Passion, poursuite : la linéarisation - article ; n°1 ; vol.38, pg 30-50
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Description

Communications - Année 1983 - Volume 38 - Numéro 1 - Pages 30-50
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 27
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Noël Burch
Passion, poursuite : la linéarisation
In: Communications, 38, 1983. pp. 30-50.
Citer ce document / Cite this document :
Burch Noël. Passion, poursuite : la linéarisation. In: Communications, 38, 1983. pp. 30-50.
doi : 10.3406/comm.1983.1567
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1983_num_38_1_1567Noël Burch
Passion, poursuite : la linéarisation *
d'abord Si l'on par excepte les frères les Latham, combats puis de boxe par Raff filmés et Gamon pour le 1, kinétoscope, la première
manifestation au cinéma d'une « grande forme narrative » — à savoir la
mise bout à bout de plusieurs tableaux (trois, semble-t-il, au minimum ;
cf. infra) sur le mode de la concaténation bi-univoque — , par opposition
à la petite forme narrative (un plan unique se suffisant à lui-même :
l'Arroseur arrosé (1895)), ce sont les quatre versions de la Passion
tournées en 1897 et 1898, deux à Paris (par Léar et par Georges Hatot
pour la Société Lumière), une troisième en Bohême par William
Freeman et une quatrième à New York par Paley et Russel. Les deux
premières duraient plus de dix minutes, durée déjà exceptionnelle pour
l'époque, mais les deux autres approchent ou dépassent la demi-heure !
Etant donné donc que, pendant une dizaine d'années, aucune narration
autre que celle de la Passion n'atteindra une telle durée, il apparaît
d'emblée que nous sommes en présence d'un phénomène exceptionnel,
et dont il semble évident que l'histoire classique du cinéma n'a guère mis
à jour les significations capitales.
De fait, nous avons là une illustration éclatante de la nature
fondamentalement contradictoire du cinéma primitif, de la manière
dont tel geste — en direction de la linéarisation ou de la clôture, par
exemple — pouvait aboutir en fin de compte à la création d'objets dont
d'autres traits majeurs tendaient à mettre en échec le projet implicite qui
sous-tendait ces gestes.
L'origine de ces diverses versions de la Passion est très directement
« théâtrale » : le succès touristique, à la fin du XIXe siècle, auprès d'une
bourgeoisie désormais voyageuse, des spectacles folkloriques d'Oberam-
mergau, en Autriche, et de Horitz, aujourd'hui en Tchécoslovaquie (ce
dernier sera même filmé in situ par Freeman). Il convient de souligner
qu'il s'agit d'une forme théâtrale descendant directement des mystères
du Moyen Age et qui n'entretenait encore, en cette fin de siècle, que des
rapports indirects et partiels avec le mode de représentation du théâtre
bourgeois. Zdenek Stabla, qui a consacré une monographie au film de
Freeman, décrit ainsi la Passion de Horitz : « II ressort du texte,
* Chapitre d'un livre à paraître, la Lucarne de Vinfini.
30 poursuite : la linéarisation Passion,
conservé, du Mystère de la Passion (sa première édition remonte à
1892) que sa mise en scène nécessite deux méthodes différentes de
présentation, correspondant au caractère même des scènes et des actes.
Le genre de représentation scénique correspondant aux formes dramat
iques traditionnelles, où le conflit entre les divers personnages sont
exprimés avant tout dans des dialogues, est le plus fréquent. Il y a
environ cinquante scènes ou, plus précisément, actes de ce genre.
« Ce qu'on appelait des tableaux vivants relève d'un genre tout à fait
différent — ils étaient précédés d'un commentaire explicatif récité par le
chef de chœur. Le Mystère comptait vingt-six tableaux vivants, groupés
toujours en un certain nombre de séries alternant avec des scènes
dramatiques. Plus proches de la pantomime que du drame, ils conve
naient le mieux aux prises de vues cinématographiques. » Et de fait,
toutes les versions de la Passion filmées entre 1897 et 1907 consistent en
des successions de tableaux vivants, précédés (séparés) par l'intitulé du
tableau 2.
Bien entendu, l'existence de ces Passions filmées trouve un début
d'explication dans cette affinité entre deux arts muets. Mais bien plus
important me semble le fait qu'avec la Passion, nous nous trouvons en
présence d'un récit universellement connu. Et c'est très évidemment cela
qui permit aux promoteurs de ces films de franchir d'un bond les limites
étroites du plan-séquence de Lumière ou de Dickson et de proposer un
spectacle de longue durée fait de tableaux vivants dont l'exacte relation
concaténaire était notoirement connu de tous. Soulignons le fait : la
succession des tableaux de l'une ou l'autre de ces Passions — par
exemple, dans celle de la maison Lumière : « L'adoration des Rois
Mages », « La fuite en Egypte », « La résurrection de Lazare », « L'en
trée à Jérusalem », et ainsi de suite pour un total de treize, cette succes
sion ne pouvait avoir le moindre sens narratif pour un spectateur igno
rant tout de la tradition chrétienne. Ces images ne comportent guère
d'indice intrinsèque de leur concaténation nécessaire, et à quelques
exceptions près leur ordre, aurait pu être radicalement bouleversé sans
semer aucun trouble dans l'esprit d'un spectateur qui ignorerait, par
exemple, que la Cène vient obligatoirement après l'Entrée à Jérusalem
et avant le Jardin des Oliviers. Il se serait agi, pour l'œil « innocent »,
d'une sorte de paysage spirituel, comme le spectacle purement « topo
logique » offert aux yeux du païen par les vitraux d'une cathédrale. En
revanche, pour le chrétien — y compris le non-pratiquant, y compris
l'incroyant élevé dans une tradition chrétienne — , ces images obéis
saient à un ordre inéluctable, à l'Ordre des Ordres, peut-on dire, à la
progression de cette vie exemplaire entre toutes dont la linéarité,
garantie par les gestes sacramentels, est, en Occident, fondatrice de
toute linéarité possible, et notamment de celle de la vie de chaque
chrétien, microcosme de cette histoire universelle censée aller sembla-
blement de la Création au Jugement Dernier. En l'occurrence donc,
31 Noël Burch
l'histoire de la Passion se révèle dotée du pouvoir As fonder le principe de
la linéarité narrative au cinéma longtemps, très longtemps, avant que
ne se soit éclos ce « syntaxique » qui permettra de l'assurer à tous
les niveaux (et non plus seulement au réfèrent, seul niveau articulé
ici).
Mais en même temps — et il s'agit là d'une manifestation précoce
d'une sorte de loi d'incompatibilités réciproques qui va présider à tout le
développement du cinéma primitif — toutes ces versions de la Passion
vont exacerber certaines caractéristiques du « tableau primitif », du
« modèle Lumière », et ce dans un sens qui contribuera à retarder en fait
l'accession du cinéma à sa « vocation ultime ». C'est un véritable
écheveau de contradictions qui va se nouer à partir de ces films, et qui
mettra plus de vingt années à se dénouer.
Tout d'abord, si l'imagerie de ces Passions adhère — à travers les
représentations folkloriques qu'elles recréaient — à l'imagerie sulpi-
cienne des tableaux pieux de l'époque, cette reconduction a pour effet
d'ajouter aux exigences a-centriques, « panoramiques », de la lecture de
n'importe quel tableau du genre, d'autres exigences qui surgissent, elles,
de Vintroduction du mouvement dans un tableau plat, sans que la
couleur, le relief ou la parole ne viennent compenser, comme au théâtre,
la difficulté de lecture accrue. Georges Sadoul prononce, à propos de la
« Passion Lumière ». ce verdict sans appel : « ... on s'était borné à
photographier des scènes de théâtre, dont ni le jeu, ni le groupement, ni
les costumes, ni la mise en scène n'étaient adaptés au cinéma et qui
devaient donner une impression de confusion et de complication3 ».
Mais cette impression-là est celle que reçoit l'œil moderne (« devaient
donner... »), et il la reçoit devant un grand nombre de films réalisés
pendant la première décennie du cinéma, et notamment l'ensemb

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