Nature humaine et norme de l histoire chez Edmund Burke - article ; n°1 ; vol.27, pg 65-84
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XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles - Année 1988 - Volume 27 - Numéro 1 - Pages 65-84
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Publié le 01 janvier 1988
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Langue Français
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Extrait

Jacques Sys
Nature humaine et norme de l'histoire chez Edmund Burke
In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°27, 1988. pp. 65-84.
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Sys Jacques. Nature humaine et norme de l'histoire chez Edmund Burke. In: XVII-XVIII. Bulletin de la société d'études anglo-
américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°27, 1988. pp. 65-84.
doi : 10.3406/xvii.1988.1145
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xvii_0291-3798_1988_num_27_1_1145HUMA I HE ET HORME DE L'HISTOIRE HATURE
CHEZ EDMUFD BURKE
La longue méditation de Burke sur la Révolution
française, de la lettre de novembre 1789 à Charles-Jean-
François Depont aux trois lettres «On a Regicide Peace» de
1796, est tout entière commandée par le sens de l'urgence,
par la conviction qu'une réponse immédiate à une situation
immédiatement dangereuse est nécessaire, et que le salut,
non seulement de la France et de l'Angleterre, mais tout
simplement de l'espèce humaine, dépend de cette réponse
dont nous allons voir qu'elle engage tout l'homme, dans sa
triple dimension émotionnelle, intellectuelle et spiritue
lle. L'énergie de Burke, au soir de sa vie, va être consa
crée à cette unique passion de convaincre gouvernements
et sujets de l'ampleur de l'enjeu. Les manoeuvres dila
toires des gouvernements, la corruption d'une partie de
l'opinion gagnée aux idées révolutionnaires, l'inertie de
la majorité confortablement installée dans la paisible
jouissance de ses anciennes libertés, sont autant
d'obstacles à la prise de conscience de cet enjeu qui
demanderait en fait rien moins qu'une croisade, «a war of
communion,»1 seule capable de préserver le monde chrétien
du danger révolutionnaire : «Instead of the religion and
the law by which they were in a great politic communion
with the Christian world, they have constructed their
republic on three bases, all fundamentally opposite to
those on which the communities of Europe are built. Its
foundation is laid in regicide, in Jacobinism, and in
atheism.»2 C'est donc contre cet athéisme établi que Burke
va se poser en champion de la tradition et de l'autorité,
seules bases viables d'un authentique libéralisme, Nous
nous proposons en cet article d'étudier les principes et
les présupposés autour desquels la pensée contre- révolu
tionnaire de Burke s'organise comme un tout cohérent.
On dit parfois que les valeurs défendues par Burke
telles que «rational liberty,» «manly freedom,» «preju
dices,» «feelings,» ne sont en fait que des concepts qui
ne dérivent leur «vérité» que de leur utilité sociale, au
sens le plus pragmatique et le plus Jamesien du terme. 66
Cette interprétation ne nous paraît pas tenable. Contrai
rement à ce qu'une lecture rapide pourrait suggérer, la
morale burkéenne au même titre que sa pensée religieuse
n'a pas une valeur simplement instrumentale ou utilitaire,
elle fait plus qu'apporter la dernière touche ou le dernier
orneraemnt à la cohésion du tissu social. Certes, l'obser
vation et l'expérience ont révélé à Burke l'existence du
«volksgeist» ou de ce que l'on appellera bientôt une cul
ture, l'existence de valeurs qui, par la force de l'habi
tude, sont devenues pour les peuples concernés une espèce
de seconde nature, mais elle ne saurait mettre en doute la
sincérité et la conviction de Burke quant au contenu de
vérité qui sous- tend ces valeurs. A cela on objectera
peut-être que le texte de Burke est par exemple singu
lièrement déficient en matière théologique, que ses
concepts et au premier chef celui de nature humaine libre
ne sont jamais définis avec précision, et qu'enfin sa
conception apparemment relativiste des moeurs et des
manières (selon le principe du génie des peuples) n'est
que l'expression d'un empirisme petit-bourgeois, d'un
pragmatisme mou tout entier déterminé par la défense
peureuse et frileuse des intérêts établis et, pourquoi pas,
du pouvoir du père.3 Plusieurs réponses peuvent être
apportées à ces diverses objections.
Premièrement, Burke n'est ni un philosophe ni un
théologien; il est cet «honnête homme» qui fréquentait le
Club du Dr Johnson; il est surtout un homme d'action
engagé dans le siècle, dans la gestion au jour le jour,
selon les difficultés du moment, d'une société dont l'orga
nisation et la structure politique ont été déterminées par
la Révolution de 1688 qu'il estime avoir pour charge de
défendre contre les menées des factieux influencés par les
événements français et par l'idéologie qui les commande.
Tel est globalement le cadre dans lequel va s'exercer son
action de serviteur de l'Etat ainsi que sa réflexion
théorique sur les modalités de l'action. Tous ses écrits, à
l'exception des deux premiers, sont des réponses à une
situation critique, à un problème du moment qu'il est
urgent de résoudre — l'insurrection américaine et l'affaire
Varren Hastings en étant les plus fameux exemples. Il
peut à cet égard faire penser à ces Pères de l'Eglise dont
la plupart des textes étaient autant de réfutations
d'hérésies jugées dangereuses, le contenu dogmatique de
leurs oeuvres apparaissant dans la substance même de 67
leurs polémiques. La réflexion ou la méditation deviennent
ainsi l'une des formes de l'action, et cela ne doit pas
être perdu de vue si l'on veut bien comprendre Burke (la
même chose d'ailleurs pourrait être dite de Gladstone).
Ce primat de l'action apparaît clairement dans
Thoughts on the Causes of the Present Discontents : «It is
the business of the speculative philosopher to mark the
proper end of government. It is the business of the poli
tician, who is the philosopher in action, to find out
proper means towards those ends, and to employ them with
effect,»* On sait la méfiance que Burke avait à l'égard
des systèmes et plus généralement son profond dégoût pour
l'abstraction spéculative (ce qui, nous le verrons, ne
remet pas en cause l'existence des transcendentaux), mais
il se méfie tout autant de celui qui ne vit que de la
seule pratique. Il y a en fait une double méfiance chez
Burke, et premièrement à l'égard du théoricien, du philo
sophe ou du critique qui ne raisonne qu'en termes de
systèmes clos, coupés de la saine résistance du monde
réel. Le thème est abordé dans On the Sublime and
Beautiful où Burke reproche au philosophe d'avoir peu
contribué à une exacte définition de la sensibilité humai
ne : «the philosophers have done little; and what they
have done, was mostly with a view to their own schemes
and systems.»5 Ce jugement est à rapprocher de ce qui est
dit des théoriciens des droits de l'homme dans Fef lect
ions on the Revolution in France : «This sort of people
are so taken up with their theories about the rights of
man, that they have totally forgotten his nature. »e Le
théoricien (ou métaphysicien, comme Burke se plaît à le
nommer) est pour ainsi dire prisonnier de sa pratique
théorique dont les constructions sont sans objet, ou plus
exactement dont la fonction référentielle est tellement
pervertie qu'elle ne peut que nourrir son propre discours
sans jamais, pour paraphraser Gustave Guillaume, être
«reversée sur le monde.» Corrélativement, la seule pratique
d'un art (qu'il soit artistique ou intellectuel) enferme
l'individu dans une étroitesse de pensée et de sentiment
qui nuit à l'imagination et paralyse l'action. Ainsi est- il
dit de l'artiste dans On the Sublime and Beautiful qu'il
est impuissant à donner les règles de l'action : «This is,
I believe, the reason why artists in general, and poets
principally, have been confined in so narrow a circle;
they have been rather imitators of one another than of 68
nature.»7 Parallèlement, dans les Reflections,
l'universitaire est déclaré peu apte à l'exercice du
pouvoir dans la mesure où il vit dans un inonde trop
étroit :

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