On peut rêver - article ; n°1 ; vol.28, pg 48-60
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Description

Les Cahiers du GRIF - Année 1983 - Volume 28 - Numéro 1 - Pages 48-60
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marie-Claire Boons-Grafé
Éliane Viennot
Marie Denis
On peut rêver
In: Les Cahiers du GRIF, N. 28, 1983. D'amour et de raison. pp. 48-60.
Citer ce document / Cite this document :
Boons-Grafé Marie-Claire, Viennot Éliane, Denis Marie. On peut rêver. In: Les Cahiers du GRIF, N. 28, 1983. D'amour et de
raison. pp. 48-60.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/grif_0770-6081_1983_num_28_1_1400 Illustration non autorisée à la diffusion On peut rêver
Marie-Claire Boons
Je reformulerai pour cette rencontre quelques idées et des
criptions de conjoncture qui furent proposées au cours des
réunions du 8 mars, à Paris. Cet exposé n'a rien de syst
ématique. Il offre un nombre limité de points de vue suscept
ibles d'ouvrir un débat. Il est par la force des choses partiel
et partial en ceci qu'il reflète les positions de certaines
d'entre nous, heureusement pas de toutes. Heureusement,
car nous pensons que les contradictions et le jeu des diffé
rences sont entre nous le lien le plus riche, à condition
qu'elles soient travaillées avec soin, et qu'elles s'enlèvent
sur ce que nous avons de commun.
Notre souhait, disions-nous à Paris, serait de tenir nos dif
férences loin de l'antagonisme meurtrier, des concurrenc
es et des luttes pour le prestige ; dans la sérénité de qui peut,
si pas aimer, du moins prendre en charge cette donnée que
l'autre n'est pas que son reflet. Et ce pour l'enrichissement
de chacune.
Les idées que nous avancerons, si tant est que ce soit des
idées, nous n'en sommes ni les propriétaires, ni les action
naires. C'est simplement ce que nous pensons aujourd'hui,
avec d'autres. Sans jamais naïvement prétendre à couvrir
tout le champ d'expériences du mouvement.
Où en sommes-nous aujourd'hui? Quels problèmes
rencontrons-nous dans notre vie quotidienne, sociale et pri
vée? Quelle phase vivons-nous du processus inauguré il y
a plus de dix ans par ce coup d'envoi collectif, historique,
qui a signé notre révolte contre le patriarcat et son
idéologie?
Les femmes ne se proposaient pas
Commençons par ne pas nous accuser de ne pas avoir de « changer la société capitaliste » :
changé radicalement la société capitaliste, en ses structu il y avait suffisamment de groupes
politiques pour ce faire. Pourquoi res d'exploitation et de profit. Les tempêtes de la lutte de
prendrions-nous tout le travail sur classes ne se programment pas, ce qui nous porte soudain
nos épaules? N'est-ce pas là,
dans la bataille ne se programme pas, ni non plus par ai encore, un réflexe de mère?
lleurs la clôture historique d'une première étape du E.V.
marxisme, d'un marxisme qu'il ne faut pas vouloir à tout
49 Photo Francine Vanberg prix sauver tel qu'il s'est incarné dans ses phases léninistes
et maoïstes mais qui, peut-être, dans les années à venir,
s'avérera selon des potentialités neuves, au gré d'imprévis
ibles révoltes à soutenir, ces événements-coupures dans un
processus. Ne nous accusons donc pas. Prenons plutôt acte
de l'immensité du travail que nous avons fait en douze peti
tes années, si brèves, si minuscules, face à tant de siècles
de domination patriarcale. Un David face à un Goliath
ébranlé mais pas mort : il resserre même son armure, il redé
ploie ses forces et ses tactiques face aux coups qui lui furent
portés avec tant d'enthousiasme. Loi historique bien con
nue et dont l'issue n'est pas jouée: la contre-révolution
disait-on avant, va-t-elle l'emporter? Comment tenir nos
acquis ? Comment porter plus avant aujourd'hui le proces
sus déclenché?
Plutôt que d'énoncer ce que nous avons gagné, notamment
en ce qui concerne l'avortement et dont nous ne mesurons
sans doute pas exactement l'ampleur des effets quant à la
distinction en travail de nos vies de femmes et des fonctions
reproductives, je voudrais prendre comme point de départ
un aspect de ce qui s'est passé dans notre relation aux
hommes. .
Beaucoup de femmes ont été détruites dans leur corps, dans
Il est juste de dire que par nous la leur cur, dans leurs désirs, et dans l'exercice de leur intel
guerre des sexes s'est réouverte. ligence : contre cette destruction-là, nous avons ouvert la Trop souvent nous prétendons la
guerre, affirmant qu'une autre vie était possible pour nous. subir sans plus, alors que délibér
Oui la guerre des sexes est enfin ré-ouverte. Elle a été rameément et à bon droit nous avons pris
les armes de la libération. Raison née au grand jour par toutes celles qui refusant d'en être
pour laquelle tant de femmes nous les sempiternelles victimes, refusaient de la reconduire, rejettent encore: elles reçoivent les
comme si elle n'existait pas, soit en fermant les yeux, soit coups que nous provoquons.
en se récupérant dans la sphère de la maternité. M.D.
Fin d'une longue dénégation, cette ouverture de la guerre
fut un acte. Cet acte était de séparation. De séparation
essentielle d'avec les figures dont l'imaginaire masculin
nous affuble : idole piédestalisée d'un côté, mère puissante
mais tout aussi bien esclave, dans l'enceinte familiale. Au
risque de perdre ce qui donnait lieu à une fausse reconnais
sance, à une fausse identité, ou à la sensation d'exister par
leurs désirs, nous sommes sorties de ce regard-là qu'ils por
taient sur nous. Nous nous sommes séparées. Nous voilà
dans le temps extraordinairement difficile de cette sépara
tion, car c'est à partir d'elle qu'il s'agit de reconstruire tous
50 les liens. Séparation radicale pour celles dont la structure subjective
et la force des idéaux permettaient de constituer leurs vies
affectives, entre femmes, hors relations amoureuses et
sexuelles aux hommes.
Séparation complexe, voire dramatique pour celles, très
nombreuses, qui, ancrées dans la structure hétérosexuelle
de leur désir, n'ont pas déserté l'espace habité par les hom
mes et continuent de faire avec eux, non seulement des
enfants, mais toute leur vie.
Remarquons au passage que pour beaucoup d'entre elles,
il arrive, aujourd'hui, qu'une certaine bisexualité leur
devienne accessible. L'amour d'une femme, en tout cas
une relation affective très intense à une ou plusieurs fem
mes , ne leur sont plus barrés comme avant.
Quoiqu'il en soit, rien n'exige plus de courage que de se tenir
dans un état de séparation. Même si celui-ci peut être conçu
comme une phase transitoire marquant un temps du pro
cessus.
Ce courage exigé, cette ténacité sont à la mesure même de
la façon dont les structures anciennes, les conduites, les
réflexes, les fantasmes, les manières de désirer ou d'aimer,
n'ont pas cessé de nous tendre leurs vieux bras tradition
nels, à l'extérieur comme à l'intérieur de nous, au plus fixe
de nos inconscients, tandis que les éléments d'une relation
nouvelle ne font pas encore code, ne composent donc pas
encore des relais, des points d'appui stables.
Rares sommes-nous qui, dans le secret de nos curs,
n'avons pas eu la tentation de démissionner, de laisser à
l'héritage des habitudes le droit de reprendre leur antique
terrain. Rares sont celles qui ont trouvé la manière juste de
gérer la poursuite d'un lien nouveau, au creux même de cette
séparation que j 'évoque, où se joue bien plus qu'un chan
gement dans les rôles des uns et des autres.
Rares sont les hommes qui entendent notre voix au point
de se remettre en cause, ne fut-ce, premier pas, qu'en met
tant au jour les mécanismes culturels et mentaux qui les
déterminent face au pouvoir des femmes toujours suscept
ibles d'évoquer le maternel. Ceux-là, très proches,
prennent la mesure des aliénations et des peurs ancestra-
les, découvrent non sans souffrance l'immensité, la profon
deur des tâches présentes et à venir. Mais en général, ils
réagissent à ce qui a ébranlé leur monde : les uns, défensi-
vement plus sourds qu'avant, contre-attaquent. Ou alors
ils démissionnent au prix de leur désir. D'autres vont cher- 51 Si notre liberté leur fait si peur, c'est cher ailleurs une femme qui leur serait encore soumis

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