
humaniser l'obscur chaos du cosmos et ses messages déterministes
d'entropie et en dernière instance de mort ? Mais à son tour cette
« lilliputisation » ne tendrait-elle pas vers des dimensions illimitées
comme à vouloir dépasser par « dilatation » la nuit silencieuse du
cosmos vers les espaces démesurés et glacés d'une cosmogonie ?
Pour prendre un exemple tout à fait différent, nous savons bien que la
révolution technologique r à laquelle nous assistons, c'est-à-dire le
passage à ce que l'on peut appeler l'« âge du silice », n'est pas
caractérisée par la seule réduction du gigantisme de la machine : elle ne
se réduit pas plus au passage du Brobdingnag de la première industrial
isation au Lilliput des microprocesseurs. Vers 1975 le Future System
d'IBM s'écroule, entraînant dans sa chute le projet européen Unidata et
provoquant le triomphe de la célèbre Silicon Valley et le remplacement
de la « loi de Grosch 2 » par celle de Bruhot (selon laquelle le meilleur
résultat est obtenu par l'ordinateur le plus petit possible capable
d'exécuter la plus petite des opérations possibles). De sorte que parmi
beaucoup d'autres Bruno Lussato a pu affirmer :
si jusqu'en 1975 nous vivions sous le règne du gigantesque et de la
centralisation, à partir de cette date nous sommes entrés sans nous en
rendre compte sous un signe nouveau, le signe du petit, du small is
beautiful, des petites échelles. Il semble bien que rien n'ait échappé à
ce renversement : ni les théories politiques, ni l'organisation de la
production... ni l'informatique. Et que nous commencions tout juste à
en percevoir tous les enjeux \
Si tout cela est vrai, il est vrai également que, tant au niveau de
l'« imaginaire scientifico-technologique » entre clans rivaux d'experts
qu'au niveau de l'imaginaire collectif, la figure du « grand chaudron »
(du gigantesque projet planétaire télématique hyper-centralisé grâce à
la hard informatique et aux calculatrices monstrueuses et colossales)
survit et sans doute prédomine encore sur celle du « petit chaudron »,
micro-informatique soft, flexible et presque personnalisable des ordina
teurs individuels. De même sur le plan d'une sociologie de la vie
quotidienne, Georges Auclair peut parler d'un « double imaginaire de la
modernité » : un imaginaire « faustien », que l'on peut sans doute
230 Lilliput et Brobdingnag
renvoyer au « hors de proportion », et un imaginaire « franciscain », que
l'on peut au contraire rapporter aux « petites dimensions » ; à la
décentralisation, la nostalgie déjà « futuriste » de la démassification,
d'une technologie personnalisée et d'une nouvelle communication
communautaire 4.
J'illustrerai donc l'interconnexion bi-univoque des processus de
« miniaturisation » et de « mégalisation », ainsi que leur nature imagi
naire de production, c'est-à-dire leur tentative de re-production du réel.
Je m'appuierai sur une recherche que j'ai entreprise en Suisse à propos
de phénomènes de lilliputisation à l'œuvre dans ce qu'on pourrait
appeler l'« imaginaire de la vie quotidienne » ou, mieux, l'« iconogra
phie de la vie quotidienne », où viennent se projeter, se concentrer et se
coaguler les représentations.
2. A propos d'une recherche menée en Suisse.
J'ai déjà eu l'occasion ailleurs 5 de rapporter quelques exemples de
miniaturisation repérés au cours de ma recherche en Suisse. J'ai parlé
entre autres de la Swissminiatur de Melide, sur le lac de Lugano, où sont
reproduits à échelle réduite — comme il arrive souvent dans le cas de ce
type de « jouets touristiques » — les monuments du pays, ses paysages,
de nombreux châteaux et chalets, des réseaux de chemin de fer, etc. Une
représentation visant — tout en étant vériste 6 — à donner surtout
l'image d'une Suisse « rurale », reléguant les masses grises des monta
gnes et des usines à l'arrière-plan.
Peut-être convient-il de rappeler aussi l'autre exemple de miniaturi
sation exposé au Landesmuseum de Zurich. D'une superficie de 10 m2,
peuplée de 9 000 soldats de plomb, une maquette reproduit la bataille
de Morat entre les confédérés et Charles le Téméraire en 1476. Tout
autour sont disposées des jumelles grâce auxquelles il est possible de
regarder la bataille en grandeur quasi naturelle ; comme si dans un
premier temps l'utilisation des jumelles à l'envers permettait l'éloigne-
ment (miniaturisation) de l'événement historique et dans un second la
réappropriation de ce qui, par la miniaturisation, est alors devenu
maîtrisable.
Ces deux exemples révèlent donc l'existence d'un processus de
miniaturisation, l'une des formes de duplication de la réalité mise en
œuvre par l'imaginaire. Comme nous l'

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